Plus de 900 000 saumons se sont évadés d’une ferme piscicole au Chili, début juillet. A ce jour, seuls 250 000 spécimens ont pu être récupérés, donc plus de 650 000 manquent encore à l’appel. Problème : il s’agit d’une espèce à l’appétit vorace, dont la présence en milieu sauvage pourrait avoir de graves conséquences sur la faune locale.
Résumé des faits
Les saumons se sont évadés d’une ferme d’élevage située sur l’île Huar, dans la région de los Lagos au Chili, et appartenant à la société norvégienne Marine Harvest. Tout a commencé le 5 juillet 2018, lorsqu’une violente tempête s’est abattue dans la région. Les vents violents ont déchaîné la mer et créé d’importantes vagues qui ont endommagé les cages qui retenaient les poissons, les empêchant de s’échapper dans la mer. Résultat : tous se sont enfuis dans la nature. Le jour-même, les équipes de la ferme d’élevage n’ont pas pu pénétrer tout de suite dans l’installation tant les dégâts étaient importants. En revanche, elles ont fait voler des drones qui ont repéré la grande évasion.
Depuis, Marine Harvest a lancé un projet de capture en partenariat avec des pêcheurs locaux, mais celui-ci n’a permis de récupérer qu’un saumon sur trois, en moyenne. Les poissons pèsent environ 3,4 kg et certains sont traités au florfénicol, un antibiotique vétérinaire. Ils ne doivent donc surtout pas être consommés par l’Homme, car cela pourrait entraîner d’importantes réactions chez les personnes allergiques.
Une espèce prédatrice et invasive
Le plus gros problème de cette évasion massive n’est cependant pas d’ordre sanitaire mais bel et bien environnemental. En effet, ces poissons sont des saumons de l’Atlantique (Salmo salar), une espèce qui ne vit pas dans ces écosystèmes et qui est considérée comme potentiellement invasive. Les poissons se sont échappés du site Punta Redonda, dans l’océan Pacifique. S’ils parviennent à rejoindre les cours d’eau douce comme les rivières et les lacs, les conséquences pour la faune locale pourraient s’avérer désastreuses. Tout d’abord parce que le saumon d’élevage pourrait entrer en compétition avec les espèces indigènes pour la nourriture et avec les saumons du Pacifique pour la reproduction, ce qui créerait une hybridation génétique. Surtout lorsqu’il est jeune, Salmo salar est considéré comme plus agressif que ses cousins du Pacifique. La présence de ces salmonidés pourrait donc nuire aux individus indigènes, les forçant même à quitter leur habitat naturel. Les saumons d’élevage sont par ailleurs traités contre toutes sortes de maladies. Or, ils peuvent très bien être porteurs d’agents pathogènes sans que cela se voie et, une fois en liberté, les transmettre à des individus sains et non immunisés. Ces risques éventuels ne sont encore que des hypothèses. Une étude d’impact environnemental – diligentée par la compagnie norvégienne – devrait apporter un éclairage supplémentaire.
Un fait certain, en tout cas : ces 650 000 saumons encore dans la nature vont devoir se nourrir. Et pour cela, ils vont puiser dans leur nouvel environnement, privant d’autres espèces de cette nourriture. « En un an, ces saumons sont capables de dévorer l’équivalent de 230 000 poissons et fruits de mer dans les eaux chiliennes », estime Estefanía González, coordinatrice océans pour Greenpeace Chili.
Enième évasion de saumons d’élevage
Ce n’est pas la première fois que des saumons de l’Atlantique parviennent à s’échapper de leurs fermes piscicoles sans que l’on parvienne à les repêcher. Les évasions sont même plutôt courantes. En 2017, par exemple, plus de 100 000 individus se sont ainsi échappés de leur enclos près de l’île Cypress, dans l’Etat de Washington (Etats-Unis).
Pour la société norvégienne, aussi, il ne s’agit pas d’une première. Depuis 2010, près de 2 millions de saumons se seraient échappés des fermes de Marine Harvest dans cette région du Chili. « Il s’agit de l’entreprise qui enregistre le pourcentage le plus élevé d’évasions », a déclaré à El Mostrador Francisco Muñoz, secrétaire régional à l’économie pour la région de los Lagos. Les infrastructures et les cages seraient a priori en cause.
La société a révélé dans son rapport annuel que ses fermes avaient connu 15 évasions dans le monde en 2017, au cours desquelles 23 223 poissons se sont échappés. Une goutte d’eau en comparaison de cet incident. Le Service national des pêches et de l’aquaculture du Chili (Sernapesca) a d’ores et déjà porté plainte contre Marine Harvest pour les effets sanitaires et environnementaux que causera cette grande évasion.
par Jennifer Matas
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