Passionné depuis toujours par les singes, Aurélien Brulé (dit Chanee) s’est pris d’affection pour les gibbons, une famille de grands singes regroupant plusieurs espèces différentes vivant en Asie. Depuis son plus jeune âge, il a pris l’habitude d’aller les observer dans un parc animalier situé non loin de chez lui, au point de décider un jour de leur consacrer un livre*. Chanee n’a alors que 16 ans et est le premier à rédiger un ouvrage sur les gibbons à mains blanches (Hylobates lar), une espèce « en danger » d’après l’UICN. Une telle initiative surprend les primatologues et attise l’intérêt des médias qui lui consacre alors plusieurs articles et reportages. C’est d’ailleurs en lisant cette histoire dans la presse que l’humoriste Muriel Robin, touchée par le projet de Chanee, le contacte et lui propose son aide. Grâce à son soutien financier, il quitte la France pour l’Indonésie à l’âge de 18 ans avec, dans la tête, l’idée d’observer les gibbons dans leur milieu naturel.
Les dates clés de Kalaweit
- 1998 : Chanee arrive en Indonésie avec l’aide financière de Muriel Robin. La même année, l’association Kalaweit (« gibbon » dans la langue dayak, un peuple indonésien) est créée en France (loi 1901) ;
- 1999 : étape fondamentale pour Kalaweit, l’association signe un protocole avec les autorités et le ministère indonésien des forêts autorisant son installation au cœur du parc national de Bukit Baka-Bukit Raya, à Bornéo. C’est depuis cet endroit que Kalaweit pilotera dans un premier temps toutes ses missions, à la fois à Bornéo et Sumatra ;
- 2000 : dix-sept gibbons ont été recueillis depuis le début du projet, un an plus tôt ;
- 2001 : construction d’un centre de soins dans la ville de Palangkaraya à Bornéo ;
- 2002 : Kalaweit installe un nouveau centre sur l’île d’Hampapak à Bornéo. Il s’agit en réalité d’une forêt sanctuaire totalement inhabitée dans laquelle pourraient être réintroduits des gibbons. Malheureusement, ce site n’existe plus aujourd’hui : il a été rasé au profit d’une plantation de palmiers à huile. La même année, l’association signe un accord avec les habitants de l’île de Mintin, toujours à Bornéo, pour réaliser les premiers lâchers de gibbons dans la nature. Aujourd’hui, ce sont les villageois qui gèrent entièrement les lieux ;
- 2003 : Kalaweit FM est née ! Cette radio mixe programmes de divertissement destinés aux jeunes et d’information avec des messages environnementaux diffusés toutes les heures. Cette année-là, l’association crée également un pivot de sa lutte contre le trafic d’animaux sauvages : le centre « Kalaweit Sumatra », sur l’île de Marak ;
- 2004 : l’association signe un protocole à l’échelle nationale avec le gouvernement indonésien. 240 gibbons ont déjà été recueillis depuis le début de l’aventure ;
- 2006 : huit ans après la création de Kalaweit, deux couples de gibbons sont relâchés pour la première fois. Cela se passe sur l’île de Mintin ;
- 2009 : Kalaweit s’associe au département des forêts pour gérer la réserve de Pararawen, à Bornéo. La zone s’étend sur 3 500 hectares ;
- 2011 : double acquisition pour l’association à Supayang, un village de Sumatra. Kalaweit achète tout d’abord des terrains et démarre la construction du « Gibbon Conservation Center », en remplacement de celui de l’île Marak bâti en 2003, puis elle acquiert la réserve Supayang, alentour ;
- 2013 : deux nouvelles cliniques vétérinaires sortent de terre dans les centres de conversation de Pararawen (Bornéo) et Supayang (Sumatra) ;
- 2014 : début du projet de réintroduction de plusieurs familles de siamangs ;
- 2015 : diffusion de la série télévisée « Kalaweit Wildlife Rescue » sur Metro TV, l’une des principales chaînes d’information en Indonésie ;
- 2016 : Kalaweit rachète plusieurs hectares de forêts à Bornéo et crée la réserve de Pararawen ;
- 2017 : création d’une nouvelle réserve à Bornéo : la Magkolisoi Reserve ;
- 2018 : Kalaweit relâche avec succès cinq familles de siamangs à Sumatra. L’association franchit la même année le seuil symbolique des 600 hectares de forêts en sa possession, répartis entre Sumatra et Bornéo.
Ses principales actions
Kalaweit est le plus grand projet de sauvegarde des gibbons dans leur milieu naturel au monde. En vingt années d’existence, l’association est devenue une référence en la matière et remplit plusieurs missions pour atteindre un seul et même objectif : protéger le gibbon en Indonésie.
