
La pandémie partie de Chine s’est propagée dans le monde entier, forçant les gouvernements à fermer tour à tour leurs frontières. Pour les ONG françaises basées à l’étranger, la situation est complexe. Partagées entre l’envie de poursuivre leur mission sur place et la sécurité sanitaire couplée au manque de ressources, trois associations partagent leurs inquiétudes.
La sécurité des équipes, une priorité
Aux Philippines où officie ABConservation, association de protection des binturongs, les premières mesures de sécurité ont été prises début mars. Sur place se trouvent Agathe Debruille, co-présidente de l’association et responsable scientifique et Murielle Vergniol, responsable pédagogique. « Elles avaient pour consigne de ne pas sortir, nous avons donc annulé un voyage à Singapour et un autre sur l’île de Java et Bornéo où nous devions conclure différents partenariats », explique Pauline Kayser, présidente d’ABConservation. Mais très vite, la situation empire. Le 17 mars, Pauline et Agathe reçoit un communiqué de l’Ambassade de France : « Si nous voulions rapatrier les filles, c’était immédiatement. Les frontières allaient fermer et le dernier avion partait le soir même. L’équipe a fait ses valises en deux heures et est partie. »
Pour Marylin Pons Riffet, directrice de Papaye International qui soigne et réintroduit des chimpanzés au Cameroun, la situation a été également tendue : « Je suis rentrée en France tout juste avant la fermeture des frontières. Sur place, nous avions deux écovolontaires qui étaient en train de débuter un séjour. Pour l’une d’elle, il a fallu plus de cinq semaines pour la faire revenir en France. »
Situation encore différente pour Sergio Lopez, fondateur de Wildlife Angel qui forme des rangers en Afrique pour lutter contre le braconnage. « Nous venions de finir l’opération Warly 100 – le recrutement et la formation de 100 rangers au Burkina Faso – et nous devions assurer le suivi de cette mission et en commencer une nouvelle au Niger quand la pandémie a débuté. Par chance, entre ces deux opérations, toute l’équipe était revenue en France pour les fêtes de fin d’année. Nous y sommes donc toujours. En revanche, pour les rangers sur place en Afrique, pas de confinement, ils sont toujours sur le terrain. »
Poursuivre les missions sur place : un casse-tête
Une fois rentrées en France, comment font les équipes des associations pour continuer à gérer leurs missions sur place ? Un problème complexe, surtout qu’en Afrique et en Asie, les connexions internet ne sont pas toujours fiables. « Actuellement, Papaye International vit en vase clos en pleine brousse. Les salariés n’ont plus de visiteurs, plus d’écovolontaires et je ne peux pas me rendre sur place à leurs côtés. C’est dur moralement », avoue la directrice de Papaye International avant de se montrer rassurante : « les salariés sur place vont bien, ils ont très vite réalisé quel serait l’impact de la maladie, et que la situation pouvait devenir dramatique si elle s’étendait. Ils savent que ce n’est pas le moment de prendre des risques pour eux et les animaux, alors ils prennent toutes les précautions. Mais la perte des écovolontaires est compliquée. Pour eux, c’est comme une reconnaissance que ces gens viennent les voir, cela leur fait du bien. Ils essaient de rester connectés avec moi, en tentant de récupérer du réseau depuis sur la pirogue ou derrière un arbre, et nous échangeons tous les jours par whatsapp. »
L’inquiétude règne également chez ABConservation. « Nous prenons régulièrement des nouvelles de nos contacts sur place au centre de soins « Palawan Wildlife Rescue & Conservation Center » que nous aidons en collectant des dons et en achetant du matériel. Notre plus grosse inquiétude serait que le centre ne touche plus les indemnités de l’Etat, cela signifierait des difficultés à nourrir les animaux. Du côté des binturongs, tous nos projets sont repoussés à une date encore inconnue. »
Pour Sergio Lopez, la distance est moins problématique. Wildlife Angel n’a pas vocation à rester auprès des éco-gardes après leur formation. « Nous restons en contact régulier avec les rangers sur le terrain mais pour le moment on m’a fait comprendre que les ressortissants italiens, français, allemands et espagnols n’étaient plus les bienvenus », déplore l’ancien militaire. Pour l’ONG créée en 2015, le Covid-19 n’est toutefois pas le principal obstacle. « Ce qui nous gêne le plus dans notre développement, c’est le djihadisme. Notre gouvernement décrète des zones rouges dans lesquelles nous n’avons pas l’autorisation de nous rendre. Or, ce sont justement ces territoires qui ont besoin de nous. Les associations locales ou les ONG du nord-est du Cameroun ou du Tchad nous contactent mais nous ne pouvons pas les aider. » Une opération prévue au Burkina Faso a ainsi été annulée et pourrait ne jamais avoir lieu. « Nous devions également aller ce printemps en Côte d’Ivoire mais bien sûr tout a été annulé à cause de la pandémie. Les conséquences sont désastreuses pour notre activité. »
L’aspect financier : la vie des associations est en jeu
C’est certain, l’épidémie mondiale de Covid-19 pourrait causer la fermeture de nombreuses associations qui se battent déjà pour survivre au quotidien. Car en plus de restreindre leurs actions sur place, la pandémie a aussi des conséquences financières : baisse des dons, annulation de séjours écovolontaires, etc.
