Quand on pense « sapin de Noël », on s’imagine un bel arbre originaire des forêts nordiques, recouvert d’aiguilles et décoré de boules et de guirlandes de toutes les couleurs en fin d’année. Mais saviez-vous qu’il s’agit aussi du nom d’une espèce de conifère ? Son nom scientifique est Araucaria luxurians. Il ne pousse naturellement qu’en Nouvelle-Calédonie, avec treize autres espèces du genre Araucaria. Malheureusement, il est menacé.
Un sapin du bord de mer
Le sapin de Noël (Araucaria luxurians) est un conifère présent sur les littoraux de la province sud et nord de Nouvelle-Calédonie. D’ailleurs, son autre nom est « sapin du bord de mer » ou « pin colonnaire du bord de mer ».
Il ne ressemble pas exactement à l’image qu’on peut se faire en Europe d’un sapin de Noël. Rectiligne, Araucaria luxurians s’érige en colonne de 20 à 30 mètres de haut une fois atteint l’âge adulte, entre 20 et 50 ans.
« S’il porte le nom de sapin de Noël, c’est parce qu’il s’agit d’un conifère dont les fruits qui portent les graines forment de grosses boules à son sommet. Des boules qui, entre décembre et janvier, avant d’exploser pour libérer les graines qui seront ensuite disséminées par le vent, deviennent rouge brunâtre et peuvent faire penser à un sapin décoré », explique Emilie Ducouret, chargée de mission conservation, programme de conservation et restauration de la forêt calédonienne au sein de l’association Noé*.
Des menaces toujours fortes
Cette espèce endémique de Nouvelle-Calédonie se reproduit plutôt bien – elle est d’ailleurs exploitée en sylviculture (environ 20.000 plants sur le territoire) – et elle vit longtemps. Certains spécimens atteignent les 500 ans ! Pourtant, elle est menacée.
D’après l’évaluation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui date de 2009, A. luxurians est classée « en danger » d’extinction. Mais depuis, des études de terrain menées en 2017 et confirmées par l’étude de Noé sur la Côte Oubliée en 2019 (voir plus bas), ont donné une meilleure connaissance de l’espèce et de son occurrence, et montré qu’au lieu d’être moins de 2500 ils seraient en réalité 8000 individus dans la nature. A l’échelle de la Nouvelle-Calédonie, l’espèce est donc classée « vulnérable ».
Activités minières
C’est un fait bien connu, la Nouvelle-Calédonie dispose d’un sol riche en ressources. Justement, « le sapin de Noël, quand il pousse naturellement, est inféodé aux substrats ultramafiques, qu’on appelle aussi ultrabasiques, explique Emilie Ducouret. Il s’agit de sols riches en métaux lourds comme le nickel, le chrome, le cobalt ou encore le manganèse, des ressources recherchées par les exploitants miniers ». Résultat, de nombreuses populations de sapins de Noël se trouvent aujourd’hui sur des cadastres miniers actifs : « environ 36 % des occurrences connues » a noté la chargée de mission chez Noé.
Or, les exploitations minières sont à ciel ouvert, ce qui implique en général de faire table-rase de la végétation alentour. « A l’heure actuelle, peu sont en exploitation, à l’exception de certaines situées à proximité de petites populations isolées à la Tontouta, à Canala, et dans le Grand Sud. La menace existe, mais elle reste encore relative. Nous restons vigilants », poursuit Emilie Ducouret.
Incendies
En revanche, les incendies constituent une menace bien plus forte et fréquente. Et malheureusement, ils sont quasiment toujours d’origine humaine.
« Ce sont des mégots de cigarette jetés sur le bord de la route ou de l’écobuage non maîtrisé… Dans tous les cas, ces feux détruisent chaque année jusqu’à 30.000 hectares en Nouvelle-Calédonie. C’est véritablement la principale menace pour A. luxurians. »
D’autant que les maquis dans lesquels se trouve cet arbre sont les zones les plus sensibles aux incendies en Nouvelle-Calédonie. Même s’ils ne ravagent pas forcément toute la forêt, ces derniers « dégradent les formations pré-forestières de lisières dans lesquelles des plantules pourraient s’installer », détaille Emilie Ducouret dans le Plan d’actions pour A. luxurians par l’association Noé (lire ici).
