Trois espèces de thons rouges sont aujourd’hui recensées à travers le monde :
- le thon rouge du nord (Thunnus thynnus)
- le thon rouge du sud (Thunnus maccoyii)
- le thon rouge du Pacifique (Thunnus orientalis)
Selon l’UICN, le thon rouge du sud est aujourd’hui le plus menacé : il est classé en danger d’extinction (il est passé de « en danger critique » à « en danger » en 2021)
Description du poisson menacé
Si Thunnus maccoyii est la plus petite des trois espèces de thons rouges, il s’agit tout de même de l’un des poissons osseux les plus grands du monde : les spécimens les plus imposants peuvent mesurer 2,25 mètres et dépasser 200 kg. Des études récentes ont montré l’existence d’un dimorphisme sexuel : à partir de 160 cm, les individus sont plus fréquemment des mâles que des femelles et, au-delà de 185 cm, le ratio « mâle-femelle » est même de 2 pour 1.
Malgré ces mensurations impressionnantes, le corps de Thunnus maccoyii est parfaitement hydrodynamique, taillé pour la vitesse et l’endurance jusque dans les moindres détails : les nageoires pectorales et dorsales sont par exemple rétractables et les yeux ne dépassent pas du reste de la tête. Mieux encore, si la forme du corps est exceptionnelle, sa constitution ne l’est pas moins ! Les systèmes respiratoire et sanguin du thon rouge du sud ont évolué pour couvrir les besoins de muscles particulièrement exigeants : branchies permettant une meilleure diffusion de l’oxygène dans le sang, coeur exceptionnellement gros, sang disposant d’une capacité de transport de l’oxygène hors du commun… Toutes ces caractéristiques – et bien d’autres – permettent à Thunnus maccoyii d’exploiter sa puissante musculature et d’atteindre des vitesses extrêmement élevées : sa vitesse de pointe a été relevée à 76 km/h !
Un autre atout permet au thon rouge du sud d’occuper le sommet de la chaîne alimentaire : grâce à des retes mirabiles, un système d’artères et de veines facilitant les échanges thermiques, Thunnus maccoyii est capable de maintenir sa température corporelle jusqu’à 10°C au-dessus de celle de l’eau ! En eaux froides, ses muscles et son système nerveux sont donc plus réactifs que ceux de ses proies, ce qui lui permet par exemple de chasser de nuit ou à grande profondeur.
Localisation et habitat
Le thon rouge du sud évolue dans les océans Indien, Atlantique et Pacifique. D’une manière générale, l’espèce s’observe essentiellement entre le 30ème et le 50ème parallèle : sud de l’Australie et d’Afrique du sud, Madagascar, Nouvelle-Zélande, Argentine concentrent l’essentiel des populations. Dans le Pacifique oriental, au large du Chili, l’espèce est beaucoup plus rare.
Une fois adulte, Thunnus maccoyii est un poisson pélagique, c’est-à-dire qu’il évolue principalement en pleine mer. S’il se sent parfaitement à l’aise dans des eaux tempérées (entre 18 et 20°C), il peut tout à fait supporter un environnement plus extrême : lorsqu’il chasse, le thon rouge du sud peut plonger jusqu’à 2700 mètres de profondeur, où l’eau oscille entre 3 à 5°C. La nuit, il reste cependant à quelques dizaines de mètres de la surface.
Le thon rouge du sud ne se déplace pas en fonction de la température de l’eau mais principalement en fonction de ses proies : des bancs de plusieurs milliers d’individus migrent ainsi toute l’année à leur recherche. Prédateur opportuniste, il se nourrit d’une grande variété de poissons (sardines, maquereaux, anchois…), de crustacés ou encore de calamars.
Le thon rouge du sud, victime de la surpêche
Considéré « en danger d’extinction » par l’UICN, Thunnus maccoyii présente une valeur commerciale particulièrement importante. La partie ventrale de sa chair, appelée « thon gras » ou « ventrèche », comporte 35 % de matière grasse, est très riche en Omégas 3 et 6 et est très tendre… autant de caractéristiques qui en font un mets de choix dans la préparation des sushis et sashimis, éléments clés de la gastronomie japonaise ! Cette popularité a conduit l’espèce au bord de l’extinction : la principale menace pesant sur elle étant la surpêche.
