C’est en toute discrétion que s’est tenue du 17 au 22 février 2020 en Inde la 13ème Convention sur les espèces migratrices (CMS), plus souvent connue sous le nom de Convention de Bonn, où s’est déroulée la première édition en 1979. Pourtant, cette COP13 est loin d’être anecdotique ! Voici quelques-unes des décisions prises lors de cette dernière édition.
Quelles espèces ont vu leur protection renforcée ?
L’éléphant d’Asie
L’éléphant d’Asie (Elephas maximus) – dont il reste entre 45 000 et 50 000 membres à l’état sauvage – est classé en danger d’extinction (EN) par l’UICN et dorénavant en annexe I de la convention Bonn. L’Inde, qui a soumis cette proposition, héberge la majorité des éléphants d’Asie (environ 60 % de l’espèce). L’aire de répartition actuelle des éléphants d’Asie sauvages couvre 13 pays d’Asie du Sud et du Sud-Est, dont plusieurs pays transfrontaliers : le Bangladesh, le Bhoutan, l’Inde, le Népal et le Sri Lanka en Asie du Sud, et en Asie du Sud-est le Cambodge, la Chine, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, le Myanmar (ex. Birmanie), la Thaïlande et le Vietnam. Dans tous ces pays, l’espèce est principalement menacée par la perte de son habitat et les obstacles à sa migration (par exemple les chemins de fer) et les conflits homme- faune.
Le jaguar
Le jaguar (Panthera onca) n’est pas une espèce menacée selon les critères de la liste rouge de l’UICN. Pourtant, la proposition d’inscrire l’espèce dans les annexes I et II de la CMS a eu une issue favorable. L’idée a été soumise conjointement par le Costa Rica, l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay, le Pérou et l’Uruguay. Selon eux, le jaguar occuperait aujourd’hui environ 61 % de son aire de répartition connue avant 1900, du sud des États-Unis, jusqu’au centre de l’Argentine. L’espèce est menacée par un trafic de plus en plus important et des incendies qui détruisent son habitat.
Outardes et albatros
La grande outarde de l’Inde appelée aussi outarde à tête noire (Ardeotis nigriceps) est classée en danger critique d’extinction par l’UICN. Il ne resterait que 100 à 150 individus, principalement dans désert du Thar dans le Rajasthan, en Inde. L’espèce « présente des mouvements transfrontaliers, et sa migration l’expose à des menaces telles que la chasse dans la zone frontalière entre le Pakistan et l’Inde, et les collisions avec les lignes électriques en Inde. L’inscription de l’espèce à l’annexe I de la CMS facilitera les efforts de conservation transfrontaliers réalisés par les organismes internationaux de conservation et les lois et accords internationaux en vigueur », explique l’Inde dans la proposition soumise à la CMS.
L’albatros des antipodes – oiseau classé en danger sur la liste rouge – est dorénavant inscrit dans l’annexe I et II grâce à la proposition de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et du Chili. Diomedea antipodensis se reproduit sur l’île des Antipodes, près de la Nouvelle-Zélande, d’où elle tire son nom. Ces oiseaux migrent en haute mer et sont capables de survivre pendant de longues périodes en haute-mer puisqu’ils atteignent l’Amérique du Sud. D’après la proposition soumise à la CMS, la population mondiale d’albatros des antipodes était estimée à 50 000 individus matures en 2016, sur une population reproductrice annuelle approximative de 9 050 couples reproducteurs.
L’outarde du Bengal (Houbaropsis bengalensis) est inscrite dans la catégorie en danger critique d’extinction par l’UICN. L’Inde a proposé qu’elle soit également en annexe I de la CMS. L’espèce est « répartie en deux populations séparées et isolées, reconnues comme sous-espèces distinctes : l’une en Asie du Sud-Est au Cambodge, et l’autre en Asie du Sud, en Inde et au Népal. La population mondiale d’outardes du Bengale est estimée à moins de 1000 individus matures », explique la proposition indienne. La plus grande menace qu’encourt l’espèce est la perte de son territoire. Elle ne vivrait plus aujourd’hui que dans 25 % de son aire de répartition d’origine.
L’urial
Le Tadjikistan, l’Iran et l’Ouzbékistan ont soumis ensemble une proposition visant à inscrire l’urial (Ovis vignei) à l’annexe II de la CMS. L’espèce est absente de la liste rouge de l’UICN. Toutefois, « les migrations saisonnières et irrégulières, souvent au-delà des frontières nationales, sont importantes pour que l’urial ait accès à des habitats adaptés. L’inscription à l’annexe II de la Convention permettra l’inclusion de l’espèce dans l’Initiative pour les mammifères d’Asie centrale, à laquelle participent tous les États de l’aire de répartition, et facilitera la mise en place d’une coopération pour la conservation transfrontalière de l’espèce dans son aire de répartition », argumentent les auteurs de la proposition.
Requins
Enfin, deux requins ont été ajouté à l’annexe II de la CMS : le requin marteau commun (Sphyrna zygaena) et le requin-hâ (Galeorhinus galeus), tous deux classés vulnérables par l’UICN. Leur passage dans les annexes de la convention de la Bonn n’a pas fait l’unanimité, loin de là. L’Australie s’est opposée à ce vote, se plaignant de ne pas avoir été consultée alors qu’elle fait partie de l’aire de répartition des deux espèces. Les propositions ont finalement été toutes deux acceptées après ce léger incident diplomatique…
CMS ou CITES : attention à l’amalgame
Si vous pensez qu’un animal migrateur doit parcourir des centaines des kilomètres pour se prévaloir de cette appellation, vous vous trompez ! Juridiquement, on qualifie de « migratrice » une espèce dont « une fraction importante franchit cycliquement et de façon prévisible une ou plusieurs des limites de juridiction nationale » (source : texte de la Convention de Bonn). Beaucoup d’espèces sont donc concernées, hormis les endémiques.
L’inscription en annexe I de la CMS assure normalement à l’espèce une protection stricte : interdiction de prélèvement, conservation et restauration de l’habitat, libre passage d’un pays à l’autre.
L’annexe II concerne les espèces moins menacées mais qui verraient leur sort améliorer par un accord mondial sur leur conservation. Pour simplifier, ce sont les espèces dont la sauvegarde nécessite une coopération internationale.
Cette COP vise à prendre des mesures de conservation pour ces animaux mais n’établit pas les règles concernant leur commerce, ce qui est le but des COP de la CITES. Ainsi, une espèce peut être protégée par la CMS mais être légale à la vente d’après la CITES ce qui pose un problème juridique évident. Les espèces protégées par l’annexe I de la CMS étant interdites de captures, il est difficile de les commercialiser légalement. Par exemple, le chameau sauvage de Tartarie (Camelus ferus) – considéré en danger critique d’extinction par l’UICN – est en annexe I de la CMS mais n’est même pas listé par l’institution qui gère le commerce de la faune.
NB : l’outil Species+ est une base de données qui permet de savoir pour chaque espèce son classement dans les annexes de la CITES et celles de la CMS.
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