On imagine plutôt les petits rongeurs cachés sous les hautes herbes de prairies ou dans les recoins de vielles maisons. Mais il en existe aussi qui vivent près de cours d’eau et ont adopté un mode de vie semi-aquatique. C’est le cas du campagnol amphibie. Cette espèce – Arvicola sapidus – est aujourd’hui considérée comme menacée. Autrefois commune, elle vit en France, en Espagne et au Portugal, mais bien peu de gens la connaissent.
Description du campagnol amphibie
Il existe plusieurs espèces de campagnols dans le monde, ainsi qu’en France. Toutes n’appartiennent pas au même genre. Le campagnol amphibie est du genre Arvicola, qui regroupe les plus gros campagnols européens. Son cousin le campagnol terrestre appartient au même genre. D’ailleurs, on le scinde en deux groupes :
- le campagnol terrestre forme fouisseuse : il vit dans des galeries souterraines qu’il creuse lui-même ou qu’il colonise (taupes), plutôt dans des prairies ;
- le campagnol terrestre forme aquatique, dont le mode de vie est sensiblement proche de celui du campagnol amphibie.
Caractéristiques physiques
Bien qu’il vive dans les zones humides et soit un excellent nageur, le campagnol amphibie n’a pas d’adaptations physiques particulières à la vie aquatique. Ses pattes ne sont pas palmées, par exemple. Il ressemble en fait fortement aux autres campagnols européens, et notamment au campagnol terrestre qu’il est très difficile de distinguer sans procéder à des analyses poussées.
En revanche, « sa fourrure est plus dense, ses oreilles plus petites et ses pattes arrières plus longues, ce qui sont des traits caractéristiques des animaux semi-aquatiques », souligne Franck Simonnet, chargé de mission « Etudes et conservation » au sein du Groupe Mammalogique Breton, qui a étudié l’espèce sur le terrain.
Tous deux ont un corps rond et plutôt trapu, recouvert d’une fourrure brune. Les adultes peuvent peser entre 150 et 300 grammes, ce qui les classe parmi les plus gros campagnols d’Europe. Quant à leur queue, celle-ci dépasse les 20 cm de long en moyenne.
Régime alimentaire
Arvicola sapidus se nourrit principalement des végétaux qu’il trouve dans son environnement : des herbacées des zones humides, des roseaux, de l’angélique, etc.
« Exceptionnellement, il peut manger des invertébrés comme des porte-bois qui sont les larves d’un insecte de l’ordre des trichoptères, et parfois même des petits escargots », complète Franck Simonnet.
A son tour, il est une proie pour bon nombre de prédateurs. Parmi eux, des rapaces tels que le busard des roseaux et parfois des chouettes effraies sur des juvéniles, mais aussi des mammifères comme le putois, le vison et la loutre. « Et probablement l’hermine, le héron et le renard aussi », ajoute le membre du Groupe Mammalogique Breton.
Comportement
On ignore encore beaucoup de choses à propos de cette espèce. « On ne s’y intéresse vraiment que depuis peu. La toute première plaquette pour alerter sur le déclin de cette espèce qu’on croyait commune ne date que de 2005. »
Il semblerait cependant que ce rongeur vive en petits groupes composés de quelques individus à quelques dizaines d’individus. Peu farouche, il sort la journée et peut donc facilement être observé. A condition, bien évidemment, de ne pas l’effrayer par des mouvements brusques.
Habitat
Arvicola sapidus est endémique de trois pays :
- la France,
- l’Espagne,
- le Portugal.
Ce rongeur semi-aquatique ne vit nulle part ailleurs. Et dans ces pays, il n’est pas présent partout. Mais on commence seulement depuis quelques années à étudier sa répartition afin de comprendre davantage comment fonctionne l’espèce et quels sont ses besoins.
« La Société Française pour l’Etude et la Protection des Mammifères (SFEPM) a initié une enquête nationale sur la période 2009-2014, coordonnée par Pierre Rigaux, qui a permis d’en apprendre plus. De notre côté, en Bretagne, montrent des populations abondantes en Finistère, Morbihan et Loire-Atlantique, conférant à la Bretagne une responsabilité nationale pour cette espèce. »
Comme son nom l’indique, le campagnol amphibie est inféodé aux milieux humides. On le trouve près des ruisseaux, dans les fossés humides, en bordure d’étangs, dans les prairies humides, etc.
« Le campagnol amphibie est davantage une espèce de zone humide que de cours d’eau. On le trouve surtout sur les berges. Il a réellement besoin d’une humidité importante… Faut que ça patauge ! », plaisante le spécialiste du Groupe Mammalogique Breton.
