En 2021, l’opération Thunder (tonnerre en français) menée par l’organisation mondiale des douanes et Interpol a abouti à plusieurs centaines d’arrestations dans le monde, déstabilisant des réseaux criminels spécialisés dans la contrebande d’espèces sauvages. Parmi elles, trois interpellations de ressortissants chinois impliqués dans le trafic de vessies natatoires de totoabas, dont la pêche est responsable de l’extinction du plus petit cétacé au monde : le vaquita.
Cartels vs défenseurs de la nature
Ce qui se joue depuis plusieurs années en mer de Cortez, au Mexique, est digne des plus grands scénarios hollywoodiens. D’un côté, de puissants cartels présents jusque dans les sphères du pouvoir, qui alimentent un trafic illégal vers la Chine, et de l’autre, des défenseurs de la nature qui se battent pour sauver une, ou plutôt deux espèces : le totoaba et le vaquita.
Au cœur de l’affaire : la vessie natatoire du totoaba. Tous les poissons ou presque ont une vessie natatoire. Cet organe, semblable à un sac rempli de gaz, aide les poissons à nager sous l’eau sans remonter à la surface ni tomber au fond tout en économisant leurs forces. Celle du totoaba est particulièrement recherchée en Asie, où elle peut se vendre jusqu’à 60.000 dollars !
Une aubaine pour les cartels mexicains, qui voient dans ces vessies natatoires de totoabas la nouvelle « cocaïne des mers ». Depuis plusieurs années, tout un trafic s’est développé pour pêcher illégalement le totoaba et alimenter des réseaux criminels jusqu’en Chine. Les pêcheurs braconniers utilisent des filets maillants non sélectifs pour pêcher les totoabas, et capturent par la même occasion de nombreuses autres espèces : tortues, requins, raies et des cétacés. L’un d’eux est particulièrement menacé par cette pratique : le vaquita, ou marsouin du golfe de Californie.
Comme le totoaba, le vaquita ne vit qu’en mer de Cortez, dans les eaux mexicaines. Il est surnommé le panda des mers en raison de son œil cerclé de noir et de son minois attendrissant. Le vaquita est aussi connu pour être le plus petit cétacé de la planète, et malheureusement le plus menacé.
En 2019, on estimait qu’il restait moins de dix vaquitas encore en vie dans le monde, tous en milieu sauvage. C’était déjà très peu, mais de récentes observations affirment désormais qu’ils ne se seraient plus que sept ou huit. La capture de certains individus à des fins de reproduction en captivité a bien été tentée, mais elle s’est soldée par la mort d’une femelle, qui n’a pas supporté le stress de l’opération. Depuis, seules les actions de défenseurs de la nature comme Sea Shepherd, via son opération Milagro en partenariat avec l’armée mexicaine, permettent de faire reculer l’extinction de cette espèce, classée « en danger critique » d’extinction par l’UICN, comme le totoaba.
Enquête au Mexique
Même si leur action est fondamentale et a permis de retirer de nombreux filets maillants, sauvant ainsi un nombre incalculable d’animaux, elle ne suffira pas à empêcher l’extinction du vaquita. Pour cela, il faut remonter à la source du problème : le marché noir des vessies natatoires de totoabas.
Problème : ce ne sont pas de simples braconniers qui se cachent derrière, mais de puissants cartels mexicains, en lien avec des trafiquants chinois. Et malheureusement, ces réseaux criminels sont si puissants qu’il n’est pas évident de les démanteler.
Heureusement, les choses progressent. Des enquêteurs de l’ONG Earth League International, dont nous suivons les aventures dans le documentaire « Sea of Shadows » (disponible sur Disney+), ont permis de récolter des informations clés. Ils les ont partagées avec les autorités mexicaines, et après deux ans de collaboration, les premières arrestations sont survenues.
« Nous sommes extrêmement fiers du travail accompli par nos équipes d’infiltration et nos analystes au cours des trois dernières années, luttant pour sauver la mer de Cortez du crime organisé et des trafiquants internationaux », déclarait Earth League International fin 2020, après les premières arrestations.
