Si les publications scientifiques étaient jusqu’à ces dernières années réservées à un petit nombre, la révolution Internet a bouleversé les habitudes : toutes les informations sont désormais à la portée du grand public, y compris (et surtout !) celles qui concernent les espèces les plus menacées de la planète mais est-ce une si bonne chose ?
« Do not publish », le cri d’alarme de deux chercheurs australiens
Si cette accessibilité a bien évidemment de grands avantages, elle facilite par exemple la collaboration entre les scientifiques du monde entier, deux chercheurs de l’Université de Canberra (Australie) estiment qu’elle peut aussi être contre-productive : le revers de la médaille serait que les scientifiques contribueraient indirectement à l’extinction des espèces qu’ils souhaitent protéger. Dans un essai publié le 26 mai dernier et intitulé « Do not publish », David Lindenmayer et Ben Scheele invitent leurs confrères à ne plus fournir de données géographiques précises concernant des espèces en danger d’extinction.
Les deux biologistes soulèvent trois problèmes importants liés à la trop grande transparence des travaux scientifiques. Le premier est, bien sûr, que les braconniers lisent aussi la presse scientifique. Toutes les informations mises en ligne peuvent donc être utilisées aux dépens des espèces qu’elles concernent. Les exemples sont nombreux et sont d’autant plus frappants lorsqu’ils concernent une espèce tout juste découverte : les braconniers se ruent sur elle car ils savent que chaque spécimen pourra être revendu à de riches particuliers. Jian-Huan Yang, biologiste chinois passionné des geckos, a par exemple annoncé en 2010 et 2013 la découverte de deux nouvelles espèces, baptisées respectivement Goniurosaurus yingdeensis et Goniurosaurus liboensis. Ses écrits ont immédiatement attiré les collectionneurs, qui se sont mis en quête de ces reptiles grâce aux données très précises qu’il fournissait. Elles ont ensuite rapidement été commercialisées et exportées vers les Etats-Unis et l’Europe.
Relation de confiance et dégradation du milieu naturel
La deuxième préoccupation citée par David Lindenmayer et Ben Scheele concerne la relation de confiance indispensable entre les biologistes et les communautés locales. Les deux chercheurs expliquent avoir été directement confrontés à ce problème : après avoir étudié la biodiversité dans les exploitations agricoles en Australie, ils ont repéré plusieurs populations d’espèces menacées, comme Aprasia parapulchella, un lézard sans pattes. Après avoir mis à jour l’atlas de la vie sauvage du pays, un outil en ligne librement accessible, plusieurs particuliers se sont lancés à la recherche de ces espèces menacées, ont pénétré dans les propriétés privées et ont parfois dégradé les écosystèmes. Dans ces conditions, les deux chercheurs ont perdu la confiance des propriétaires terriens, alors que celle-ci avait été gagnée après des années de discussions.
Enfin, le troisième et dernier problème évoqué est la suite logique du précédent. Suite à une publication scientifique, des environnements préservés peuvent voir soudainement affluer un grand nombre d’amateurs de nature. Ces derniers dégradent volontairement ou non les lieux qu’ils visitent et, parfois, vont jusqu’à prélever des animaux et des plantes.
Réguler les informations dans certains cas
Face à ces problèmes, D. Lindenmayer et B. Scheele estiment que la transparence doit rester la norme pour l’essentiel des publications scientifiques, mais doit être remise en question dans certains cas. Valeur commerciale de l’espèce, nouveauté, taille de la population… Ces différents critères doivent permettre d’élaborer une échelle de risque et, en fonction de cette dernière, de déterminer la précision des travaux scientifiques accessibles pour le grand public.
D. Lindenmayer et B. Scheele rappellent enfin que des publications éliminant délibérément certains détails sont monnaie courante dans certains domaines. Les « restrictions » dans « les études sur la virulence des agents pathogènes » peuvent être nécessaires, par exemple pour éviter que des informations puissent être utilisées dans le domaine du bioterrorisme. En archéologie, les sites de fouilles ont également longtemps pu profiter d’un certain secret afin de limiter les risques de pillage par des collectionneurs. Jian-Huan Yang, pour sa part, a appris de ses expériences avec les geckos. En juin 2015, lorsqu’il a à nouveau annoncé la découverte de deux nouvelles espèces, il a volontairement omis la localisation des populations étudiées. La pratique doit-elle être généralisée ? Le débat est ouvert.
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