Statut et menaces
Il n’y a encore pas si longtemps, on pensait l’espèce commune, mais ce n’est plus le cas. Même si on ignore combien de campagnols amphibies vivent en France et dans le monde – car les recensements de populations sont extrêmement compliqués – on sait que leur habitat a régressé. L’UICN classe Arvicola sapidus dans la catégorie « vulnérable » (VU) à l’extinction, il s’agit donc d’une espèce menacée à l’échelle internationale. En France, son statut est « quasi-menacé », mais « mériterait d’être revu », estime Franck Simonnet.
Destruction de son habitat
Comme expliqué plus haut, le campagnol amphibie est inféodé aux zones humides : il ne peut vivre nulle part ailleurs. Hélas, ces biotopes sont souvent dégradés voire complètement détruits par les activités humaines.
Selon un rapport de la Convention Ramsar, les zones humides disparaissent en effet trois fois plus vite que les forêts sur Terre. Entre 1970 et 2015, plus du tiers des zones humides de la planète a disparu, et le phénomène s’accélère dans les années 2000.
L’habitat du campagnol amphibie n’y échappe pas : surpâturage et artificialisation des berges, assèchements des cours d’eau, construction d’infrastructures de type barrages ou centrales hydroélectriques… Les pressions sur le milieu naturel du petit rongeur sont légion.
« La déprise agricole joue aussi un rôle dans le déclin d’Arvicola sapidus, souligne Franck Simonnet. L’espèce est en effet liée à un milieu bien précis : les berges de cours d’eau à végétation herbacée. Finalement, dès qu’un fond de vallée est abandonné, que plus aucun grand herbivore ne l’entretient ou que l’homme ne le débroussaille plus, alors la forêt reprend le dessus et ce n’est plus un habitat favorable pour le campagnol amphibie. »
Pour trouver un juste équilibre, des travaux sont menés entre agriculteurs et gestionnaires des milieux naturels afin de déterminer quelles pratiques adopter pour entretenir l’habitat et préserver le campagnol amphibie.
En attendant, la conséquence de toutes ces menaces, c’est que l’aire de répartition du rongeur est désormais réduite et très fragmentée. « On se retrouve avec plusieurs petites colonies au sein desquelles, autrefois, des individus passaient de l’une à l’autre pour renouveler les populations. Aujourd’hui, plus les groupes sont éloignés, moins ce sera facile, en théorie. Des études pour connaître la capacité de dispersion sont en cours », continue le spécialiste.
Rare rongeur protégé de France
La plupart des rongeurs n’ont aucun statut particulier en France, mais ce n’est pas le cas du campagnol amphibie. L’espèce est en effet protégée depuis le 15 septembre 2012.
Sa protection permet aussi de protéger d’autres espèces reliées à lui par différentes interactions complexes.
« Dans le cadre d’actions de rétablissement d’une zone humide, nous suivions des travaux où un pelle mécanique devait enlever tout doucement de la terre pour permettre aux campagnols amphibies de s’enfuir, raconte Franck Simonnet. En faisant cela, nous nous sommes rendu compte que plein d’autres animaux utilisaient les galeries des campagnols : des crapauds, des lézards, des musaraignes aquatiques… ! »
Alors pour le protéger, le Groupe Mammalogique Breton creuse plusieurs pistes : réouverture des milieux où les saules se sont implantés, recul des clôtures du bétail… « Nous sommes en phase d’écriture des recommandations mais les grandes lignes sont connues : pour protéger le campagnol amphibie, il faut maintenir des zones de végétation herbacées en zone humide, entretenir la zone tout en faisant attention, et préserver la naturalité des cours d’eau en évitant le bétonnage ou l’enrochement qui appauvrissent la végétation. »
Reproduction
Malgré le fait que le campagnol amphibie soit une espèce menacée, il semble plutôt bien se reproduire, comme tous les rongeurs en règle générale. Une femelle peut avoir 3 à 4 portées par an avec, à chaque fois, 2 à 8 petits, la moyenne se situant à 3,5 petits par portée.
La reproduction en France se produit entre les mois d’avril et septembre, mais peut également subvenir en hiver, bien que cela reste rare.
En revanche, il ne vit pas longtemps. D’après Pierre Rigaux dans son enquête nationale citée plus haut (voir référence en fin d’article), « l’espérance de vie du campagnol amphibie serait autour de 4 mois pour les mâles et 5 mois pour les femelles ; seuls 7 % des mâles et 15 % des femelles dépasseraient l’âge de 1 an ». Ces chiffres proviennent d’études réalisées sur les populations espagnoles et mériteraient d’être vérifiés sur les campagnols amphibies de France.
En savoir plus sur le campagnol amphibie : « Les campagnols aquatiques en France, histoire, écologie, bilan de l’enquête 2009-2014 », Pierre Rigaux, SFEPM et « Les rongeurs de France », Jean-Pierre Quéré, Henri Le Louarn, éditions Quae, décembre 2011.
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