Le projet est faramineux : 62 éoliennes installées offshore sur une superficie totale d’environ 100 km². Montant de l’investissement : 2,5 milliards d’euros. Ce chantier, mené par Ailes Marines, une filiale de la multinationale espagnole Iberdrola, est l’un des neuf projets éoliens lancés sur les côtes françaises. Car les énergies marines renouvelables (EMR) sont l’un des fers de lance de la politique énergétique du gouvernement, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050 conformément au Pacte Vert européen et 40 % d’énergie renouvelable d’ici 2030. Problème : la baie de Saint-Brieuc où il s’est installé est un joyau de biodiversité.
Au cœur d’une nature préservée
« La baie de Saint-Brieuc est grandiose : il suffit de regarder l’horizon depuis le Cap Fréhel pour s’en rendre compte. Alors, imaginer 62 éoliennes qui feront la taille de la tour Montparnasse dans ce décor, c’est un vrai saccage », regrette Lamya Essemlali. La présidente de Sea Shepherd France n’a pas l’intention de laisser faire sans rien dire. Avec l’association Gardez les Caps, elle a déposé un recours pour faire annuler l’arrêté préfectoral délivré en 2017 à Iberdrola pour les 59 dérogations de destruction d’espèces protégées : 54 espèces d’oiseaux et 5 espèces de mammifères marins (voir la liste complète en fin d’article).
En réalité, bien plus d’espèces protégées vivraient dans cette zone. Entre celles qui ne font que passer, celles qui s’y rendent de façon occasionnelle et celles qui y vivent à l’année, la liste est longue. « Si on considère que la zone s’étend de l’Ile-de-Bréhat jusqu’au Cap Fréhel, cela englobe énormément d’espèces, confirme Yann Février, ornithologue, chargé de mission au Groupe d’Etudes Ornithologiques des Côtes-d’Armor (GEOCA). Rien que sur les espèces migratrices, il faut savoir que la Manche est un couloir très important entre la Grande-Bretagne et le reste de l’Europe. C’est un véritable goulet d’étranglement pour tous les animaux migrateurs qui veulent rejoindre le Sud par la voie marine. » Des milliers d’oiseaux, de chauves-souris et d’animaux marins, dont des cétacés, empruntent ces voies chaque année.
D’ailleurs, plusieurs aires protégées entourent le chantier d’Iberdrola. A commencer par deux zones Natura 2000 – Baie de Saint-Brieuc Est et Cap d’Erquy-Cap Fréhel – dont la première se situe à seulement 450 mètres des premières éoliennes. Plus loin en mer se trouve également la réserve naturelle nationale des Sept-Iles, plus grande réserve ornithologique de Bretagne et premier espace protégé par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) en 1912.
Les oiseaux de la baie de Saint-Brieuc
La baie de Saint-Brieuc est un haut lieu pour l’avifaune. Si certaines sources parlent de 35.000 oiseaux issus de 112 espèces différentes, la réalité est sans doute plus importante. « C’est très difficile de réaliser des comptages précis, reconnaît l’ornithologue Yann Février. Mais il est très probable que la Baie de Saint-Brieuc soit visitée par 300 espèces différentes d’oiseaux, et plusieurs centaines de milliers d’individus. » Parmi eux, des oiseaux gravement menacés à l’échelle internationale ou nationale.
Le puffin des Baléares, en danger critique
L’espèce d’oiseau probablement la plus menacée dans la zone, c’est le puffin des Baléares. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) le classe « en danger critique » sur sa liste rouge mondiale, soit la dernière étape avant l’extinction en milieu sauvage. Or, la baie de Saint-Brieuc est un site de première importance pour cet oiseau marin, puisque 20 % de ses effectifs mondiaux s’y rendent en période internuptiale. La France va même lancer un Plan National d’Actions (PNA) sur la période 2021-2025 en vue de protéger cette espèce.
« Bien que cette espèce ne niche pas dans notre pays, la zone côtière d’Occitanie et notamment le golfe du Lion constitue une zone d’alimentation des colonies pendant la période de reproduction. Par ailleurs, la France accueille une fraction très importante de la population mondiale de puffins des Baléares en période internuptiale. En effet, plusieurs milliers d’individus séjournent sur les côtes atlantiques et notamment en Bretagne durant cette période. Ces deux éléments confèrent à notre pays une responsabilité particulière pour la préservation des sites d’alimentation et de migration de cette espèce », peut-on lire sur le site du ministère de la Transition Ecologique.