En 2021, nouveau coup dur pour les trafiquants puisque l’opération mondiale Thunder a permis d’arrêter trois ressortissants chinois impliqués dans le trafic de vessies natatoires de totoabas. C’est exceptionnel, car jusqu’à présent, très peu d’interpellations avaient lieu, ou lorsqu’il y en avait, il s’agissait de pêcheurs mexicains ou de membres de cartels. Là, les enquêteurs ont réussi à remonter la piste jusqu’aux trafiquants chinois, en bout de chaîne.
« Le gouvernement mexicain a échoué »
Une nouvelle porteuse d’espoir, mais qui arrive hélas tardivement. Le déclin des vaquitas est en effet dramatique. En 1997, les eaux mexicaines en comptaient environ 600, soit près de cent fois plus qu’aujourd’hui. Avec si peu d’individus matures, la disparition d’un seul d’entre eux fait figure de pas de géant vers le précipice pour l’espèce tout entière.
Et puis, la partie est loin d’être remportée contre les trafiquants. Peu sont derrière les verrous et la majorité continue son macabre trafic, le plus souvent avec la complicité des autorités et des politiques corrompus.
En juillet 2021, le gouvernement mexicain a annoncé une série de changements dans la façon dont il surveille la zone où vivent les derniers vaquitas. « En pratique, ces nouvelles mesures facilitent en réalité la tâche des criminels », dénonce El Pais.
En parallèle, les pressions que subissent ceux qui retirent les filets maillants et surveillent les braconniers s’intensifient. Régulièrement, les équipes de Sea Shepherd sont la cible de tirs et de mesures d’intimidation. Fin 2020, plusieurs bateaux de braconniers ont même lancé des cocktails molotov sur un navire Sea Shepherd, et l’un d’eux s’est fracassé contre, tuant un pêcheur. Depuis, ces défenseurs de la nature ne sont plus autorisés qu’à repérer les filets maillants et à prévenir les autorités, sans pouvoir agir directement eux-mêmes.
Dans un communiqué, Sea Shepherd déclare :
« Nous avons conclu un nouvel accord avec le ministère mexicain de l’environnement et des ressources naturelles, le secrétariat de la marine, le secrétariat de l’agriculture et du développement rural, le procureur fédéral pour la protection de l’environnement, la commission nationale pour l’Aquaculture et la Pêche, et la Commission Nationale des Aires Naturelles Protégées. L’accord, signé par le président et président de la Sea Shepherd Conservation Society, Pritam Singh, le 6 août 2021, indique que l’organisation informera le procureur fédéral mexicain pour la protection de l’environnement et le secrétariat de la marine de tout filet maillant abandonné situé dans la zone de tolérance zéro et le refuge Vaquita. Les filets seront récupérés et livrés par la Commission nationale mexicaine pour l’aquaculture et la pêche afin de protéger le marsouin vaquita, en danger critique d’extinction. »
Face à l’inaction du Mexique, des sanctions internationales sont envisagées. En 2020, les Etats-Unis ont déjà décrété un embargo sur les produits de la pêche issus du golfe de Californie. Et en août 2021, le Centre pour la diversité biologique a déposé une demande d’enquête auprès de la commission T-MEC (nouvel accord commercial entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique). La cible : le gouvernement mexicain et son non-respect des lois sur la pêche et le commerce en ce qui concerne la protection du vaquita.
« Le gouvernement mexicain a échoué à plusieurs reprises à faire respecter sa propre interdiction de pêcher dans l’habitat du vaquita dans le golfe supérieur de Californie. En novembre 2020, plus de 1.100 navires ont été documentés en train de pêcher illégalement, et en juillet 2021, le Mexique a publié de nouvelles règles qui ont affaibli l’application de la loi sur la pêche illégale dans l’habitat principal du vaquita », dénonce-t-il.
« Les autorités mexicaines ont promis à maintes reprises de retirer les filets maillants illégaux de l’habitat du vaquita, mais ils n’ont pas réussi, a déclaré Sarah Uhlemann, directrice du programme international au Centre pour la diversité biologique. Les États-Unis et l’ensemble de la communauté internationale doivent enfin vraiment faire pression sur le Mexique pour qu’il agisse. Le gouvernement mexicain a l’obligation légale et morale de sauver ces petits marsouins, et le temps de l’action réelle est compté. »
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