Si les dégâts de la culture des palmiers à huile ne font plus débat en Indonésie, le marché croissant de l’huile de coco fait émerger de nouvelles questions. Cette culture, aussi peu locale que celle de l’huile de palme, causerait pour certains davantage de dégâts encore. Un débat où, disons-le en toute transparence, on peine à y voir clair tant les lobbys et les industriels de chaque camp financent des études à charge. Faisons le point ensemble.
Deux huiles, deux perceptions différentes du public
Vu du ciel, peu de choses permettent de différencier un champ de culture de palmiers à huile de celui d’un champ de cocotiers. Des palmiers à perte de vue, des cultures tropicales expansives, des monocultures dévastatrices pour la biodiversité et l’environnement. La différence se fait dans l’esprit des consommateurs, l’huile de palme tue des orangs-outans, détruit des forêts, exploite des peuples. L’huile de palme doit être boycottée. Mais qu’en est-il de l’huile de coco ?
Son marché connait un véritable essor avec l’engouement pour le « DIY » et le zéro déchet. Présente dans la composition de nombreuses recettes maison de dentifrice, de déodorant, de savon et shampooing ou même utilisée comme lubrifiant, l’huile de coco ne se limite pas à une utilisation culinaire grâce à ses propriétés antibactériennes et antifongiques. D’ailleurs, seuls les deux tiers environ des noix de coco produites dans le monde sont transformées en huile de coco. Pour une tonne de production d’huile de noix de coco, il y a deux à sept tonnes de sous-produits.
Le coprah, cette autre huile coco dont on ne parle pas
Par sous-produits, on parle ici de la coque bien sûr mais également du coprah, l’albumen, autrement dit la chair de la coco, séchée au soleil, de la crème de coco, du lait de coco et enfin de l’eau de coco. Le coprah est le plus souvent transformé également en huile, mais raffinée industriellement elle est très riche en graisses saturées, contrairement à l’huile vierge de noix de coco, tirée de la pulpe encore fraiche.
Une différence de rendement importante
Même si le marché de la coco augmente, l’expansion de sa superficie de culture n’atteint pas encore les chiffres de celle des palmiers à huile. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), au cours des 30 dernières années, la culture de la noix de coco a gagné 1,8 million d’hectares supplémentaires, contre 12,1 millions d’hectares pour l’huile de palme, dont le rendement superficie /volume d’huile est plus intéressant.
Aujourd’hui, il y aurait dans le monde environ 20 millions d’hectares de palmiers à huile et 12,5 millions d’hectares de cocotiers.
Le problème c’est que les pays producteurs sont sensiblement identiques pour les deux cultures : les Philippines et l’Indonésie. A noter que l’Inde est le troisième exportateur d’huile de coco au monde, alors que le pays semble moins touché par la culture de l’huile de palme, pour le moment en tout cas.
Sur place, la biodiversité tropicale est fortement impactée par ces deux monocultures expansives qui se rejettent la faute.
L’huile de noix de coco, coupable de plus d’extinctions animales que celle de palme ?
Dans une étude publiée dans Current Biology en avril 2020, Erik Meijaard, professeur à l’Université du Kent, directeur de Borneo Futures, une société de conseil scientifique basée à Bornéo et président du groupe de travail de l’UICN sur le palmier à huile, affirme que la production d’huile de noix de coco serait plus destructrice pour la faune et la flore que celle de l’huile de palme. Il s’appuie pour cela sur le nombre d’espèces menacées par chaque culture, des données fournies par l’UICN, organisme théoriquement neutre. La où les deux camps ne sont pas d’accord, c’est sur l’interprétation de ces chiffres.
Dans son étude, Meijaard s’intéresse au ratio quantité d’huile produite VS nombre d’espèces menacées. Il obtient 3,8 espèces menacées par million de tonnes d’huile de palme contre 18,3 espèces en danger par million de tonnes d’huile de coco.
Mais du côté des producteurs de noix de coco, on compare le nombre brut d’espèces impactées par les deux cultures : « Le palmier à huile est mentionné comme un facteur qui a menacé 321 espèces tandis que la noix de coco est mentionnée comme un facteur qui a menacé 66 espèces. […] Selon l’UICN, la production d’huile de palme a en fait menacé cinq fois plus d’espèces que la noix de coco », explique Asa Feinstein, fondatrice et PDG de CocoAsenso, dans une tribune sur Mongabay.
