En 2019, la Vendée et la Charente-Maritime détenaient le triste record du nombre d’échouages de phoques et de cétacés en France. Des échouages qui vont crescendo depuis 2017 où des pics de mortalités ont été observés avec près de 800 corps rejetés par l’océan sur nos plages. La faute en grande partie à des accidents avec des engins de pêche, mais pas seulement. Pour comprendre ce phénomène, nous avons interrogé Sami Hassani, directeur de l’association Conservation des Mammifères et des Oiseaux marins de Bretagne et correspondant et membre de pilotage du Réseau national Echouage (RNE).
Une augmentation du nombre d’animaux échoués qui se répète
Depuis maintenant trois ans, les échouages de cétacés sont en forte augmentation dans l’Hexagone sur l’ensemble de la côte Atlantique. La Vendée et la Charente-Maritime sont les deux départements qui comptent le plus de cétacés et de phoques échoués devant le Finistère et le Morbihan.
Cette augmentation du nombre d’animaux retrouvés morts sur les plages n’est pas exceptionnelle en soit. Ce qui l’est en revanche, c’est que le phénomène se répète et s’intensifie avec les années. « Depuis la fin des années 1990, nous avions noté certains hivers avec un niveau très élevé d’échouages mais c’était un phénomène ponctuel. La particularité depuis 2017, c’est la répétition et, depuis 2019, nous observons également un pic d’échouage en été, ce qui était moins le cas en 2018 ou 2017 », commente Sami Hassani.
Au cours de l’hiver 2019, ce sont près de 1200 échouages de petits cétacés qui auraient été recensés contre 800 en 2017.
Les espèces de dauphins qui s’échouent en France
En France métropolitaine, nous pouvons observer :
- le dauphin commun – Delphinus delphis,
- le dauphin de Risso – Grampus griseus,
- le dauphin à bec blanc – Lagenorhynchus albirostris,
- le dauphin bleu et blanc – Stenella coeruleoalba,
- le grand dauphin – Tursiops truncatus.
Ces cinq espèces ne sont pas considérées comme menacées par l’UICN dans leur globalité mais, pour plusieurs d’entre elles, des sous-populations sont malgré tout vulnérables à l’extinction.
Dans le cas des échouages sur les côtes françaises, l’espèce la plus touchée est le dauphin commun. Parmi les 1200 corps de petits cétacés échoués en 2019, près de 900 étaient de l’espèce Delphinus delphis. « Deux causes probables à cela, nous explique le correspondant RNE. Tout d’abord, une augmentation de la population de dauphins communs au niveau européen observée entre 2005 et 2016 et sans doute aussi une augmentation des efforts de pêche sur nos côtes. La seule chose dont nous sommes certains actuellement, c’est que la distribution des dauphins s’est modifiée. Ils sont de plus en plus présents dans le Golfe de Gascogne et donc plus proches des activités humaines. On peut penser que cela s’explique surtout par un facteur nourriture mais il n’y encore aucune étude sur le sujet. »
Outre les dauphins communs, les phoques gris constituent la deuxième espèce la plus touchée par des échouages en Bretagne. Halichoerus grypus n’est pas non plus considéré comme une espèce menacée d’après les critères de la liste rouge de l’UICN mais l’augmentation de cette mortalité pourrait avoir un impact sur l’espèce à moyen terme car ce sont principalement des jeunes qui périssent sur nos côtes.
« La plupart des phoques échoués sont des jeunes de moins d’un an. Les naissances ont lieu entre octobre et décembre, l’allaitement est bref chez cette espèce et les juvéniles ont des difficultés pour trouver leur nourriture. Beaucoup des jeunes phoques des colonies anglaises arrivent sur nos côtes et se retrouvent parfois en concurrence avec les phoques veaux-marins pour le territoire et l’alimentation », détaille Sami Hassani.
Concernant les dauphins communs, « si le niveau de capture se poursuit, on peut être inquiet car on ne sait pas s’il s’agit d’une population globale ou d’une sous-population qui est victime de cette mortalité importante », ajoute le correspondant RNE. En effet, en analysant le contenu des estomacs d’individus victimes de captures accidentelles, les correspondants du Réseau National Échouage ont constaté que les dauphins communs du talus continental* ont un régime alimentaire différent de celui des dauphins communs océaniques. Cette découverte pose la question d’une population globale ou de la présence de deux ou trois sous-populations près des côtes françaises. Or, si les échouages concernent une sous-population seulement, ils peuvent effectivement causer sa disparition.
[*NDLR : Talus continental = zone de transition entre le plateau continental de faible profondeur et le domaine océanique en revanche très profond.]
Quelles sont les causes de cette mortalité importante ?
Selon le directeur de l’association Conservation des Mammifères et des Oiseaux marins de Bretagne, « 85 à 86 % des dauphins échoués présentent des traces de capture accidentelle ». Le protocole veut que lors de chaque échouage sur les côtes françaises, le RNE soit contacté et qu’un correspondant local se déplace pour constater le décès visuellement et remplir une fiche sur les caractéristiques de l’animal (espèce, sexe, taille, poids, etc.). Selon le niveau de formation du correspondant et les locaux dont il bénéficie, une nécropsie peut avoir lieu mais ce n’est pas systématique. Toutefois, les traces de captures accidentelles sont visibles de l’extérieur, sur la peau des dauphins.