« D’un côté on lance un PNA et, de l’autre, on donne dérogation pour détruire l’espèce… C’est insensé, assène la présidente de Sea Shepherd France. D’autant que les mesures compensatoires prévues par Iberdrola sont dérisoires : il est question simplement de détecter depuis la côte, via un radar, les stationnements de puffins de Baléares pour en informer les navires du chantier éolien afin qu’ils puissent les éviter. Une mesure très dépendante de la météo et de la visibilité qui, en plus, ne tient pas compte des nuisances liées au bruit et à la présence de navires dans la zone. »
Les plongeons
Plusieurs espèces de plongeons peuplent également la zone, dont d’importantes populations de plongeons imbrins et de plongeons arctiques. « Les plongeons sont des oiseaux dont nous entendons peu parler, ce qui est regrettable, commente Yann Février. Surtout sur la question de l’éolien offshore, car ces espèces risquent fortement de pâtir des effets cumulatifs des différentes usines éoliennes prévues sur les côtes françaises. »
Ces oiseaux s’établissent dans des zones de hauts fonds, également choisies par les acteurs de l’éolien pour implanter leurs parcs. Or, la présence d’éoliennes dans leur habitat a un impact fort, comme le révèle une étude publiée en octobre 2018 : ils préfèrent éviter la zone jusqu’à 16 km autour des éoliennes, ce qui signifie une perte d’habitat pour ces oiseaux avec tout ce que cela peut engendrer pour des espèces déjà fragilisées par d’autres activités humaines.
Pingouin, guillemot de Troïl et bien d’autres
Dernière espèce de pingouin encore en vie dans le monde depuis la disparition du grand pingouin au XIXe siècle, le pingouin torda (Alca torda) habite également la Baie de Saint-Brieuc. Idem pour le guillemot de Troïl (Uria aalge).
« Ces deux espèces sont plus nombreuses en hiver et on connaît encore mal ces populations hivernantes. C’est dont difficile d’estimer à l’avance quel sera l’impact de ce projet, mais il est certain que la perte d’habitat induit par les effets cumulatifs des différents projets éoliens risque d’avoir des conséquences », reprend l’ornithologue de GEOCA.
La perte d’habitat n’est pas la seule menace de l’éolien marin pour les oiseaux. Le risque de collision, notamment en cas de météo mauvaise, est important. « Surtout sur les espèces terrestres migratrices, comme les chauves-souris par exemple. D’autant qu’un seul épisode de brouillard peut conduire à une forte mortalité en quelques jours », continue Yann Février. Et puis, les nuisances liées au trafic et autres activités annexes ne sont pas véritablement abordées.
Bien d’autres espèces d’oiseaux sont concernées : des mouettes, des goélands, des sternes, des macareux, des fous de Bassan, des cormorans, des hirondelles, des martinets…
Zoom sur les mammifères marins
Côté faune marine aussi, la liste des espèces est longue tant la biodiversité de la baie de Saint-Brieuc est riche. Mais ce sont surtout les mammifères marins qui préoccupent les opposants au projet éolien. D’abord, parce que « il s’agit de grands prédateurs, à la reproduction lente et tardive, donc la moindre menace peut rapidement avoir un impact », comme le souligne Auriane Virgili, ingénieure de recherche à l’Observatoire Pelagis. Et puis parce que les cétacés utilisent l’écholocation pour se repérer et communiquer, faisant de toute nuisance sonore une menace.
Le marsouin commun
C’est probablement l’un des mammifères marins les plus emblématiques de la baie de Saint-Brieuc : le marsouin. Celui qui nage dans ces eaux, Phocoena phocoena, est le plus petit cétacé d’Europe. Les adultes mesurent entre 1,40 et 1,70 m pour un poids moyen compris entre 40 et 60 kg.
« Plusieurs études ont été réalisées en mer du Nord pour connaître l’impact de l’éolien marin sur cette espèce – ce qui n’est pas le cas pour les autres cétacés – et leurs résultats divergent, explique Auriane Virgili. Tout dépend de la localisation des parcs, mais certaines études montrent une fuite de ces animaux jusqu’à 20 km autour de la source. Cela représente une importante zone d’exclusion. »
Les dauphins et baleines
L’espèce de dauphin la plus commune est probablement le grand dauphin, puisque la plus grande population résidente d’Europe nage dans ces eaux. « On parle de plusieurs centaines d’individus », glisse Sami Hassani, biologiste spécialiste des mammifères marins et directeur de l’association Conservation des Mammifères et des Oiseaux marins de Bretagne.
Mais plusieurs autres espèces de dauphins peuvent être observées dans la baie de Saint-Brieuc. « Il y a des espèces saisonnières comme le dauphin de Risso, présent surtout l’été et l’automne, tout comme le globicéphale noir, même si les observations sont moins nombreuses ces dernières années. Ces deux espèces se nourrissent beaucoup de céphalopodes, alors ils viennent dans la baie de Saint-Brieuc car la zone est riche en seiches et calamars. Enfin, il peut aussi y avoir des rorquals, plus au large, et depuis deux à trois ans s’observent aussi des baleines à bosse. Elles passent par la Manche et la mer du Nord pour regagner des contrées plus septentrionales », énumère Sami Hassani.