Espèces exotiques envahissantes
Autre menace prise au sérieux : les espèces exotiques envahissantes. Trois types de mammifères introduits par l’homme sont dans le collimateur : deux espèces de rats (le rat noir et le rat du Pacifique), le cochon ensauvagé et le cerf.
« Il a été observé que les rats mangeaient les graines des Araucaria. Les cochons, de leur côté, peuvent aussi manger des graines mais surtout, ils déracinent les jeunes plantules pendant leur fouille et empêchent la régénération de toute la forêt, et pas seulement du sapin de Noël. Quant aux cerfs, ils broutent toutes les espèces végétales », énumère la chargée de mission pour Noé.
Efforts de conservation
Aujourd’hui, les populations de sapins de Noël sont fragmentées, ce qui accroît le risque de dégénérescence, faute de diversité génétique. « Le vent ne porte pas bien loin des graines et le pollen, et certaines populations sont tellement isolées qu’il y a un réel risque pour la survie de l’espèce. Nous avons estimé qu’à partir de 2 kilomètres d’éloignement, nous pouvions parler de fragmentation. »
Rôle écosystémique
Il est donc urgent de l’aider à se rétablir. D’autant que le sapin de Noël est très important dans son écosystème. Avec ses 20 à 30 mètres de haut pointant vers le ciel capables de résister à des cyclones sans casser, il développe un réseau racinaire profond qui aide à stabiliser le substrat et limite l’érosion des sols.
« Nous avons aussi observé qu’il servait de refuge à plusieurs espèces d’animaux. Deux roussettes – Pteropus ornatus et Pteropus tonganus – peuvent y faire leur nid quand la population d’arbres est suffisamment grande, car nous parlons d’une centaine de grandes chauves-souris par colonie en moyenne. Les frégates du Pacifique (Fregata minor) ainsi que les balbuzards pêcheurs (Pandion haliaetus) peuvent également s’y abriter », commente Emilie Ducouret.
Protégé dans deux provinces
Présent uniquement en Nouvelle-Calédonie, Araucaria luxurians n’a actuellement aucune protection internationale. En revanche, l’espèce est protégée dans les deux provinces néo-calédoniennes où elle vit. La loi interdit donc à quiconque de l’abattre, de dégrader son milieu et de faire sortir du territoire sans autorisation des plantules.
Des exceptions existent cependant, pour les activités minières notamment qui, si elles détruisent des espèces protégées, sont censées s’engager à prendre des mesures compensatoires. « Mais cela ne concerne pas A. luxurians, car les cadastres miniers se réfèrent à la liste des espèces rares et menacées établie à l’échelle du gouvernement. Or, cet arbre, même s’il est protégé dans deux des trois provinces, n’y figure pas. »
Etudes et plantations
Engagée depuis 2013 dans la conservation du sapin de Noël, l’association Noé a mené une importante étude de terrain en 2019 sur la Côte Oubliée. Grâce aux informations collectées, elle a pu mettre élaborer un plan d’actions, dont certaines mesures sont en cours.
« Nous avons ciblé deux sites pour procéder à des plantations. Il s’agit de groupes isolés de plus de 20 kilomètres des autres populations d’A. luxurians et qui courent un risque d’appauvrissement génétique », explique Emilie Ducouret.
Noé travaille également en collaboration avec des sylviculteurs pour élaborer une stratégie de collecte des graines plus durable et mieux préserver les zones où des prélèvements intensifs empêchent la régénération de la forêt.
*Fondée en 2001 par le naturaliste et vétérinaire Arnaud Greth, l’association Noé mène en France et à l’international des actions de sauvegarde de la biodiversité (faune et flore). En Nouvelle-Calédonie, elle pilote le programme « Palmiers et Conifères de Nouvelle-Calédonie » dont découle plusieurs plans d’actions visant la restauration d’espèces menacées, comme Araucaria luxurians et Araucaria scopulorum.
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