Le palmier à huile menace donc plus d’espèces par sa culture et son expansion mais comme son rendement est supérieur à celui du cocotier, il faudrait multiplier par 6 ou 9 la surface de culture de ce dernier pour atteindre une production égale à celle de l’huile de palme. Et c’est là où le calcul de Meijaard par quantité d’huile obtenue prend tous son sens. Puisqu’à superficie de culture égale, la production d’huile de noix de coco menacerait – à priori – plus d’espèces.
L’exploitation des singes pour la culture de l’huile de coco
Autre similitude entre ces deux cultures, les scandales au sujet de la cueillette des précieuses noix. En 2016, la culture de l’huile de palme est une nouvelle fois pointée du doigt par Amnesty International cette fois. On lui reproche de bafouer les droits de travailleurs en employant des enfants, 8 ans pour les plus jeunes, en sous-payant les femmes, de confronter les travailleurs à des forts taux de pesticides etc.
Pour l’huile de coco, la question de la récolte pose également un problème éthique. Mais cette fois-ci, c’est d’exploitation animale qu’il s’agit. Beaucoup de producteurs utilisent en effet des primates pour ramasser les noix de coco.
L’espèce la plus fréquemment rencontrée dans ce rôle est Macaca nemestrina, le macaque à queue de cochon des îles de la Sonde, espèce classée vulnérable à l’extinction. Pour dresser ces habiles ouvriers, les exploitants des plantations n’hésitent pas à capturer les jeunes en milieu sauvage et à tuer leur mère. Enchainés, exploités, battus, ces animaux ont la particularité de pouvoir reconnaître les noix de coco mûres et de monter sans problème les chercher en hauteur. Une pratique cachée suite au scandale qu’elle a provoqué, mais qui existe toujours en 2021.
Est-ce qu’il y a une huile propre ?
Tous s’accordent au moins à dire qu’il n’y a pas d’huile propre. Coco, palme, tournesol, colza, soja… et même l’olive, si chère à nos cœurs de Méditerranéens, toutes ces productions ont un impact sur l’environnement. Car si 18,3 espèces sont menacées par million de tonnes d’huile de coco, c’est l’huile d’olive qui serait la seconde culture d’huile la plus dangereuse pour la biodiversité ! Elle obtient un ratio de 4,12 espèces impactées négativement par million de tonnes d’huile. (Source : Current Biology, juillet 2020)
Et en effet, en mai 2019, deux scientifiques ont publié un cri d’alerte pour prévenir des méfaits de la récolte industrielle des olives utilisées pour la production de l’huile dans les exploitations pratiquant la récolte mécanique et de nuit, des milliers d’oiseaux « sont éblouis et désorientés par les projecteurs lumineux des machines, et finissent alors aspirés et tués. Les fermiers peuvent retrouver jusqu’à 100 oiseaux morts par remorque de récolte.[…] Rien qu’en Andalousie, au moins 2,6 millions d’oiseaux sont tués chaque hiver ! »
Quant au colza et au tournesol, deux huiles très utilisées en France, il semblerait qu’elles menacent moins d’espèces que les autres huiles. En revanche, l’étude ne porte pas sur les pesticides et engrais…
1 réponse to “Coco, la noix de la discorde environnementale”
02.04.2021
FredopipoLes matières premières produites dans les régions chaudes sont évidement un enjeux pour la planète. Dans les régions tempérées, il n’est pour l’instant, pas possible de produire du cacao, du café ou de l’huile de palme/coco. Sommes-nous réellement capables de nous priver de ces denrées pour préserver la biodiversité ? N’est-ce pas un vœux pieux de croire que les occidentaux et les marchés émergeants (Chine, inde) pourrons s’en passer ? Enfin, pourquoi personne ne parle des monocultures en Europe destructrices d’habitat pour les espèces menacées ? Le blé en Ukraine, la vigne en Méditerranée, les fruits et légumes en Espagne ?