Mardi 9 juin 2020, la ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, a annoncé la mort d’un ours dans les Pyrénées. Ce dernier a été retrouvé en Ariège, tué par balles. L’Etat a annoncé qu’il porterait plainte, tout comme plusieurs associations de défense des animaux et de l’environnement. Car l’ours est une espèce protégée en France, classée « en danger critique » d’extinction. Le tuer expose l’auteur des faits à une peine de 3 ans de prison et 150.000 € d’amende. Sauf que les violences à l’encontre de l’ursidé ne datent pas d’hier, sans que jamais les autorités n’apportent de réponse satisfaisante. Entretien avec Farid Benhammou, géographe spécialiste des relations et de la cohabitation entre l’homme et les grands prédateurs d’Europe (ours, loup, lynx), chercheur associé au laboratoire Ruralités (Université de Poitiers).
Avec la grogne persistante des anti-ours, l’abattage de cet ours en Ariège était-il prévisible ?
FB : Cette grogne est présente depuis longtemps, notamment en Ariège qui est devenue une terre d’opposition à l’ours depuis le début des réintroductions. Et ce bastion d’opposition s’est auto-renforcé – avec un virage aux alentours de 2008 – jusqu’à déboucher sur des discours très violents. Donc, oui, l’abattage de cet ours pouvait être prévisible. D’ailleurs, il se peut que d’autres destructions d’ours se soient produites sans que personne ne le sache.
Mais il faut savoir que les anti-ours ne sont en réalité pas si nombreux que cela. La plupart des gens qui vivent dans les Pyrénées sont même plutôt bienveillants envers l’ursidé. Son image est même valorisée par les acteurs du tourisme local. C’est pourquoi les pouvoirs publics ont une vraie responsabilité dans ce qu’il s’est produit. Et ce, à plusieurs niveaux.
D’abord en permettant l’indemnisation des dégâts imputés à l’ours avec très peu de preuves. Depuis l’an dernier, dès qu’il existe un indice de la présence de l’ours – même dans une zone très vaste – l’Etat indemnise systématiquement les éleveurs. Résultat, le nombre de cas impliquant l’ours a explosé [1173 animaux indemnisés dont 772 en Ariège avec 3 dérochements, ou chute collective de brebis, source : rapport annuel du Réseau Ours Brun, avril 2020, NDLR]. Pour acheter la paix sociale, les pouvoirs publics mettent tout sur le dos de l’ours, sans même chercher à prouver s’il est véritablement responsable. Cela crédite clairement l’idée que l’ours pose un problème supérieur à ce qu’il est réellement.
Autre point qui encourage la violence à l’encontre de l’ours, c’est que l’Etat autorise l’effarouchement. Ces mesures peuvent se faire par des tirs (non létaux). Cette situation est à la limite de la légalité pour une espèce protégée.
Dans une feuille de route intitulée « pastoralisme et ours » communiquée le 4 juin 2020, le gouvernement a décidé le renforcement de la protection des troupeaux dans les Pyrénées. Montant de l’aide supplémentaire : 500.000 € pour mieux équiper les cabanes d’estives, recruter des bergers d’appui ou encore… procéder à des mesures d’effarouchement. Révélée avant la découverte de l’ours tué en Ariège, cette feuille de route excluait toute nouvelle réintroduction pour l’instant. Mais plusieurs associations réclament qu’un nouvel individu soit relâché dans les Pyrénées, en contrepartie de celui abattu. Une demande légitime puisque le plan ours 2018-2028 prévoit qu’en cas de décès prématuré d’un ours du fait de l’homme, celui-ci doit être remplacé.
Les défenseurs de l’ursidé ont l’impression qu’il règne une certaine impunité pour tous les opposants à l’ours. Est-ce vrai ?
FB : Souvenez-vous en 2017 : un groupe de personnes cagoulées, grimées en terroristes, s’est filmé et a appelé à tuer l’ours. Grâce aux portables et à des témoignages, les autorités judiciaires ont réussi à identifier qui étaient ces individus qui ont, pour rappel, appelé à la destruction d’une espèce protégée. Que s’est-il passé ? L’affaire a été classée sans suite.
Quand on voit comment l’institution peut s’acharner contre des syndicalistes ou des militants écologistes, on voit bien qu’elle est capable de faire payer ceux qui ne respectent pas l’ordre et la loi. Pourtant pour les anti-ours, il règne un sentiment d’impunité, et cela pose un réel problème.
Régulièrement victime de menaces, le naturaliste Pierre Rigaux, qui milite notamment pour la protection du putois d’Europe et dénonce les travers de la chasse, a une nouvelle fois été ciblé avec la découverte d’un renard mort déposé sur le capot de sa voiture, début juin. Plusieurs fois, il a porté plainte, sans que cela n’aboutisse. Solidaire de Pierre Rigaux, la SFEPM rappelle que ces cas ne sont pas isolés. « Nous tenons aussi à souligner et rappeler aux pouvoirs publics un certain nombre de faits qui se sont produits ces deux dernières années en matière de protection des mammifères sauvages, pour lesquels tous les citoyens engagés en faveur de la protection de la nature et des principes démocratiques de la République attendent encore des explications : c’est en 2018, au moment du lâcher de deux ourses femelles dans les Pyrénées-Atlantiques, des anti-ours qui arrêtent systématiquement les véhicules en vallée d’Aspe pour les fouiller… devant les yeux des gendarmes sans que ceux-ci à un moment ou un autre n’interviennent ; c’est en 2017, une vidéo d’hommes cagoulés et armés qui menacent de rouvrir la chasse à l’ours… auditions en avril 2018, accueil cordial à la gendarmerie des personnes interpellées, toujours pas de nouvelles. C’est en août 2017, des coups de feu tirés contre des agents de l’ONCFS venus faire un constat de dégât d’ours. »
FB : L’impression donnée, c’est que l’Etat accorde plus de crédit à ces personnes plutôt qu’à des défenseurs de la nature, ce qui n’est pas sans créer de vraies tensions entre services de l’Etat et associatifs censés oeuvrer, pourtant, à des missions communes. Et puis, cela conforte les opposants à l’ours dans leurs actions. Dans ce cas précis, l’Etat a porté plainte. J’attends de voir les perquisitions, les convocations, etc.
Les politiques de cohabitation sont-elles inefficaces en France au regard des autres pays où vit l’ours brun d’Europe ?
FB : Je ne pense pas que les politiques menées en France soit inefficaces. Au contraire, ailleurs qu’en Ariège – où il existe une réelle pression sociale pour empêcher les éleveurs de s’équiper correctement face à l’ours – le retour de l’ours a entraîné un développement de la profession de bergers, des fonds importants pour la mise aux normes de cabanes d’estives, le placement de chiens de protection, etc. Il y a beaucoup d’accompagnement avec pas mal du succès et, c’est inévitable, quelques échecs.
Ailleurs en Europe, il y a aussi des hauts et des bas. En Espagne par exemple, le statut de l’ours s’est amélioré, mais c’est en partie parce que l’agacement se concentre sur le loup, présent dans les mêmes zones que l’ours et responsable de davantage de dégâts.
En Italie, aussi, la cohabitation avec l’ours se passe plutôt bien. Mais cela n’a pas empêché les autorités d’autoriser l’abattage il y a quelques années d’une femelle qui s’était montrée agressive envers un promeneur.
Voir aussi le numéro du Courrier de la Nature dédié à l’ours, coordonné par Farid Benhammou et François Moutou.
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