Entre 2006 et 2012, plusieurs centaines d’anguilles d’Europe femelles ont été capturées dans des rivières et estuaires d’Espagne, Suède, Allemagne, Irlande et France. Chacune d’entre elle a été dotée d’une balise puis relâchée à proximité de son lieu de capture. Les scientifiques ont ainsi pu reconstituer les migrations au départ de plusieurs régions d’Europe, et les résultats sont bien loin des théories admises.
Sur les traces des anguilles d’Europe
Depuis environ un siècle, les scientifiques s’accordaient sur le fait que les anguilles d’Europe entamaient chaque automne une migration longue de 5 000 à 7 000 kilomètres. Le périple débutait sur les côtes européennes et s’achevait dans la mer des Sargasses, au coeur de l’océan Atlantique ; il était admis que les anguilles arrivaient sur ce lieu de ponte en une seule cohorte, s’y reproduisaient entre décembre et février et mouraient sur place, incapables d’effectuer le trajet retour.
Afin d’obtenir des informations sur cette migration, des chercheurs ont doté 707 femelles de balises ; ces dernières devaient enregistrer à intervalles réguliers diverses données dont la profondeur, la température et les coordonnées GPS. 206 signaux ont pu être étudiés, parmi lesquels 124 laissaient penser que les anguilles avaient été victimes de filets de pêche ou de prédation naturelle. Seules 82 anguilles ont donc pu être tracées jusqu’aux Açores, sur la route des Sargasses, mais cela a été suffisant pour obtenir une information des plus importantes : la migration des anguilles d’Europe dure bien plus longtemps que prévu.
Une migration s’étalant sur plus d’un an
Les anguilles d’Europe semblent en effet avoir adopté une « stratégie migratoire mixte » : seuls les individus les plus grands sont capables d’atteindre leur lieu de reproduction en quelques semaines, effectuant ainsi des milliers de kilomètres entre octobre et décembre. Les autres n’y parviennent que pour la saison suivante, au terme d’une migration de plus d’un an. Déjà abordée au début des années 2000, cette théorie avait été écartée. En effet, il est communément admis que les anguilles cessent de se nourrir au cours de leur migration ; il semblait donc inconcevable que cette dernière s’étale sur une aussi longue période. Néanmoins, les preuves sont là ! La vitesse de progression des anguilles, qui oscille entre 3 et 47 km par jour, rend impossible l’arrivée de 65 % des femelles dans la mer des Sargasses avant la période de reproduction.
Cette information n’est pas la seule à avoir été obtenue grâce à cette étude : toutes les anguilles semblent traverser les Açores avant d’atteindre la mer des Sargasses. Si cette étape semble naturelle pour les anguilles relâchées en Méditerranée ou sur les côtes atlantiques françaises, elle allonge considérablement la migration des femelles en provenance du nord de l’Europe, d’autant qu’elle les contraint ensuite à lutter contre les courants de l’Atlantique pour rejoindre le lieu de ponte. Une telle observation tend à valider l’hypothèse selon laquelle « les anguilles suivent les signaux olfactifs de la zone de frai ou les signaux océaniques acquis au cours de la phase juvénile« , à l’image des tortues de mer.
La migration verticale, une hypothèse confirmée
Enfin, les balises ont permis de confirmer l’existence d’une « migration verticale » lors des déplacements des anguilles. Lors de son voyage, Anguilla anguilla évolue en effet à près de 1000 mètres de profondeur la journée, puis remonte à quelques mètres de la surface une fois la nuit tombée. Ce comportement pourrait s’expliquer par la nécessité d’éviter les prédateurs, mais il a de multiples conséquences : non seulement les conditions de température, de luminosité et de pression sont très différentes selon la profondeur mais, en outre, les anguilles augmentent ainsi considérablement la distance qu’elles parcourent lors de leur migration.
Ces découvertes devraient permettre de modifier le programme de conservation de l’anguille d’Europe, espèce encore particulièrement mystérieuse. Jusqu’en 1922, nul ne savait où ces poissons naissaient, à tel point qu’aucun scientifique n’aurait pu contredire avec certitude Aristote, qui prétendait que les anguilles émergeaient spontanément de la vase. Après un siècle de progrès technologiques, la science est enfin en mesure de lever une partie des interrogations sur le cycle de vie d’Anguilla anguilla et, peut-être, d’éclairer l’avenir de cette espèce en danger critique d’extinction.
Par Benoit Goniak.
L’étude complète a été publiée par la revue Sciences Advances le 5 octobre 2016 et est disponible ici.
2 Réponses to “La migration des anguilles d’Europe peut durer plus d’un an”
11.12.2016
couturierUne enquête publique prévoyait 65 tonnes de prélèvement de civelles pour cette saison 2016-2017 malgré 80% d’avis négatif sur plus de 400 réponses le quota a été validé, alors où sont les responsables de cette disparition ? Le repeuplement effectué ces dernières années n’étant pas concluant, si un espoir de sauver l’anguille subsiste nous devons arrêter cette pêche de civelles.
06.12.2016
Cantrel JLCette espèce est en danger d’extinction, mais pas par la difficulté de son périple migratoire, pour la prochaine campagne la France s’apprête à augmenter de 13% les quotas de prélèvement des civelles. Pour se donner bonne conscience 60% de ces prélèvement seraient destinés au repeuplement. Manipulation, transport, changement brutal de milieu…. chacun peut deviner quelles sont les chance de survie. Qui osera abaisser de 60% les quotas? 60% de civelles qui remonteraient nos fleuves, comme elle ont toujours fait. Les obstacles? les chaussées et écluses ne sont pas un réel problème, seuls les grands barrages posent un vrai problème. Dans le Marais poitevin l’anguille était partout malgré les ouvrages liés à la navigation et à la régulation de l’eau, le déclin de l’anguille est bien plus récent que ces aménagements, la pression de pêche en eau douce a elle aussi fortement baissé. Seuls ont augmenté, la dégradation de la qualité de l’eau et des milieux et les prélèvements de civelles dans l’estuaire.