
La situation est dramatique pour le mérou de Nassau. Ce poisson de récif vivant dans les eaux tropicales des Caraïbes a été pêché en abondance au cours des dernières décennies. Pire, cette pêche intensive s’est souvent produite en plein durant la saison de reproduction de l’espèce, qui est désormais classée « en danger critique » d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Si rien ne change, 95 % de sa population telle qu’on la connaissait en 1980 se sera éteinte d’ici 2031.
Description du mérou de Nassau
Caractéristiques physiques
Comme tous les autres mérous, Epinephelus striatus est un poisson appartenant à la grande famille des Seranidae. Adulte, il mesure entre 40 cm et jusqu’à 1 mètre pour un poids pouvant atteindre les 25 kilos. Son corps est large et robuste, tout comme sa tête, arborant une large bouche aux lèvres pleines et dotée de petites rangées de dents.
Les mérous de Nassau arborent des couleurs variant du brun clair chez les individus peu profonds, au rouge chez ceux de plus grande profondeur. D’autres facteurs peuvent jouer sur sa coloration (voir tout en bas de l’article « Bon à savoir »). De larges bandes verticales de couleur plus claires (beige à blanc) strient leur corps et d’autres, horizontales, ornent leur tête. Raison pour laquelle ce mérou est aussi appelé « mérou rayé ». En plus de ces rayures, corps et tête sont également parsemés de petites tâches claires de formes et de tailles variées.
Chez les juvéniles, la nageoire caudale est arrondie, tandis que les adultes présentent une nageoire tronquée caractéristique des mérous. La nageoire dorsale, quant à elle, s’apparente à une crête d’épines bien dressées.
Régime alimentaire
Ce mérou est un carnivore. Il se nourrit majoritairement de poissons, qui composent 54 % de son régime alimentaire, et de crabes (23 %). Il lui arrive aussi de chasser des crustacés et des mollusques, mais dans des quantités bien moins élevées.
Ce qui n’est bien évidemment pas le cas des plus jeunes, pas encore suffisamment expérimentés pour traquer de grandes proies. Eux préfèrent donc se contenter de crustacés et de mollusques en attendant de pouvoir s’attaquer à plus gros.
Comportement
Les mérous de Nassau sont peu craintifs et d’ordinaire plutôt solitaires. Ils aiment chasser seul, près des récifs et de tout type de cachette pouvant les aider à mieux surprendre leurs proies. Ce n’est qu’au moment du frai – nom que l’on donne à la reproduction des poissons par voie externe –, une fois par an, que tous se retrouvent en un même lieu.
Par le passé, ces grands rassemblements pouvaient voir s’amasser des dizaines de milliers de poissons – entre 10 000 et 30 000 en moyenne et jusqu’à 100 000 individus –, ce qui a malheureusement grandement facilité le travail des pêcheurs (voir plus bas, paragraphe « Menaces »).
En 1975, déjà, le célèbre explorateur Jacques-Yves Cousteau a voulu filmer l’une de ces réunions pour sa série documentaire « Le monde sous-marin de Jacques-Yves Cousteau ». Mais en immortalisant l’un de ces événements, il a aussi enregistré les nombreux navires de pêche qui encerclaient les poissons.
Habitat
Nassau est la capitale des Bahamas. Rien qu’à son nom, le mérou de Nassau donne donc une indication sur l’endroit où il vit. En effet, ce poisson nage dans les eaux tropicales et côtières de l’Ouest de l’océan Atlantique ainsi que dans la mer des Caraïbes.
Il peuple ainsi les eaux des Antilles françaises (Martinique, Guadeloupe), les îles voisines (Antigua et Barbuda, Sainte Lucie, la Barbade, Trinidad et Tobago, Saint-Vincent et les Grenadines, Porto Rico, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, les îles Vierges Britanniques, les îles Turques-et-Caïques, etc.), Cuba et ses alentours (les Bahamas, Haïti, la République Dominicaine, la Jamaïque, les îles Caïmans) et sur le long des côtes continentales (Floride et Texas aux Etats-Unis, Mexique, Belize, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Costa Rica, Panama, Colombie, Venezuela). Le mérou de Nassau nage également aux Bermudes, plus au Nord et au large que le reste de son aire de répartition.