Récupérer les animaux captifs ou en danger
La première mission de Kalaweit a toujours été l’hébergement d’animaux sauvages détenus illégalement ou maltraités par des particuliers. A l’origine, Chanee espère sauver les gibbons captifs. On estime qu’ils seraient environ 6 000 à Sumatra, Bornéo et Java. Les gibbons capturés sont des bébés dont les parents ont souvent été tués. Le petits sont ensuite vendus comme animaux de compagnie. Dociles dans leurs plus jeunes années, les gibbons deviennent difficilement gérables une fois atteint l’âge adulte, d’autant plus s’ils ont grandi dans un environnement stressant, enfermés dans des cages étroites, sans jamais nouer de contact avec un congénère. Dans la quasi-totalité des cas, les gibbons captifs souffrent par ailleurs de carences alimentaires et de maladies liées à leur captivité. Lorsqu’ils atteignent la maturité sexuelle vers l’âge de 6 ou 7 ans, les particuliers, incapables de s’en occuper, cherchent à s’en débarrasser par tous les moyens.
Chanee se rend vite compte que les gibbons ne sont pas les seuls animaux concernés par ce trafic. Son association Kalaweit s’est donc donné pour mission de recueillir tout animal ayant besoin de soins et d’un nouveau refuge. Depuis sa création, elle s’est ainsi occupée de pythons, d’ours, de civettes et même de loris ! Les animaux saisis sont soignés dans l’un des deux centres de Kalaweit, à Pararawen (Bornéo) ou à Supayang (Sumatra). Des vétérinaires et des soigneurs employés par l’association s’occupent d’eux et de leur réintroduction en milieu naturel lorsque cela est possible. Afin de faciliter son travail, Kalaweit a lancé en mai 2014 une application mobile pour recueillir toute information sur la détention illégale d’animaux sauvages en Indonésie. Les personnes qui téléchargent cette application sur leur smartphone deviennent donc, en quelque sorte, les yeux et les oreilles de Kalaweit partout dans le pays. « Une photo ou une vidéo prise avec un téléphone portable peut être directement envoyée à l’association via la fonction « Help Wildlife » et permet de signaler un cas d’animal sauvage », explique l’association. Les informations recueillies sont ensuite envoyées aux autorités compétentes. Kalaweit espère que ce nouveau moyen de pression permettra de faire évoluer plus vite les lois en matière de protection des animaux sauvages.
Protéger les forêts où vivent les gibbons
En Indonésie, la déforestation constitue un véritable danger qui menace toute la faune, dont les singes qui y vivent, à savoir les orangs-outans, les nasiques et sept espèces de gibbons. Ce pays abrite la troisième plus grande surface de forêts au monde, derrière l’Amazonie et le bassin du Congo, mais elle se réduit chaque année comme peau de chagrin. On estime que 2 millions d’hectares de forêts disparaissent tous les ans. Les principales causes de cet abattage massif : le commerce du bois exotique et, surtout, de l’huile de palme. Problème : il n’existe pas beaucoup de moyens d’empêcher les industriels de se lancer sur ces juteux marchés. « Toute compagnie obtenant une concession de la part du gouvernement provincial peut transformer, détruire la forêt à sa guise, prévient Kalaweit. Ces concessions peuvent être des terres ancestrales appartenant à des peuples de la forêt comme les Orang-Rimba ou les Penan à qui elles sont volées. » L’une des solutions les plus efficaces trouvée par l’association consiste donc à racheter des hectares de forêts et de les transformer en zones protégées où les bulldozers n’ont aucun droit d’accès. Régulièrement, des patrouilles quadrillent le secteur à pied, à cheval ou depuis le ciel (en paramoteur ou avec des drones) pour s’assurer qu’aucun braconnier ou personne malveillante ne pénètre dans les lieux. En juin 2018, Kalaweit possède 617 hectares à Bornéo et Sumatra.
Réintroduire en milieu naturel
Le scénario parfait pour Kalaweit : relâcher les gibbons recueillis dans leur habitat naturel qui est la forêt tropicale. Seulement, cette mission s’avère complexe. Tout d’abord, il faut s’assurer que les candidats à la réintroduction dans la nature ne courront aucun danger une fois dehors, et encore moins qu’ils ne deviennent un danger pour les singes vivant à l’extérieur. Les individus atteints de maladies comme l’herpès simplex ou des hépatites, des pathologies courantes chez les gibbons ayant vécu en captivité, ne pourront ainsi jamais être réintroduits. Le risque de contamination des populations de gibbons sauvages est en effet trop grand. Le gibbon étant un singe arboricole qui vit dans la canopée, les équipes de Kalaweit doivent également s’assurer que tous sont prêts à se débrouiller seuls avant de procéder à une réintroduction. Autre point crucial : le gibbon étant territorial, deux couples ne peuvent pas vivre sur la même zone sous peine de s’entre-tuer. Kalaweit doit donc disposer de plusieurs hectares de forêt pour relâcher deux familles différentes, ce qui demande du temps et de l’argent. Résultat, les réintroductions se font rares mais constituent à chaque fois un moment riche en émotions pour les équipes.
