Avec ses 7025 km, l’Amazone est le plus long fleuve au monde. Il sillonne trois pays différents – le Pérou où il prend sa source dans la Cordillère des Andes, la Colombie puis le Brésil où il se jette dans l’océan Atlantique – et draine pas moins de 6 millions de kilomètres carrés au total.
Les dauphins de l’Amazone
Une faune extrêmement variée vit dans ces eaux, y compris des cétacés. En effet, deux espèces de dauphins nagent dans l’Amazone :
- Le dauphin rose de l’Amazone, aussi surnommé « Boto » par les locaux (Inia geoffrensis) ;
- Le dauphin de l’Orénoque ou Tucuxi (Sotalia fluviatilis).
Ces dauphins font partie du folklore, de nombreuses légendes parlent d’eux. La plus célèbre concerne le Boto : d’après elle, certains Botos seraient enchantés et auraient le pouvoir de se transformer en beaux jeunes hommes pour séduire les jeunes filles à la nuit tombée, et les emporter dans leur royaume aquatique.
Loin de ces histoires, la réalité est plus dure. Le dauphin rose de l’Amazone est classé « en danger » d’extinction (EN) par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et si l’on manque de données suffisantes pour son comparse, le dauphin de l’Orénoque, tout porte à croire que sa situation est tout aussi critique.
Déclin fulgurant de leurs populations
Une étude parue le 2 mai 2018 dans PLoS One montre « un déclin profond et soutenu de la population de ces deux cétacés ». Les scientifiques se sont intéressés aux dauphins vivant dans la réserve de Mamirauà, au Brésil, et ont étudié l’évolution de leurs populations au cours des deux dernières décennies.
Ces deux espèces étaient autrefois très répandues dans l’Amazone. Mais sous la pression de menaces fortes, ces dauphins se font de plus en plus rares. Dans la zone étudiée, le Boto aurait ainsi perdu 94 % de sa population entre 1994 et 2017, et le dauphin de l’Orénoque 97 %. Autrement dit, ils ont quasiment disparu de la région.
Cette étude est fondamentale car il s’agit de l’une des seules à avoir étudié sur le long terme et de façon constante ces mammifères marins. Surtout qu’ils sont très difficiles à observer et à recenser tant les eaux troubles de l’Amazone et son immense superficie rendent la tâche difficile aux chercheurs.
Heureusement, ces dauphins ont besoin de remonter à la surface toutes les deux minutes pour respirer avant de disparaître à nouveau. Cette remontée régulière a permis aux auteurs de l’étude de quantifier les populations dans la zone et de fournir de précieuses données, dans un domaine jusqu’alors peu documenté.
Des dauphins utilisés comme appâts
Lorsqu’ils démarrent leur étude en 1994, les dauphins sont nombreux et il ne se passe aucune sortie en bateau sans que l’équipe n’en aperçoive. Aujourd’hui, la donne a changé. Pour les spécialistes, la chasse et la pêche sont les principales responsables de ce déclin rapide.
Guillaume Marchand, docteur en géographie, a passé plusieurs mois à étudier les conflits entre la faune et l’homme en Amazonie brésilienne. Il s’est notamment intéressé aux relations entre les pêcheurs et les prédateurs fluviaux. D’après lui, le développement de nouvelles techniques de pêche a réduit drastiquement les populations de dauphins dans le secteur.
« Auparavant, l’utilisation de filets était très peu répandue, mais cela a commencé à se démocratiser à partir des années 1990-2000, explique-t-il. Les pêcheurs posent leurs filets puis viennent les récupérer plus tard, laissant le champ libre aux dauphins, loutres et caïmans pour venir se servir librement pendant leur absence. » Les dauphins sont donc devenus des concurrents des pêcheurs, qui n’ont pas hésité à les abattre en nombre. Les croyances selon lesquelles tuer un Boto porterait malheur sont désormais bien loin.
Il arrive aussi parfois que ces cétacés se retrouvent piégés dans ces filets maillants et finissent par se noyer. Les dauphins de l’Amazone sont également capturés puis tués pour appâter une espèce de poisson-chat nécrophage : le piracatinga (Calophysus macropterus). « Ce poisson est surtout consommé dans des pays voisins, Colombie en tête », précise Guillaume Marchand. Il a commencé à être pêché pour remplacer le capaz (Pimelodus grosskopfii), un autre poisson très apprécié mais devenu rare tant les stocks disponibles ont été épuisés.
Besoin de mesures urgentes
Les auteurs de l’étude de 2018 ont confirmé que de telles pratiques existaient en observant chez plusieurs individus des blessures caractéristiques. Il s’agissait surtout de cicatrices provoquées par la main de l’homme, à l’aide de harpons ou de machettes.
Seuls les Botos sont concernés par cette pratique, mais les dauphins de l’Orénoque n’en sont pas moins menacés pour autant. La capture accidentelle dans les filets de pêche nuit gravement à l’espèce.
La pollution des eaux, causée par le ruissellement d’engrais utilisés dans l’agriculture et l’activité minière, menace aussi ces mammifères d’eau douce. Malgré toutes ces menaces et le déclin de leurs populations, peu d’actions sont menées pour leur conservation. Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme, avertissant que l’absence de réaction serait dramatique.
« Si les cétacés d’eau douce d’Amérique du Sud veulent éviter de suivre le même chemin que leurs homologues asiatiques, des mesures de conservation efficaces sont nécessaires immédiatement », concluent-ils.
par Jennifer Matas
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