Sans surprise, la population des Bahamas était historiquement l’une des plus importantes, d’où son appellation. Celle du Belize était également connue pour son abondance.
Epinephelus striatus est un poisson de récif. Il aime évoluer près de récifs naturels formés par des coraux et se satisfait aussi de récifs artificiels, créés par exemple par des épaves de bateaux.
Généralement, on le trouve à partir de 140 mètres de profondeur et jusqu’à 255 mètres. Les jeunes, en revanche, privilégient les eaux peu profondes, entre 6 et 50 mètres la plupart du temps.
Lorsqu’il est jeune et donc plus vulnérable, le mérou rayé se réfugie généralement dans les herbiers de phanérogames, des sortes de prairies sous-marins qui servent de pouponnières pour de nombreuses espèces. On le trouve également dans des mangroves, ces écosystèmes qui servent de pouponnières à de nombreux animaux. En grandissant, il se tourne ensuite vers les récifs de coraux plus profonds et denses où vivent des grandes populations de macroalgues, ou algues géantes.
Menaces
Epinephelus striatus est une espèce menacée depuis de nombreuses années. Mais sa situation vient officiellement de s’aggraver puisque l’UICN l’a fait sortir de la catégorie « en danger » pour la passer dans celle « en danger critique », dernière étape avant l’extinction dans la nature. Aujourd’hui encore, sa population diminue et l’avenir s’annonce sombre pour le mérou rayé.
Quelques chiffres pour prendre la mesure de la situation. Au Mexique, aux Bahamas et à Cuba, les populations de mérous qui se reproduisent ont chuté de 80 % depuis les années 1980. Entre 1980 et le milieu des années 1990, elle s’est effondrée de 90 % à Porto Rico. Partout ailleurs ou presque sur son aire de répartition, les proportions de ce déclin sont similaires.
La pêche
Pour le commerce ou pour le loisir, le mérou de Nassau est pêché de façon intensive depuis plusieurs décennies. Sa pêche est d’autant plus dramatique qu’elle a été facilitée par le comportement de ce poisson qui, pour se reproduire, retourne toujours au même endroit à une date bien précise, entre les mois de décembre et mars.
Là, dans ce qu’on appelle des frayères, les mérous de Nassau se retrouvaient autrefois à plusieurs dizaines de milliers. Sans effort, les pêcheurs pouvaient alors les capturer en masse, ne se souciant guère du fait qu’il s’agisse pourtant d’un lieu de reproduction, essentiel à la pérennité de l’espèce.
A cause de cette surpêche, l’UICN estime que 30 à 50 rassemblements de mérous de Nassau ont arrêté de se former et que la plupart de ceux qui continuent d’exister sont constitués de groupes 90 % plus petits. Soit quelques centaines de poissons à peine.
Aujourd’hui encore, et malgré les mesures prises par plusieurs pays pour limiter cette pêche et l’interdire au moment du frai, les stocks de mérous continuent de s’épuiser. Des pêches sportives sont même organisées pour tuer ce poisson si recherché.
La destruction de son milieu naturel
Comme évoqué précédemment, le mérou de Nassau grandit à l’abri de toute menace dans les mangroves, les récifs coralliens et les herbiers marins. La disparition de ces écosystèmes cause donc en toute logique la disparition de ce poisson.
Or justement, ces habitats fragiles sont particulièrement menacés. Il faut dire que dans la zone, les premières activités économiques sont la pêche et le tourisme. La première nuit directement à l’espèce lorsqu’elle est la cible ou la prise accidentelle, et elle détruit les récifs coralliens où elle s’établit lorsque les ancres sont jetées aux mauvais endroits. Le deuxième, quant à lui, est en grande partie responsable de l’aménagement côtier, du défrichement du littoral – incluant la disparition de la mangrove – et de l’augmentation du nombre de touristes dans les zones où il vit.
Le mérou de Nassau est aussi sensible à la détérioration de la qualité de l’eau. Le déversement d’eaux usées, le dragage des côtes et le réchauffement climatique à l’œuvre dans les océans sont autant de menaces qui pèsent sur son avenir.