Sensibiliser
Chanee est persuadé que pour provoquer un changement, il faut informer les locaux à l’importance de la biodiversité et les impliquer dans les décisions en faveur de la protection de l’environnement. Raison pour laquelle très tôt, Kalaweit a utilisé les médias pour faire connaître son action tout en adoptant un ton ludique et divertissant. En 2003, il crée Kalaweit FM, une radio écoutée par les jeunes qui diffuse toutes sortes de programmes et musiques à destination des adolescents, entrecoupés de messages à portée environnementale. Chanee enchaîne les apparitions télévisées – on l’a vu notamment dans la série « Sur la terre des » sur France 3 en compagnie de plusieurs célébrités dont Muriel Robin – et les interviews dans les médias afin de porter la voix de Kalaweit et alerter le public sur la situation des gibbons en Indonésie. Depuis 2015, il est par ailleurs le protagoniste d’une série télé intitulée « Kalaweit Wildlife Rescue » dans laquelle on le suit sur le terrain dans son quotidien avec ses équipes de Kalaweit.
Kalaweit noue également de solides relations avec les locaux en les employant au sein de l’association par exemple. « Nous ne recrutons que des locaux », souligne d’ailleurs à ce propos Chanee. Des soins médicaux sont notamment apportés gratuitement aux employés ainsi qu’à leur famille. Les échanges avec les autorités font également partie des priorités puisque c’est avec l’appui du gouvernement indonésien que les lois pourront progresser dans le bon sens. La lutte contre le braconnage ou les coupes illégales de bois se font déjà en partenariat rapproché avec la police locale.
Gouvernance
L’association est pilotée par un conseil d’administration et un bureau composé de trois personnes : le fondateur Chanee qui assure la fonction de président, Jean-Marc Bouve, trésorier de Kalaweit, et Carine Le Thanh, secrétaire. Une seule personne est employée à temps plein en France, l’essentiel des troupes se situant en Indonésie. Là-bas, Kalaweit emploie 70 personnes dont des vétérinaires, des soigneurs, des comptables, des responsables de sites, etc.
Financement
Kalaweit fonctionne essentiellement grâce aux dons reçus de la part de particuliers ou de mécènes – plusieurs parcs animaliers français, par exemple, la soutiennent ainsi que des associations comme la Fondation Brigitte Bardot ou 30 Millions d’amis mais également des fondations. Il est possible de verser un don ponctuel à l’association, ou de devenir « un ami Kalaweit » en versant un don régulier, à partir de 5 € par mois. Autre possibilité : parrainer un gibbon. Il s’agit de faire un don unique ou régulier mais, cette fois, à destination de l’un des gibbons accueillis par les deux centres de conservation de Kalaweit, à Bornéo et Sumatra. La somme de 280 € est nécessaire pour s’occuper de l’un de ces animaux. Le parrainage peut donc être réalisé par une ou plusieurs personnes, et les montants versés en une fois ou mensuellement sur douze mois. Tous les gibbons disponibles à l’adoption sont visibles ici. A noter qu’en France, les dons effectués à Kalaweit sont déductibles des impôts sur le revenu à hauteur de 66 % du montant versé, dans la limite de 20 % des revenus totaux du foyer fiscal concerné.
Kalaweit a par ailleurs lancé sa propre boutique en ligne où elle vend toutes sortes de produits comme des peluches, des t-shirts, des mugs ou encore des colliers et bracelets.
En 2016, le budget total de l’association s’est élevé à 540 288 € répartis comme suit :
- achat de forêts : 28,46 % ;
- salaire des employés : 22,54 % ;
- frais de fonctionnement en France : 17,32 % ;
- nourriture et soins aux animaux : 13,97 % ;
- transports et logistique : 8,1 % ;
- infrastructure, réparation et entretien : 7,38 % ;
- frais de fonctionnement en Indonésie : 2,23 %.
*Ouvrage « Le gibbon à mains blanches », Aurélien Brulé, éditions Les Presses du Midi.
par Jennifer Matas
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