Parmi les merveilles de la faune sauvage africaine, les primates constituent l’une des familles les plus riches et les plus menacées. Si on entend régulièrement parler des « grands singes » comme le gorille ou le chimpanzé, les colobes sont en revanche beaucoup plus rares dans les médias. Pourtant parmi eux, le genre Piliocolobus, les colobes bai ou rouges, sont sans doute les singes les plus menacés d’Afrique avec 17 espèces sur la liste rouge de l’UICN. Sabrina Krief, primatologue au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), nous aide à en savoir plus sur eux.
Les colobes rouges, qui sont-ils ?
Des espèces bien connues des chercheurs mais pas du grand public
« Il y a plus de 500 espèces de primates et lorsqu’on interroge le grand public, en général, la plupart ne peut citer que 5 ou 6 espèces, déplore la primatologue qui travaille depuis 22 ans en Afrique et étudie notamment les chimpanzés sauvages en Ouganda. D’autre part, même pour des espèces bien connues et affectionnées du public, le statut de menaces de celles-ci est méconnu. » On estime que l’Afrique continentale compte un peu plus de 100 espèces de primates dont plus d’une vingtaine de colobes et parmi eux, 17 colobes bais, rouges ou roux (les trois appellations sont utilisées) du genre Piliocolobus.
« En revanche, je pense que les colobes sont relativement bien connus des chercheurs (comparativement à d’autres espèces de primates). Par exemple, de nombreuses études sur les colobes bais et les colobes guerezas ont été conduites notamment dans le parc national de Kibale [NDLR : situé dans l’Ouest de l’Ouganda]. Cependant, comme pour toutes les espèces de primates, les études en milieu naturel sont difficiles à mettre en oeuvre car les zones sont reculées, peu accessibles et parfois en zones de conflits. Rappelons que nous avons découvert il y a seulement trois ans une nouvelle espèce d’orang-outan ! »
Deux particularités distinguent les colobes des autres primates : ils ne possèdent pas de pouce et leur système digestif est plus proche de celui des ruminants que du nôtre. Ils sont d’ailleurs folivores. « Les colobes, avec leur estomac polysacculé, ont de longs temps de digestion, un peu comme des vaches qui ruminent. Ils ne se déplacent pas sur de longues distances, les feuilles d’arbres qu’ils apprécient étant disponibles dans leur environnement proche. Cela contraste avec les activités des frugivores ou des insectivores qui passent beaucoup plus de temps à chercher leur alimentation », constate Sabrina Krief.
Les colobes roux, des espèces menacées
Parmi les 17 espèces du genre Piliocolobus, quatre sont vulnérables à l’extinction (VU) : le colobe rouge de Semliki (Piliocolobus semlikiensis), le colobe rouge d’Oustalet (Piliocolobus oustaleti), le colobe bai d’Iringa (Piliocolobus gordonorum), le colobe bai à mains noires (Piliocolobus tholloni).
Huit sont en danger d’extinction (EN) :
- Piliocolobus foai,
- Piliocolobus lulindicus,
- Piliocolobus kirkii ou colobe roux de Zanzibar,
- Piliocolobus badius ou colobe bai d’Afrique occidentale,
- Piliocolobus langi ou colobe rouge de Lang,
- Piliocolobus bouvieri ou colobe rouge de Bouvier,
- Piliocolobus parmentieri ou colobe rouge de Lomami,
- Piliocolobus tephrosceles ou colobe d’Ouganda.
Et enfin, cinq sont à la dernière marche avant l’extinction à l’état sauvage (CR) : Piliocolobus pennantii, Piliocolobus preussi (ou colobe roux du Cameroun), Piliocolobus rufomitratus (ou colobe bai à tête rousse), Piliocolobus epieni (colobe bai nigérien) et Piliocolobus waldroni (colobe bai de Miss Waldron).
Les différentes aires de répartition des colobes bais
Au niveau de la répartition géographique, les colobes rouges sont des primates arboricoles qui vivent surtout dans les forêts primaires et secondaires d’Afrique centrale. On peut en trouver parfois aussi dans les mangroves comme le colobe roux de Zanzibar mais ils évitent en général les forêts inondables. La République démocratique du Congo compte à elle seule sept espèces de colobes bais, dont six endémiques.
L’aire de répartition des différentes espèces de colobes bais chevauche celles de 85 % des autres espèces de primates d’Afrique. Une densité importante qui n’est pas problématique en temps normal : « Il est extraordinaire de voir comme 10 ou 12 espèces de primates peuvent vivre en sympatrie, c’est à dire partager un habitat et des ressources alimentaires sans se nuire. […] Chacun a sa niche écologique et les espèces de primates parviennent à cohabiter sans peine, parfois même à coopérer pour détecter les prédateurs… si leur habitat est en bonne santé. »
Malheureusement, même si elle est moins médiatisée que l’Amazonie, la forêt tropicale africaine court également un grand danger : coupes massives, feux de forêt, développement de routes et de l’industrie minière…
Ces menaces impactent la symbiose des primates : « Si les ressources viennent à manquer à cause d’une sécheresse par exemple, la compétition s’intensifie, analyse Sabrina Krief. Les colobes subissent aussi parfois une forte pression de prédation… Par exemple, dans le parc national de Kibale en Ouganda, ils sont les proies favorites des chimpanzés, surtout de la communauté de Ngogo. Mais pour les chasser, les chimpanzés doivent déployer des stratégies, des alliances et de la coopération. Les parties de chasse ne sont pas si fréquentes, les chimpanzés étant principalement végétariens. Dans le nord du parc où je travaille, certains groupes de colobes ont mis en place des défenses très efficaces contre les chimpanzés. Les grands mâles se rassemblent et, ensemble, attaquent les chimpanzés. Bien que les colobes bais soient abondants dans la forêt de Sebitoli, il est extrêmement rare que les chimpanzés les chassent ! »
Pourquoi les colobes sont-ils autant menacés ?
