Le Ministère de l’Environnement malgache a donné son accord : un demi-millier de tortues rayonnées (Astrochelys radiata) seront très bientôt réintroduites dans leur milieu naturel, à Madagascar. Après avoir réchappé de peu à un trafic, un avenir bien meilleur s’offre donc à elles.
Trafic illégal international
Un triste sort attendait en effet ces tortues. Retrouvées par les autorités à Tuléar en septembre 2018, elles auraient probablement été envoyées en Asie pour être consommées ou pour enrichir une collection d’animaux sauvages dans cette partie du monde, en Europe ou en Amérique du Nord. « Le site de Tuléar – il n’y a encore pas si longtemps en plein cœur de l’aire de répartition de l’espèce – est propice à ce type de trafic, explique le Dr. Antoine Cadi, président de la SOPTOM (Station d’Observation et de Protection des Tortues et de leurs Milieux), en charge de la réintroduction avec l’Association de Sauvegarde de l’Environnement (ASE). Son port en eaux profondes permet de facilement embarquer de grandes quantités de tortues en fond de cale et de prendre la mer. »
En 2018, ce ne sont pas une mais deux saisies record de tortues rayonnées qui ont été faites par les autorités dans les environs. La première, en avril 2018, a conduit à la saisie de plus de 11.000 individus et la seconde, en septembre, à près de 10.000. « Au total, on estime que 15 % à 20 % des tortues rayonnées restantes dans la nature ont été prélevées. Ces chiffres ont de quoi donner le tournis… »
On estime que 15 % à 20 % des tortues rayonnées restantes dans la nature ont été prélevées.
A chaque fois, les associations se sont retrouvées débordées par ces nouveaux arrivants, souvent affaiblis et en mauvaise santé. « Impossible pour nous de les relâcher tout de suite dans la nature car après autant de temps de détention, ils auraient très bien pu contracter des parasitoses ou des viroses qui risqueraient de contaminer les populations sauvages », détaille Dr. Antoine Cadi. Turtle Survival Association (TSA) ou encore la SOPTOM ont donc récupéré plusieurs milliers de tortues et s’en sont occupées jusqu’à aujourd’hui.
Réintroduire 500 tortues
De son côté, la SOPTOM a accueilli 2000 tortues issues de cette deuxième saisie. Après les avoir soignées et nourries depuis bientôt 3 ans, les vétérinaires de l’association en ont sélectionnées 500 pour être réintroduites dans la nature.
« Dès leur arrivée, nous avons marqué toutes les tortues et avons suivi leur courbe de croissance et de prise de poids. Ces indicateurs nous ont permis d’identifier 500 des 2000 tortues accueillies par la SOPTOM pour la réintroduction », poursuit le président de l’association.
Cette opération d’envergure – relâcher autant de tortues terrestres d’un coup est un événement rarissime – aura lieu en automne 2021. « Cela aurait dû se faire en 2020, mais la crise sanitaire a tout retardé », précise Antoine Cadi. Elle se déroulera dans une zone surveillée de l’aire de répartition de l’espèce, à proximité d’un des parcs nationaux du Sud Ouest de la Grande Ile. L’opération est montée en collaboration étroite avec la DREDD et Madagascar National Parks, et respectera le protocole strict mis sur pied par la SOPTOM et ASE en adéquation avec les réglementations nationales.
« Dans un premier temps, les tortues seront dans un enclos d’acclimatation de 2,5 hectares conçu exprès, situé dans la zone de relâché. Elles y resteront quelques semaines voire quelques mois, puis nous retirerons l’enclos et les animaux pourront progressivement se fondre dans leur écosystème », explique le Dr. Antoine Cadi.
Appel à l’aide
Si elle est un succès, cette méthode douce pourra être réutilisée pour d’autres relâchés massifs de tortues, l’enclos d’acclimatation ayant été pensé pour pouvoir être réemployé.
« L’objectif, c’est de réintroduire le plus de tortues possible, dans de bonnes conditions, reprend le président de la SOPTOM, car des milliers de tortues restent encore dans les centres de soin et pourraient un jour retrouver leur milieu naturel. Cela signifie relâcher des tortues en bonne santé dans des zones surveillées où elles ne risquent pas de retomber dans les mains des braconniers. »
Par ailleurs, chaque tortue relâchée sera suivie par les équipes : toutes seront marquées sur les écailles pour être facilement identifiées et équipées d’une puce introduite dans la cavité par les vétérinaires. Certains individus seront également dotés d’un émetteur télémétrique pour assurer un suivi précis jusqu’à 2 ans après la réintroduction.
Soutenue en partie par le Critical Ecosystem Partnership Fund (CEPF), la SOPTOM a encore besoin de soutiens financiers pour assurer cette réintroduction. L’association lancera prochainement une campagne de crowdfunding pour collecter les 9.000 euros manquants. En attendant, il est possible de faire directement un don à l’association ici pour les tortues rayonnées de Madagascar.
La tortue rayonnée (Astrochelys radiata)
Endémique de Madagascar, Astrochelys radiata est l’une des 5 espèces de tortues terrestres qui ne vivent que dans cette grande île du large du Mozambique et nulle part ailleurs. Toutes sont menacées de disparition, en particulier tortue rayonnée ou tortue étoilée, classée « en danger critique » d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
« C’est une tortue emblématique de Madagascar, qui vit dans des milieux plutôt arborés voire forestiers, près de la côte sud et sud-est », raconte le Dr. Antoine Cadi. Son déclin a malheureusement été foudroyant : « Au cours des dernières années, les populations sont passées de plusieurs millions à quelques centaines de milliers ».
Malgré tout, la tortue rayonnée reste assez facilement observable par les locaux, car elle s’établit volontiers autour des villages et il n’est pas rare de l’apercevoir. Recherchée pour sa chair et les collectionneurs, elle est malheureusement victime d’un important trafic. « Avec la pandémie et la fermeture des frontières, il est possible que le braconnage de grande envergure soit plus compliqué », avance le président de la SOPTOM.
En revanche, les craintes se tournent vers le braconnage de subsistance, alors que la crise sanitaire a privé Madagascar des revenus liés au tourisme et plongé le pays dans une grave crise économique. « Nous travaillons avec les villageois pour les impliquer dans la protection des tortues et plus globalement de la nature. Il faut qu’ils se saisissent de ces questions qui les concernent directement, reprend Antoine Cadi. Protéger cette nature, c’est protéger un patrimoine commun sans lequel il n’y a pas d’avenir. »
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