Le phénomène trouve son origine au milieu du XXème siècle. Alors que moins de 5 000 tonnes de ce poisson sont pêchées annuellement dans le monde entre 1950 et 1955, le tonnage est multiplié par 4 jusqu’en 1959… puis la demande explose. Entre 1959 et 1961, environ 230 000 tonnes de thons rouges du sud sont prélevées. Par la suite, les quantités chutent non pas grâce à la mise en place de mesures de protection, mais uniquement du fait de la diminution rapide des stocks. Il reste cependant supérieur à 45 000 jusqu’en 1974, stagne ensuite durant une décennie puis s’effondre en 1984. Vingt ans plus tard, en 2011, le constat est dramatique : le stock mondial de Thunnus maccoyii a diminué de 95 % depuis 1950. L’UICN estime alors qu’au rythme auquel l’espèce est exploitée, il ne subsistera que 500 individus matures en 2100.
Sur la quasi-totalité de l’aire de répartition, la technique de capture la plus utilisée est la palangre : elle consiste à dérouler des lignes de pêche de plusieurs kilomètres en mer. Une fois en place, ces lignes « dorment » durant quelques heures puis elles sont récupérées par les bateaux ; les centaines d’hameçons accrochés aux lignes sont alors chargés de poissons. En Australie, les pêcheurs ont davantage recours à la pêche à la senne, qui consiste à utiliser un très large filet (la senne) pour encercler un banc entier de poissons ; cette technique permet de capturer de nombreuses espèces en pleine mer à faible profondeur. Les pêcheurs australiens prélèvent ainsi de jeunes thons rouges du sud (les plus vieux vivent à des profondeurs élevées) et ne les débarquent pas immédiatement : ils les gardent dans des cages sous-marines et les nourrissent durant plusieurs mois avant de les revendre sur les marchés japonais.
Conservation de Thunnus maccoyii
Dès le milieu des années 1980, l’Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande, trois nations responsables de l’essentiel des captures de thons rouges du sud, prennent la décision de fixer des quotas de pêche. Si cette première mesure ne suffit pas à reconstituer les stocks de l’espèce, elle permet – officiellement tout du moins – la chute rapide des prélèvements.
Le 20 mai 1994, ces mêmes pays fondent la Commission pour la conservation du thon rouge du sud (CCSBT) : détermination de TAC (taux admissible de capture) et de quotas de pêche, coordination d’un programme de recherche scientifique, étude de mesures de régulation… Cette organisation s’est donné pour mission « d’assurer la conservation et l’utilisation optimale » de Thunnus maccoyii.
A force de tractations, la CCSBT est rejointe à partir des années 2000 par la Corée du sud et l’Indonésie puis plus récemment par l’Afrique du sud. Ces pays acceptent pleinement la mise en place de quotas de pêche au niveau national, une avancée importante pour préserver Thunnus maccoyii de l’extinction. Par ailleurs, en 2002 et en 2015, Taïwan et l’Union Européenne intègrent l’organisation sous le statut de « membre de la commission étendue », ce qui signifie notamment qu’ils doivent contribuer financièrement à la pérennité de la CCSBT et qu’ils acceptent de se plier aux mesures prises par la Commission.
Un « plan stratégique » a également été mis en place par la CCSBT pour la période 2015-2020 : son objectif est de reconstituer, d’ici 2035, un stock de Thunnus maccoyi équivalent à 20 % de la biomasse originale. Le développement de la recherche scientifique doit accompagner ce projet car celle-ci permet de fournir des données plus précises et, par conséquent, de définir au mieux les quotas de pêche. Impacts de la pêche sur les relations proies-prédateurs, effets du réchauffement climatique sur la reproduction des adultes, révision des règles de confidentialité pour encourager le partage de données en provenance des navires commerciaux… De nombreux thèmes sont abordés.
