Fin juin dernier, les sites d’information ont vu fleurir des dizaines d’articles annonçant que l’Homme se trouvait au cœur de la sixième extinction de masse. Le buzz trouve son origine dans une étude réalisée par des experts de Stanford, Berkeley, Princeton et quelques autres prestigieuses universités américaines.
Un peu plus d’un mois après ce déferlement, especes-menacees.fr fait le point.
Les extinctions de masse
Le monde a jusqu’à présent connu cinq extinctions de masse, qui sont en fait des périodes très brèves (quelques millions d’années ou Ma) durant lesquelles une forte proportion d’espèces animales et végétales disparait :
- Il y a 445 Ma, à la fin de l’Ordovicien, une grande glaciation engendre le recul des océans sur plusieurs centaines de kilomètres. 85% des espèces disparaissent
- Il y a 360 Ma, à la fin du Dévonien, 75% des espèces disparaissent. Les causes sont encore méconnues, mais on sait que le niveau des eaux a beaucoup évolué sur cette période
- Il y a 250 Ma, à la fin du Permien, 90 à 95% des espèces disparaissent : c’est la plus grande crise connue
- Il y a 200 Ma, à la fin du Trias, 75% des espèces marines disparaissent
- Il y a 65 Ma, à la fin du Crétacé, les dinosaures (et bien d’autres espèces) disparaissent. Les petits mammifères, en revanche, survivent, ouvrant la porte à la domination de l’Homme.
Il est à noter que d’autres extinctions ont été recensées mais, celles-ci étant peu connues, nous ne les citerons pas ici.
L’extinction de l’Holocène
La quasi-totalité des articles publiés sur les sites d’information met fortement en avant le fait que la sixième extinction de masse est en cours, que l’Homme en est la cause et qu’il sera à court terme (quelques siècles) lui aussi menacé. Est-ce une nouveauté ? Pas vraiment !
Dès les années 80, des livres traitent du sujet, reprenant presque mot pour mot les titres des articles publiés en juin. De même, il est relativement aisé de trouver des revues scientifiques de ces dernières décennies évoquant l’extinction de l’Holocène, du nom de l’époque géologique actuelle, qui s’étend approximativement sur les douze derniers millénaires.
Les titres des articles publiés mi-juin sont donc accrocheurs mais réducteurs. L’étude publiée outre-Atlantique ne cherche pas simplement à démontrer que nous sommes au cœur de l’extinction de l’Holocène, mais à déterminer si l’Homme en est la cause et, si oui, dans quelle mesure.
Les résultats du rapport
Grâce à la liste des espèces disparues depuis 1500, fournie par l’IUCN, l’équipe de recherche a fixé les taux de disparition actuels pour les vertébrés et pour chacun de leurs sous-groupes (mammifères, poissons, oiseaux, reptiles, amphibiens). En utilisant des bases de données paléontologiques et la littérature spécialisée, le taux de disparition naturel des vertébrés a été estimé à 2 pour 10 000 espèces par siècle.
Les résultats sont les suivants :
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- Les disparitions ont explosé depuis l’avènement de l’ère industrielle, au milieu du XIXème siècle
La courbe « Background » suit le taux de disparition dans des circonstances normales. Comme on peut le voir, depuis le début de l’ère industrielle, les disparitions ont nettement augmenté : à gauche, les courbes suivent les taux optimistes ; à droite, elles suivent les taux pessimistes.
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- Les disparitions survenues depuis 1900 auraient nécessité, selon l’optimisme du scénario, entre 800 et 10 000 ans en suivant le taux naturel
Comme on peut le voir sur ce graphique issu de l’étude, les disparitions de reptiles auraient nécessité dans des conditions « normales » entre 800 et 2100 ans selon l’optimisme du scénario. Côté amphibiens, on se situe entre 2100 et 10 000 ans.
Il s’agit là des deux résultats principaux. Certes, ils confirment que l’extinction de l’Holocène est bien en cours, mais ils mettent clairement en évidence le parallèle entre développement de l’activité humaine et disparition des espèces.
Pour être tout à fait impartial, si les méthodologies changent, les études débouchant sur cette conclusion sont relativement fréquentes. Entre autres, le professeur de Vos en Hollande ou William Ripple aux Etats-Unis étaient déjà arrivés peu ou prou aux mêmes conclusions, respectivement en juin 2014 et mai 2015.
L’Homme est-il menacé ?
Trois points sont à rappeler :
- Les taux utilisés pour cette étude ayant été jugés optimistes par rapport à d’autres, les disparitions sont probablement sous-estimées ;
- Seuls les vertébrés ont été pris en compte (les invertébrés étant trop peu connus) ;
- Seules les espèces dans leur globalité ont été prises en compte. Les populations d’espèces n’ont pas été étudiées alors que nous savons que les effectifs de plusieurs d’entre elles ont été drastiquement réduits ces dernières décennies.
L’étude utilise donc des postulats résolument optimistes et les écarts entre taux de disparition naturel et moderne sont probablement très supérieurs à ceux évalués ici. Selon le rapport, d’ici deux à trois siècles, l’Homme devrait subir les effets de la perte de la biodiversité. Il est capital de comprendre qu’à l’échelle géologique, ce délai est extrêmement court. A titre de comparaison, l’extinction Crétacé-Tertiaire, durant laquelle 50% des espèces (dont les dinosaures) ont disparu, est loin d’être aussi instantanée que l’expliquent les vulgarisateurs : elle s’est en fait étalée sur des centaines de milliers d’années. Même condamnées, les espèces déclinent très lentement et les transitions entre formes de vie dominantes sont très longues. Dans notre cas, si les disparitions continuent à ce rythme, nous pourrions donc dépasser un point de non-retour dans quelques siècles et nous diriger droit vers une extinction sans même nous en apercevoir.
Si l’Homme souhaite survivre à l’extinction qu’il a lui-même générée, il doit impérativement ralentir le processus. Le salut passera par une prise de conscience générale, la multiplication et le respect des programmes de soutien aux espèces en voie de disparition (réserves naturelles, réintroductions, migrations assistées,…), et une réduction des pressions sur les écosystèmes : dégradation des habitats, déforestation, braconnage, surexploitation des sols, pollution,… L’Homme a toutes les clés en main, il ne lui reste qu’à agir.
L’étude complète est disponible à la lecture en version originale sur le site de Science Advances. Par ailleurs, les graphiques utilisés dans notre article sont directement extraits de cette étude.
L’image de couverture utilisée pour cet article est gracieusement fournie par epSos.de.
1 réponse to “L’Homme est responsable de la sixième extinction de masse”
02.12.2015
daniele fagotarticle synthétique passionnant , à mettre en relation avec l’article concernant la COP 21