Déforestation et fragmentation de l’habitat
Comme pour tous les primates, la perte de leur habitat est la menace principale qui pèse sur ces cercopithèques. Le groupe de travail du « Red Colobus Conservation Action Plan » (ReCAP) précise à leur sujet : « ils sont généralement l’une des premières espèces à disparaître dans les habitats perturbés et les premiers indicateurs du déclin d’un écosystème sain ». La disparition des colobes est donc symptomatique de l’état de santé d’une biodiversité d’un pays.
En Afrique, la déforestation cause de grands dégâts. La République démocratique du Congo, la Tanzanie, le Zimbabwe et le Nigéria ont chacun détruit entre 250 000 et 500 000 hectares de superficie forestière par an ces 25 dernières années.
Régulièrement en Ouganda pour ses recherches, Sabrina Krief connaît bien cette réalité. « La principale cause de déforestation des forêts tropicales où vivent les primates est l’agriculture intensive et l’élevage. En Amérique, l’élevage et la culture du soja, en Asie du Sud Est la culture de palmiers à huile font partie des causes principales de déforestation. En Afrique, ces cultures et l’élevage sont moins fréquents, mais la forêt laisse aussi place à des monocultures de thé, de maïs, de cacao, de café qui empiètent sur l’habitat des primates. Ce sont surtout ces cultures intensives induisant des coupes rases et faisant usage de pesticides pour répondre à la demande et à la consommation mondiale, qui anéantissent la biodiversité et non pas les petites exploitations familiales traditionnelles. […] L’exploitation forestière et minière, et la construction d’infrastructures telles que les routes sont aussi responsables de la fragmentation des habitats des primates et les menacent. »
Mais la primatologue a dernièrement pris conscience d’une autre problématique qui est pourtant un fléau mondial : la pollution chimique et plastique. « Dans les poils de chimpanzés et de colobes guereza sauvages de Sebitoli que nous avons analysés, nous avons trouvé du bisphenol A et S, probablement issus de la pollution plastique émanant de la route qui traverse le parc. » (Krief et al 2020).
La chasse
L’autre grande menace est la chasse. Les experts du ReCAP expliquent que s’ils sont particulièrement recherchés pour la viande de brousse c’est parce que les colobes bais sont lents, de grande taille et donc bien visibles. Ces caractéristiques en font souvent les premiers grands mammifères à disparaître d’une zone à cause de la viande de brousse.
Sabrina Krief confirme : « La chasse pour la viande ou le commerce d’animaux vivants est une des menaces principales qui pèsent sur les primates. Et là encore, les statuts de protection (UICN, CITES) sont le plus souvent méconnus et le braconnage ou le commerce des espèces sauvages est rarement punis d’amendes ou des peines de prison qui sont pourtant souvent prévues dans les lois nationales. »
Les colobes bais, des espèces dîtes « Cendrillon »
A défaut d’être une espèce emblématique, le groupe de chercheurs du ReCAP a baptisé le genre Piliocolobus d’espèce « Cendrillon, physiquement attrayante pour les humains mais pas promue comme espèce phare ». Une allusion aux animaux dans l’ombre, dont la conservation est peu médiatique contrairement aux espèces plus connues comme le panda géant, les tigres, les orangs-outans ou les gorilles.
Si les colobes guéréza sont visibles en France dans certains parcs animaliers, rares sont ceux qui ont déjà vu un colobe bai ! Même en milieu naturel, certaines espèces n’ont pas été observées depuis un moment. Par exemple, Piliocolobus waldroni, le colobe bai de Miss Waldron a été identifié comme une espèce à part en 1933 mais n’a pas été aperçu avec certitude depuis 1978. Récemment, des chasseurs prétendaient avoir vu des spécimens, mais sans preuve formelle.
Dans un article daté de décembre 2019, le journal Mongabay expliquait qu’un dernier effort était en cours « pour retrouver le colobe rouge de Miss Waldron dans les forêts du sud-est de la Côte d’Ivoire. En cas d’échec, ce singe deviendra l’année prochaine le premier primate à être officiellement déclaré éteint depuis plus de 100 ans ». 2020 s’achève bientôt et pour le moment l’espèce est toujours en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’UICN.
Autre exemple, le colobe rouge de Bouvier (Piliocolobus bouvieri) a pour sa part été redécouvert en mars 2015 dans le Parc National Ntokou-Pikounda en République du Congo, alors que certains commençaient à douter de son existence. Décrit en 1887, il n’avait pas été observé dans la nature depuis 30 ans !
2 Réponses to “Les colobes bais, les singes les plus menacés d’Afrique”
30.10.2020
Mpaka EphremMerci pour cette information très pertinente sur le colobes rouge. Je suis en RD Congo entrain de travailler dans une aire protégée. Dans cette zone la cause principale le mortalité de cette espèce est due à sa mode de vie. Elle n’est pas vraiment discrètes un individu tombe par terre les autres ont toujours tendance à chercher le cadavre. Dans cette distraction ils sont facilement menacées. C’est important d’envisager les mesures adéquates pour sa protection.
03.11.2020
Hiol Hiol FrançoisTrès utile