Lorsque les exploitants de canne à sucre ont relâché les premiers crapauds buffle en Australie en 1935, ils espéraient protéger leurs plantations contre les insectes ravageurs tels que le coléoptère Dermolepida albohirtum. Ils ne s’attendaient certainement à ce que non seulement cette tactique échoue, mais qu’en plus, elle aboutisse quelques décennies plus tard à une telle prolifération.
Pullulation et cannibalisme
Aujourd’hui, le pays est débordé de toutes parts par cette espèce envahissante qui s’est reproduit à vitesse grand V : il en existerait plus de 200 millions sur le territoire ! Problème, en plus d’être extrêmement vorace et d’avoir contribuer au déclin de nombreux animaux – petits mammifères, oiseaux et reptiles –, le crapaud buffle continue de pulluler, car le poison qu’il sécrète le rend immangeable pour bon nombre de prédateurs potentiels. Même les têtards sont toxiques, ce qui rend l’espèce quasi-intouchable dès son plus jeune âge.
Mais les scientifiques viennent de découvrir que l’espèce pourrait se réguler elle-même, grâce à une évolution rapide de son comportement : le cannibalisme ! Une étude parue le 23 août 2021 dans PNAS révèle que les crapauds buffles – en particulier lorsqu’ils sont encore têtards – ont développé une forte attirance pour leurs congénères nouveau-nés.
Et leur appétit est vorace, à l’instar de celui des adultes. Quelques têtards peuvent ainsi engloutir plus de 99 % des nouveau-nés – issus de plusieurs dizaines de milliers d’œufs – d’une couvée.
Un comportement pas nouveau
Bien qu’étonnant, le développement du cannibalisme au sein de cette espèce n’est en réalité par inédit. Toutefois, il est beaucoup plus développé chez les crapauds australiens que chez les individus d’Amérique du Sud.
Autrement dit, les crapauds introduits sont davantage cannibales que les crapauds restés dans leur aire de répartition d’origine. Pour le vérifier, les scientifiques ont mené des expériences à la fois sur des individus australiens et de Guyane française. Chaque têtard était ensuite placé devant des nouveau-nés de son espèce. Une expérience renouvelée plusieurs centaines de fois et qui a abouti au résultat sans appel : les australiens sont 2,6 fois plus cannibales que les sud-américains.
Alors, pourquoi un tel changement de comportement ? La piste génétique est retenue, mais la vitesse à laquelle est apparue ce nouveau comportement – à l’échelle d’une vie humaine soit environ 80 ans ! – étonne. La compétition entre individus de cette même espèce, devenus beaucoup trop nombreux, joue nécessairement un rôle de premier ordre. « Les crapauds buffles se disputent les mêmes ressources. Ils sont devenus si abondants qu’ils font face à plus de pression évolutive les uns par rapport aux autres », explique dans Nature Jayna DeVore, biologiste des espèces envahissantes et co-auteure de l’étude.
Réponse évolutive des jeunes crapauds
L’autre fait tout aussi étonnant qui a surpris les scientifiques, c’est que les nouveau-nés crapauds buffle, cibles privilégiées de leurs aînés cannibales, ont déjà évolué de leur côté pour se défendre !
Lorsqu’ils se retrouvent en présence de têtards plus âgés, ces derniers auraient en effet tendance à écourter la durée de leur phase de développement pour grandir plus vite et rester le moins possible à l’état de nouveau-né. Car c’est durant cette période qu’ils sont les plus exposés au risque de se faire manger par un aîné.
La contrepartie, c’est que la croissance des têtards dure au final plus longtemps, étant donné que cette première phase de développement est raccourcie. Au rythme où cette espèce évolue, qui sait ce que les prochaines décennies nous réservent ?
0 réponse à “Les crapauds buffles d’Australie deviennent cannibales”