L’émotion était forte pour les équipes de Kalaweit, mercredi 7 mars dernier : cinq familles de siamangs, soit 14 gibbons au total, ont été relâchées à Sumatra, une île d’Indonésie dont ils avaient totalement disparu. Tous ont été récupérés par l’association alors qu’ils étaient détenus illégalement par des particuliers qui en avaient faits des animaux de compagnie. « Une journée comme celle-ci restera gravée […] Cela fait deux ans que nous relâchons des siamangs à Sumatra, mais ce n’est malheureusement pas tous les jours que nous pouvons le faire », rappelle Chanee (de son vrai nom Aurélien Brulé), le fondateur de cette association basée à Bornéo et qui a fait de la protection du gibbon sa priorité. Et pour cause, un tel relâché nécessite un travail colossal.
Plusieurs années d’efforts pour cette réintroduction
Avant de lâcher ces animaux dans la nature, il a fallu s’assurer que tout se passerait bien pour eux une fois dehors. Plusieurs années de travail et une logistique de taille ont été nécessaires pour arriver au terme de cette opération d’envergure. « D’abord, il a fallu former les couples de siamangs et s’assurer qu’ils étaient suffisamment solides et fusionnels pour survivre à l’état sauvage », détaille le président de Kalaweit. Pour cela, il faut laisser au couple le temps de devenir extrêmement proche. « C’est très important qu’il soit très uni, que chaque partenaire comble les lacunes de l’autre et le complète pour qu’ensemble, ils soient plus forts », poursuit Chanee. Pour sonder la force du couple, il y a des points fondamentaux à vérifier. Par exemple : aucune compétition alimentaire ne doit exister entre le mâle et la femelle et ils doivent chanter à l’unisson avant d’être réintroduits dans la nature.
Une fois les individus à relâcher sélectionnés, Kalaweit les a transportés jusqu’à une volière d’acclimatation au cœur de la parcelle de forêt choisie pour en faire leur nouveau territoire. « Les siamangs y sont restés six mois au cours desquels nous avons limité au maximum les interactions avec l’Homme », précise Chanee. Un ingénieux système de poulies a permis de les nourrir tout au long de cette période d’observation au cours de laquelle l’association Kalaweit s’est assurée qu’ils étaient prêts à vivre en liberté totale. « L’un des principaux critères pour que l’on ouvre les cages, c’est que le siamang ne doit plus poser un pied au sol. Pour récupérer un fruit tombé par terre, par exemple, il doit s’accrocher au grillage sans jamais fouler la terre », ajoute le fondateur de l’association. Les gibbons sont en effet des singes arboricoles qui vivent dans la canopée des forêts primaires et secondaires de Sumatra, de Malaisie et de Thaïlande. Leur système immunitaire n’est pas fait pour supporter l’écosystème bactérien qui existe au sol, sans compter qu’ils se mettraient en grave danger vis-à-vis de prédateurs éventuels s’ils s’avisaient de descendre de leurs arbres. Hors de question donc de relâcher un gibbon qui prendrait un tel risque. « Il faut aussi que les couples chantent, preuve qu’ils se sont appropriés le territoire et sont prêts à le défendre. »
Une fois tous ces critères réunis, les cages sont prêtes à être ouvertes. Kalaweit a levé les grilles le 7 mars et les siamangs ont commencé à sortir doucement de la volière d’acclimatation. « Sans jamais trop s’éloigner les premiers jours, commente Chanee. Ils préfèrent bâtir progressivement leur territoire sans partir de façon anarchique dans la forêt, ce qui est bon signe. » Une femelle a même choisi de rester à l’intérieur avec son petit le temps de s’assurer qu’aucun danger n’existait à l’extérieur. Chaque jour, des salariés de l’association viennent vérifier que tout se passe bien pour chacun d’entre eux. « Même les siamangs réintroduits il y a deux ans sont encore suivis par nos équipes ! », souligne Chanee.
Des hectares de forêts à trouver
Comme la plupart des gibbons, le siamang est un animal très territorial. Impossible pour un groupe de nouveaux venus de s’installer dans une zone où vit déjà une famille de congénères. « Un siamang a besoin d’être le seul représentant de son espèce avec son partenaire dans les kilomètres carrés environnants », précise Chanee. Ils utilisent d’ailleurs leur chant pour avertir les autres que cette place est déjà occupée et les dissuadent ainsi de s’approcher. En cas de confrontation, ils sont capables de s’entretuer. « Il a fallu trouver des hectares de forêts disponibles pour mener à bien notre opération, être sûrs qu’aucun autre siamang ne vivait déjà dans les alentours ». C’est là tout l’enjeu de l’association qui a racheté au fil des ans près de 600 hectares de forêts répartis entre les îles de Bornéo et de Sumatra.
Le siamang, un gibbon pas comme les autres
Les chiffres communiqués diffèrent d’une source à l’autre, mais on estime qu’il existe une vingtaine d’espèces différentes de gibbons dans le monde, chacune ayant ses propres caractéristiques physiques, comportementales, etc. Le gibbon fait partie de la famille des grands singes, aux côtés du gorille, du chimpanzé, de l’orang-outan, du bonobo et de l’homme. Le siamang (Symphalangus syndactylus), quant à lui, est le plus grand de tous les gibbons, avec ses 75 à 90 cm de haut. Monogame, il passe toute sa vie avec le même partenaire et, chose étonnante pour un grand singe, le père s’implique tout autant dans l’éducation des petits que la mère. Il n’est pas rare d’ailleurs de le voir porter leur petit et s’occuper de lui alors que chez de nombreux gibbons, les mâles s’en désintéressent totalement. Autre différence de taille : alors que les gibbons se nourrissent à 70 % de fruits et 30 % de feuilles, le siamang fait l’inverse et préfère manger davantage de feuilles. Entièrement noir, il porte au niveau de la gorge une poche laryngée qui se gonfle lorsqu’il pousse des vocalises. Sons qu’il produit aussi bien pour dissuader d’éventuels rivaux d’approcher que pour communiquer au sein de sa famille, là où les autres gibbons préfèrent habituellement une communication gestuelle.
Gravement menacé par la déforestation et la détérioration de son habitat, le siamang est menacé sur toute son aire de répartition. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) classe cette espèce dans la catégorie « en danger » (EN).
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