Pour ABConservation, dont les subventions des parcs zoologiques représentent 70 % du budget, la perte financière pourrait être très importante. Au moment de l’écriture de cet article, Pauline Kayser n’était pas encore assurée du maintien de ces aides, même si certains parcs comme le Parc Animalier d’Auvergne ont déjà confirmé maintenir leur don malgré leurs propres pertes financières. « En 2020, nous n’avons reçu encore aucun don des organismes zoologiques. Nous vivons sur les reliquats de 2019 mais dès lors qu’on reviendra sur le terrain, on pourra survivre trois mois maximum. » La présidente de l’association paye de sa poche une des salariés de son association tout en confirmant que même si l’équipe est rentrée en France, des frais fixes demeurent : environ 600 € mensuels.
En plus de la baisse des dons, l’organisme doit déplorer un manque à gagner causé par l’annulation de ses événements physiques, comme la Journée Mondiale du binturong qui avait lieu le 9 mai, et des stands de présentation dans plusieurs parcs zoologiques français.
Même incertitude pour Papaye International. « L’annulation de tout séjour écovolontaire jusqu’à nouvel ordre est compliqué. Aujourd’hui encore, ces séjours sont suspendus alors qu’ils représentent 50 % de notre équilibre financier. C’est énorme ! Alors il faut anticiper ce qu’on peut, diminuer les coûts qui peuvent l’être sans porter préjudice aux animaux. Notre priorité : nourriture, soins, carburant. Sur la nourriture, toutefois, les prix ont fortement augmenté. Tout à peu près a pris 20 %, donc cela pèse sur nos finances. Nous avons fait une cagnotte en ligne, mais tout le monde est dans une situation compliquée. »

Sergio Lopez, ici la deuxième personne à droite.
Situation certes différente chez Wildlife Angel qui n’est pas subventionné par des parcs animaliers – exceptée une aide de 15 000 € en 2017 du Zoo de la Flèche suite à une émission TV commune – et n’accueille pas d’écovolontaires. Mais l’inquiétude est présente. « Nous notons une baisse significative des dons sur notre page Helloasso et au niveau du mécénat d’entreprise », confie Sergio Lopez.
Un avenir incertain
A l’heure actuelle, la France a rouvert ses frontières au sein de l’Union Européenne, mais l’offre proposée par les compagnies aériennes et les accords des ambassades ne permettent pas encore aux associations de repartir sur le terrain. Juillet, septembre, novembre ? Une incertitude qui pèse aussi sur l’éco-tourisme et l’écovolontariat et donc sur les budgets des ONG. « Tout est au point mort. Pour 2021 les gens ont de l’espoir, certains se réinscrivent, mais pour 2020 l’incertitude est totale », explique Papaye International.
De l’espoir, Sergio Lopez en a, mais également des idées pour que sorte quelque chose de positif de cette période : « On va profiter de cette « opportunité » d’être en France plus longtemps que prévu pour être plus actif dans la récolte de fonds et la recherche de mécénat. Surtout, nous en avons profité pour réfléchir à développer un volet français à notre activité. » Recruter en France les rangers de demain ? Pas du tout. « Le métier de ranger est peu connu en France, nous souhaitons sensibiliser les jeunes à la disparition de la faune sauvage et au métier d’éco-garde au travers d’atelier mis en place avec l’aide des conseils régionaux. »
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