Isidro Baldenegro ne devait plus revenir à Coloradas de la Virgen, une communauté d’une quarantaine de personnes isolée à 1 900 mètres d’altitude dans l’Etat de Chihuahua (Nord du Mexique). En exil depuis plusieurs années, ce militant indigène de 51 ans avait choisi de s’éloigner pour ne pas connaître le même sort que son père. Selon la presse de l’époque, Julio Baldenegro aurait été assassiné en 1986 pour son implication dans la lutte contre la déforestation. Son fils Isidro a repris le flambeau et luttait activement pour la protection des zones forestières de la région, où les déforestations sauvages sont monnaie courante. En 2005, il a même reçu le prix Goldman pour sa campagne non violente en faveur de la défense des anciennes forêts de la Sierra Madre occidentale. Une simple visite chez l’un de ses oncles, le 17 janvier 2017, lui a pourtant été fatale : Isidro Baldenegro a été tué par balles.
Une histoire presque banale dans le monde de la protection de la nature. Comme Isidro, ils sont nombreux à mourir pour avoir protesté contre des multinationales, des gouvernements ou des groupuscules qui exproprient des peuples de leurs terres et dévastent l’environnement au nom du profit. Le 2 février 2018, l’ONG Global Witness a révélé grâce aux informations collectées par le journal britannique The Guardian que 197 défenseurs de l’environnement ont été assassinés en 2017. Un chiffre qui ne bat heureusement pas le triste record de 2016, année au cours de laquelle 201 militants ont été tués, mais qui a de quoi inquiéter.
Ces crimes sont commis aux quatre coins du monde avec le Brésil en tête des pays où il y a eu le plus de militants écologistes abattus l’an dernier (46 morts), suivi par les Philippines (41 homicides) et la Colombie (32 personnes tuées). Sans compter les tentatives d’intimidation, les disparitions et les morts dont les circonstances semblent accidentelles.
L’industrie agroalimentaire
Si l’endroit change, les raisons pour lesquelles ces meurtres sont commis, en revanche, restent les mêmes. A commencer par l’industrie agroalimentaire, gourmande en terres agricoles peu chères. Au Brésil, justement, les Sans Terres réclament depuis plusieurs années une réforme agraire promouvant une agriculture juste et humaine, respectueuse des droits des petits paysans. Leurs manifestations sont souvent réprimées dans la violence et plusieurs de leurs leaders ont été tués, comme Waldomiro Costa Pereira, assassiné le 20 mars 2017. Toujours en Amérique latine, mais au Pérou cette fois, six fermiers ont été abattus en septembre dernier par un gang criminel qui voulait acquérir leur terre à bas prix et la vendre bien plus chère aux producteurs d’huile de palme. Et les exemples de ce type sont légion.
L’exploitation minière
Les ressources minières et pétrolières figurent, elles aussi, parmi les principales causes des meurtres d’activistes. A eux seuls, les conflits miniers sont responsables de 36 meurtres commis en 2017, détaille Global Witness.
En Inde, pays riche en minerais (fer, aluminium, or, etc.), de nombreux sites sont convoités par de gros industriels qui n’hésitent pas à exploiter des sols contre l’avis des populations locales mais soutenus par les forces de l’ordre. » es tactiques utilisées par les paramilitaires sont celles d’une guerre : tortures, pillages, viols, villages brûlés, meurtres… Chaque journaliste qui écrit la vérité sur ce qui se passe est arrêté ou disparaît, explique à nos confrères de Libération Vandana Shiva, écologiste indienne connue pour son engagement pour la préservation des ressources. Chaque avocat ou observateur qui va dans la région [centre-est du pays, NDLR] est expulsé ou emprisonné. Le conflit est rendu invisible. »
Aux Philippines, premier producteur mondial de nickel, l’exploitation de ce minerai est aussi source de graves conflits entre un lobby puissant et bien installé et les défenseurs de l’environnement. Et le bref mandat (10 mois) de l’écologiste Gina Lopez en tant que ministre de l’Environnement du pays, en témoigne. En mai dernier, après avoir audité plusieurs mines de nickel, elle a en effet ordonné la fermeture de 23 sites qui ne respectaient pas les règles de protection de l’environnement en contaminant les rivières et en détruisant les forêts. Peu de temps après, elle a été démise de ses fonctions par le Sénat philippin, dont plusieurs membres auraient des liens étroits avec le secteur minier. Aujourd’hui encore, plusieurs mines à ciel ouvert ne respectent pas cette suspension et poursuivent leur activité. L’extraction du nickel est un sujet sensible aux Philippines depuis plusieurs années. En 2014 déjà, plusieurs paysans et pêcheurs ont dû changer d’activité à cause de la pollution des rizières et des bassins. Plusieurs d’entre eux ont tenté de porter plainte malgré les menaces qui pèsent sur eux et se sont même réunis en collectif dans la ville de Santa Cruz. Sans succès.