Des dauphins communs, des dauphins bleus et blancs et des dauphins à nez blanc peuvent aussi passer dans la zone.
Les phoques
Deux espèces de phoques, le veau-marin (Phoca vitulina) et le phoque gris (Halichoerus grypus), vivent également non loin.
« Les phoques veaux-marins prospectent pas mal dans la baie de Saint-Michel, qui n’est pas très éloignée. Et puis l’archipel des Sept-Iles est connu pour abriter l’une des plus importantes colonies de phoques gris », commente le biologiste spécialiste des mammifères marins.
Il existe seulement deux colonies de phoques gris en Bretagne : celle-ci et une autre dans l’archipel de Molène, dans le Finistère. La zone est donc de première importance pour la préservation de l’espèce.
Difficile, en revanche, de connaître à l’avance quels seront les impacts de l’usine éolienne sur ces animaux. « Un tel chantier ce n’est jamais anodin », rappelle Sami Hassani.
Les oiseaux marins concernés par la dérogation espèces protégées
- guillemot de Troïl (Uria aalge),
- macareux moine (Fratercula arctica),
- pingouin torda (Alca torda),
- fou de Bassan (Morus bassanus),
- fulmar boréal (Fulmarus glacialis),
- goéland argenté (Larus argentatus),
- goéland marin (Larus marinus),
- goéland brun (Larus fuscus),
- mouette pygmée (Larus minutus),
- mouette tridactyle (Rissa tridactyla),
- océanite tempête (Hydrobates pelagicus),
- plongeon arctique (Gavia arctica),
- plongeon imbrin (Gavia immer),
- puffin des Anglais (Puffinus puffinus),
- puffin des Baléares (Puffinus mauretanicus),
- sterne caugek (Sterna sandvicensis),
- aigrette garzette (Egretta garzetta),
- bécasseau variable (Calidris alpina),
- bergeronnette des ruisseaux (Motacilla cinerea),
- bergeronnette grise (Motacilla alba),
- bernache cravant (Brenta bernicla),
- cormoran huppé (Phalacrocorax aristotelis),
- faucon crécerelle (Faclo tinnunculus),
- faucon pèlerin (Falco perigrinus),
- foulque macroule (Fulica atra),
- goéland cendré (Larus canus),
- grand cormoran (Phalacrocorax carbo),
- grand labbe (Stercorarius skua),
- grèbe huppé (Podiceps cristalus),
- grès jougris (Podiceps grisegena),
- guifette noire (Childonias niger),
- harle huppé (Mergus serrator),
- héron cendré (Ardea cinerea),
- hirondelle de fenêtre (Delichon urbica),
- hirondelle de rivage (Riparia riparia),
- hirondelle rustique (Hirundo rustica),
- labbe parasite (Stercorarius parasiticus),
- linotte mélodieuse (Carduelis cannabina),
- martinet noir (Apus apus),
- mouette mélanocéphale (Larus melanocephalus),
- mouette rieuse (Larus ridibundus),
- pinson des arbres (Fringilla coelebs),
- pipit farlouse (Anthus pratensis),
- plongeon catmarin (Gavia stellata),
- puffin fuligineux (Puffinus griseus),
- rouge-gorge familier (Erithacus rubecula),
- sterne pierregarin (Sterna hirundo),
- troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes),
- grèbe à cou noir (Podiceps nigricollis),
- hibou des marais (Asio flammeus),
- rouge-queue noir (Phoenicurus achruros),
- sterne arctique (Sterna paradisaea),
- tadorne de Belon (Tadorna tadorna),
- tourne-pierre à collier (Arenaria interpres),
Liste des mammifères marins
- marsouin commun (Phocoena phocoena),
- grand dauphin (Tursiops truncatus),
- dauphin de Risso (Grampus griseus),
- dauphin commun (Delphinus delphis),
- phoque gris (Halichoerus grypus).
2 Réponses to “Dans la baie de Saint-Brieuc, les animaux sous le joug de l’éolien marin”
09.12.2021
PASQUIER ROLANDSegolene en 2016 grace a une note de celle ci certain animaux ne sont plus protégés.
Honteux les oiseaux souffrent des pales des éoliennes.
Plages de fonctionnement d’une éolienne
vitesse du vent pour produire au dessus de 40kh
ne fonctionne pas si le vent depasse 90kh.
05.12.2021
Yoann ANDREArticle qui donne un aperçu des effets que peuvent avoir un projet éolien offshore. Néanmoins, il est regrettable que l’on ne détaille pas plus la manière dont les différentes espèces sont potentiellement impactées. En effet, la perte d’habitat ressort comme conséquence de ces aménagement mais sans détail sur l’origine de ces conséquences. Pourquoi des pylônes détruiraient l’habitat d’oiseaux alors que des arbres (en milieu terrestre) ne le détruisent pas ? (bien sûr, j’exagère mais je trouve que l’article ne détaille pas assez ces éléments)