Grâce à la CCSBT, les populations de thons rouges du sud semblent aujourd’hui en augmentation : selon l’organisation, les stocks de 2014 et de 2017 peuvent être respectivement assimilés à 9 % et 13 % de la biomasse disponible au milieu du XXème siècle. Le nombre d’individus matures aurait par ailleurs plus que doublé depuis 2011.
Le quota de pêche de Thunnus maccoyii pour la période 2018 – 2020 a été fixé à environ 17 600 tonnes pour l’ensemble des pays membres de la CCSBT. A titre de comparaison, il s’élevait à environ 9 500 tonnes en 2010. L’augmentation est liée d’une part à la croissance des effectifs de l’espèce, mais aussi à la volonté de fournir une certaine stabilité à l’industrie de la pêche.
Reste que malgré l’apparente implication des différents membres, des dissensions apparaissent parfois au sein de la CCBST. La plus importante accusation a été portée en 2006 : l’Australie a alors déclaré que le Japon dépassait régulièrement les quotas fixés, capturant 100 000 tonnes de plus que prévu en 20 ans. La pêche illégale et non déclarée demeure donc un sujet de préoccupation majeur.
Reproduction du thon rouge du sud
La seule et unique zone de reproduction connue du thon rouge du sud se trouve dans l’océan Indien, entre le sud-est de Java (Indonésie) et le nord-ouest de l’Australie. Ces eaux sont les plus chaudes tolérées par l’espèce : sous ce climat tropical, elles peuvent atteindre 30°C.
La reproduction a lieu chaque année entre septembre et avril. Une femelle libère des millions d’oeufs (probablement plus d’une dizaine de millions) au cours de cette période, puis le mâle les féconde. Il est pour l’heure impossible de dire si tous les individus matures se reproduisent chaque année ou si un plus grand intervalle peut s’écouler entre deux fécondations.
Le pic de naissance est observé en janvier et février. Après quelques mois, les alevins quittent les eaux tropicales et migrent en banc vers le sud, en longeant la côte australienne. Elles croissent rapidement et, à un an, les juvéniles mesurent environ 55 cm pour 3 kg. Une large proportion d’entre eux semble alors se diriger vers l’ouest et atteindre la pointe sud-africaine, alors que d’autres migrent vers l’est et découvrent la Grande baie australienne, au sud.
A 3 ou 4 ans, un juvénile dépasse un mètre de long et pèse 15 à 30 kg. A cinq ans, enfin, le thon rouge du sud voit son comportement se modifier : il est alors bien plus enclin à se diriger vers le large et à plonger à d’importantes profondeurs. L’âge de la maturité sexuelle, comme bien d’autres caractéristiques biologiques de l’espèce, est encore l’objet de recherches de la part du CCSBT ; si les scientifiques japonais ont longtemps soutenu qu’elle était atteinte dès 8 ans, il semblerait que la réalité se situe davantage entre 10 et 12 ans, soit lorsque la longueur des individus dépasse 1,5 mètre. Ces divergences ont évidemment des répercussions sur les politiques conservatoires : plus la maturité sexuelle est précoce, plus le nombre d’individus matures estimé est important et, par conséquent, plus les quotas de pêche peuvent être élevés.
Enfin – quand il échappe aux activités anthropiques et qu’il parvient à sa taille adulte – le thon rouge du sud a une espérance de vie d’une quarantaine d’années.
2 Réponses to “Le thon rouge du sud (Thunnus maccoyii)”
16.10.2021
Bruno PorlierBonjour
Le classement UICN du thon rouge du sud (Thunnus maccoyii) a changé depuis la publication de votre article. Au classement 2021, il est redescendu au rang « en danger » de la liste rouge mondiale.
Le thon rouge du nord (Thunnus thynnus) est en « préoccupation mineure », et le thon rouge du Pacifique (Thunnus orientalis) est « quasi menacé ».
18.10.2021
Cécile ArnoudTout à fait, et nous avons traité l’information https://www.especes-menacees.fr/actualites/liste-rouge-uicn-thons-mieux-requins-raies-pire/ mais oublié de mettre à jour l’article. C’est chose faite, merci du rappel !