Le braconnage
Autre menace qui pèse sur les défenseurs de l’environnement : le braconnage. Le métier de ranger est « l’un des plus dangereux au monde », note d’ailleurs l’ONG Global Witness. Chaque année, une vingtaine d’entre eux tombent sous les balles des trafiquants d’espèces protégées, qui n’hésitent pas à commettre leurs exactions à l’intérieur même des réserves et parcs naturels. Pour une corne de rhinocéros ou des défenses d’éléphants qui s’échangent à prix d’or au marché noir, certains braconniers ne reculent devant rien, y compris l’assassinat de personnes qui se mettraient sur leur chemin. En juillet dernier dans la réserve de faune à okapis, au nord-est de la République démocratique du Congo, des forces rebelles locales ont tendu une embuscade à des rangers alors qu’ils escortaient un groupe de journalistes vers le site minier de Bapela. Une partie a pu en réchapper, mais quatre gardes forestiers et un porteur sont morts. Les heurts avec ces groupes armés qui se financent en partie par la contrebande d’espèces sauvages et l’exploitation minière illégale sont malheureusement fréquents. Pour rappel, le trafic d’animaux est estimé à 23 milliards de dollars chaque année.
L’Amérique latine s’organise
Les pays d’Amérique du Sud concentrent l’essentiel des meurtres avec 118 défenseurs de l’environnement tués dans cette zone en 2017 et 137 l’année précédente. Depuis 2012, plusieurs Etats de la zone tâtonnent pour trouver des solutions communes et, le 3 mars 2018, 25 d’entre eux ont pour la première fois trouvé un accord lors d’une énième réunion à San José (Costa Rica), comme l’a révélé le journal colombien El Espectador. Ont été jetées les premières bases d’un traité historique pour la protection des militants écologistes, qui devrait être ratifié en septembre 2018. Baptisé « Principio 10 » (ou Principe 10 en français), ce traité prévoit toutes sortes de dispositifs pour garantir la sécurité des défenseurs de la nature, faciliter leur accès à la justice et faire en sorte qu’ils puissent « poursuivre leurs actions sans subir de violences ni de menaces ». S’il reste encore à signer officiellement ce traité et mettre en place ses préconisations, Principio 10 incarne déjà un véritable espoir pour l’Amérique latine.
Texte par Jennifer Matas et infographie par Jérémy Bourgain
1 réponse to “197 défenseurs de l’environnement tués au nom de leur cause”
14.03.2018
Serge SANCHESBravo, pour cette enquête.
J’apporte ma modeste contribution à la défense des espèces menacées : je suis l’auteur du livre de poésies : ESPECES MENACEES, édité par les Editions d’Anglon dans la collection Paroles et Images. 30 courts textes illustrés par de très belle photos. Cette collection a pour objectif d’intéresser dès le plus jeune âge au plaisir de la lecture, même un court instant,et inciter à la réflexion.
Bien sincèrement
Un exemple :
L’hippocampe
Dans l’immensité des abysses,
Les délicats chevaux de l’onde,
Bercés par les vagues, périssent
Dans les chaluts errants qui sondent
Les fonds marins. Pauvre hippocampe
Qui termine en support de lampe.