Les prédateurs
Compte tenu de sa taille et de son habitat – les récifs – le mérou de Nassau n’a pas réellement de prédateurs connus. Des requins peuvent parfois s’attaquer à des groupes de frai ou capturer des mérous adultes lorsque l’occasion se présente, mais il ne s’agit pas d’une menace très forte.
Les œufs et les juvéniles sont en revanche plus exposés au danger. Les murènes, qui se cachent dans les cavités de récifs, se nourrissent parfois de jeunes mérous et les œufs sont parfois dévorés par d’autres poissons. Malgré tout, l’homme reste le principal prédateur du mérou de Nassau.
Efforts de conservation
Malgré une situation critique, la pêche du mérou de Nassau n’est pas interdite à l’échelle internationale. La CITES ne réglemente donc pas son commerce, comme c’est le cas pour d’autres espèces menacées.
Réglementations sur la pêche
Pour protéger le mérou de Nassau, il faut plutôt regarder à une échelle plus locale, du côté des pays de son aire de répartition. En 2017, l’espèce a rejoint l’annexe III du Protocole SPAW (Zones et vie sauvage spécialement protégées), qui s’applique depuis 2000 dans les Caraïbes. Cela signifie que sa pêche n’est pas interdite, mais qu’elle doit être régulée de façon à ce que les populations demeurent viables.
Plusieurs pays avaient déjà pris les devants pour limiter sa pêche, comme :
- les Etats-Unis et les îles Vierges qui l’ont carrément interdite depuis 1992 ;
- les Bermudes depuis 1996 ;
- les Bahamas depuis 2000 ;
- Porto Rico depuis 2004.
Ailleurs, en revanche, les mesures prises se cantonnent à l’interdiction de la pêche de décembre à février, ce qui ne permet pas, aujourd’hui, de rétablir les populations.
Au Belize, par exemple, il est interdit de le pêcher durant quatre mois, pendant la saison de frai, et seuls les petits spécimens peuvent être capturés le reste de l’année. 13 sites de regroupements de mérous sont par ailleurs protégés dans ce pays depuis 2012. Pourtant, les stocks ne se reconstituent pas. « Sur l’atoll de Glover’s Reef, l’un des derniers regroupements viables de mérous de Nassau ne totalisait que 925 poissons en 2018, contre 3 000 en 2013 et plus de 15 000 dans les années 1970 », souligne la Wildlife Conservation Society (WCS).
Aux îles Turques-et-Caïques, la population de mérous de Nassau a su rester relativement préservée grâce à des pratiques de pêche plus mesurées. Aujourd’hui, ce poisson est l’une des stars des plongeurs souhaitant découvrir les merveilles sous-marines des lieux.
Un programme européen pour sauver les mérous
En 2019, Saint-Martin a lancé son tout premier programme LIFE, un programme européen portant sur la restauration des populations de mérous de Saint-Martin : le mérou de Nassau et le mérou goliath. Trois autres espèces sont aussi concernées :
- l’échenilleur (ou Tuit-tuit) de la Réunion ;
- le crabier blanc de Mayotte ;
- le moqueur gorge blanche de Martinique.
Pour les mérous, ce projet baptisé LIFE BIODIV’OM – qui en est encore aux prémices – est multiple : il s’agit de quantifier puis de suivre l’état des populations présentes dans les environs, d’évaluer les rôles de ces deux espèces dans l’économie de Saint-Martin puis de mener des actions de sensibilisation de la population à l’importance de protéger ces poissons.
« Les pêcheurs, mais aussi les usagers de la mer – pêcheurs, plongeurs, plaisanciers, etc. – ainsi que les autorités locales seront consultées et auront l’opportunité de participer à l’élaboration d’une méthode de conservation », précise la réserve naturelle de Saint-Martin, pilote du programme sur l’île.
Suivis des populations
La pêche du mérou de Nassau est désormais plus encadrée et complètement interdite pendant les périodes de frai. Malgré tout, les populations ont du mal à se reconstituer, voire même continuent de diminuer.
Pour avoir des preuves de ce déclin, il faut organiser des plongées d’études des stocks restants. Compter les individus ne suffit pas : la bonne santé d’une population de mérous dépend aussi de la variété des individus de différentes tailles. C’est en effet le signe que l’espèce se reproduit régulièrement et qu’elle dispose de plusieurs générations de reproducteurs actuels ou en devenir.
Au Belize par exemple, WCS plonge régulièrement pour en apprendre plus sur les mérous des environs. Les plongeurs utilisent même une toute nouvelle technologie laser pour mesurer les mérous à distance et avec précision, sans les stresser ni risquer de les blesser.
En Martinique, l’Observatoire du Milieu Marin Martiniquais (OMMM) mène lui aussi des expéditions pour identifier la population martiniquaise de mérous rayés. En 2014, il a publié un rapport sur le retour de l’espèce dans les eaux martiniquaises, et notamment dans la baie de Fort de France.
« Ces observations importantes de recrudescence de la population de mérous de Nassau en Martinique doivent être considérées avec beaucoup d’attention. En effet, l’espèce a été décimée par les pêcheries artisanales dans le passé et devient de plus en plus commune dans les captures contemporaines, au casier ou filet. […] C’est un signe encourageant qui devrait bénéficier d’un programme d’études spécifiques afin de comprendre les facteurs de recolonisation des espèces devenues rares, surtout dans le contexte d’invasion par le poisson lion qui pourrait mettre en péril la biodiversité des peuplements de poissons régionaux », conclut-il.
Reproduction du mérou de Nassau

Rassemblement de mérous de Nassau pour se reproduire.
A l’instar d’autres poissons comme le poisson-clown par exemple, le mérou de Nassau est hermaphrodite. Mais contrairement à lui qui naît toujours mâle avant de devenir, si la situation l’exige, femelle, le mérou rayé semble appartenir à une catégorie bien particulière. En effet lorsqu’il naît, il possèderait les deux gonades mâle et femelle et ce n’est qu’en grandissant qu’il deviendrait l’un ou l’autre. On ignore encore les raisons pour lesquelles un mérou devient mâle ou femelle, mais cela ne semble pas lié à la taille des individus.
Vers l’âge de 4 à 5 ans et lorsqu’il mesure 55 cm de long, il atteint la maturité sexuelle et devient donc apte à se reproduire. Pour cela, il doit frayer, autrement dit retrouver ses congénères pour que les femelles lâchent leurs œufs dans l’eau et que les mâles fassent de même avec leur semence, qui vient alors féconder les œufs. Les mérous sont capables de parcourir plus de 200 km pour revenir sur le lieu où se produit la reproduction, tous les ans. Il s’agit toujours du même lieu, les mérous étant strictement fidèles à leur site de ponte.
Les œufs éclosent entre 23 heures et 48 heures après la fécondation et donnent naissance à des larves qui dérivent au gré du courant avant de se fixer sur des herbiers ou dans des mangroves, notamment.
Les juvéniles resteront à l’état larvaire une quarantaine de jours, puis ils mettront entre 4 et 8 ans pour atteindre l’âge adulte, selon la quantité de nourriture qu’ils parviendront à trouver et l’environnement plus ou moins stressant qu’ils auront à gérer. Plus ils seront tranquilles et à même de trouver à manger, plus ils atteindront leur maturité tôt. La longévité du mérou de Nassau est de 29 ans.
Bon à savoir
Le mérou de Nassau a l’étonnante faculté de pouvoir changer de couleur en quelques minutes ! Contrairement à d’autres animaux qui utilisent cette qualité pour se camoufler ou se protéger de prédateurs éventuels, il semblerait que le mérou le fasse selon son humeur.
Cela se produit par exemple lors d’une agression ou lorsqu’ils sont prêts à se reproduire. Ainsi au moment du frai, les mérous rayés foncent et arborent un ventre blanc. Quand ils craignent un adversaire et préfèrent afficher leur soumission, ils ont plutôt tendance à foncer.
Ce changement de couleur serait donc, en quelque sorte, un moyen de communiquer avec leurs congénères.
par Jennifer Matas
1 réponse to “Le mérou de Nassau”
19.03.2021
BoscOn m’a souvent vanté ce poisson si merveilleux, dont la chair était si délicieuse! Encore un conte de plus…
Pub, comme d’habitude.