L’industrie de la pêche est donc responsable d’une grande partie de cette mortalité de cétacés. Comme les humains, un dauphin respire à la surface grâce à ses poumons. Selon les espèces, la durée d’apnée peut être plus ou moins longue. Le dauphin commun aurait besoin de remonter à la surface toutes les trois minutes là où le grand dauphin tient, lui, quinze minutes sans reprendre sa respiration. Pris au piège dans un filet de pêche, un cétacé se noie donc assez rapidement. Mais les dauphins échoués ne sont qu’une partie des dauphins morts à cause de la pêche. Le haut de l’iceberg pourrait-on dire. « Un dauphin mort coule généralement ou bien est consommé par des animaux nécrophages. » Parfois seulement, il s’échoue sur nos plages, mais il ne s’agit là que d’une petite partie des animaux décédés. Grâce à la méthode de dérive inverse, on estime qu’en 2019, pour 897 dauphins communs échoués, plus de 11 300 seraient morts.
Les chalutiers en ligne de mire
Le Golfe de Gascogne représente actuellement 400 bateaux en activité. Trois types de pêche seraient principalement en cause :
- les chalutiers pélagiques, qui pêchent les poissons pélagiques donc de haute mer,
- les chalutiers de fond à grande ouverture,
- les filets droits qui recherchent les espèces de fond et les filets calés.
Si les chalutiers sont en mouvement, les filets sont des engins dits « passifs » longs de plusieurs kilomètres. Tous ces navires ont l’obligation de déclarer les captures accidentelles de mammifères marins et sont invités à baguer les cétacés avant de les remettre en mer afin de mieux quantifier la différence entre les animaux morts par prise accidentelle et ceux victimes d’échouages.
Les différentes solutions : répulsif acoustique, observateur et caméra embarquée
Pour lutter contre ces captures accidentelles, les professionnels de la pêche ont mis en place en 2005 un répulsif émettant une fréquence d’une portée de 200 à 250 mètres qui repousse les dauphins : le Cetasaver. « Ce système fonctionne assez bien, il a été prouvé qu’il réduisait de 65 à 70 % les captures mais à mon grand étonnement personne ne s’en est équipé », regrette Sami Hassani.
Heureusement à partir de 2017, les choses ont commencé à changer avec l’augmentation du nombre d’échouages de cétacés. « Des sociétés d’armement du port de Lorient (Morbihan) se sont portées volontaires pour des essais sur des chalutiers pélagiques. Ces essais ont été assez concluants et sont plutôt faciles à mettre en œuvre puisqu’il suffit de 2 ou 3 répulsifs par chalutier pélagique. En revanche, pour les filets calés, technique très répandue, il faudrait un nombre de répulsifs énorme ce qui engendrerait un coût financier important. » Une solution pourrait être de tester le répulsif sur le bateau lors de moments clés car la plupart des dauphins sont victimes de captures accidentelles au moment du filage – c’est-à-dire la mise à l’eau du filet – et du virage – quand il est remonté.
Parmi les autres solutions employées à travers le monde, il y a la présence d’un observateur systématique sur les bateaux de pêche. « Une mesure qui ne peut être durable, selon Sami Hassani. Actuellement, cette méthode est employée en France sur les bateaux volontaires mais encore faut-il qu’il y ait la place à bord et que suffisamment d’observateurs soient formés. » Ces observateurs sont actuellement formés par SINAY, un bureau d’étude normand spécialisé dans l’environnement marin et littoral, et rémunérés par l’Etat.
Autre solution en discussion, la caméra embarquée. « Techniquement c’est faisable, il y a plusieurs essais à travers le monde. Mais cela signifie des heures de rushs à visionner et puis les marins sont contre. Pour eux, il y a un côté « espionnage ». Pourtant, on n’a pas besoin de voir les hommes. Ce qu’il faut sur ces images c’est voir la surface de l’eau et le filet relevé. Mais il n’y a pas de solution miracle. »
Des solutions, il va pourtant falloir en trouver si les sociétés d’armement veulent éviter les zones d’exclusion c’est-à-dire des zones maritimes où la pêche est interdite. En Australie, pour protéger les lions de mer des captures accidentelles, la pêche aux filets maillants a été interdite autour des colonies reproductrices et les bateaux qui pêchent dans ces eaux doivent avoir une caméra embarquée pour s’assurer qu’ils n’enfreignent pas la loi.
La France, pour sa part, a déjà été épinglée par la Commission de l’Union Européenne (UE) pour « défaut d’exécution des obligations en matière de contrôle de la pêche ». Et la note a été pour le moins salée : en 2005, la France a été condamnée à payer 20 millions d’euros d’amende auxquels s’ajoutaient 57 millions d’euros par période de 6 mois durant laquelle le pays ne se mettrait pas en règle. L’Etat en avait alors appelé au Tribunal de l’UE pour faire annuler cette décision. Un recours jugé en 2011 qui n’a pas obtenu gain de cause.
Le plan national d’actions cétacés et le projet LICADO
Suite aux images diffusées par l’association Sea Shepherd montrant un dauphin mort se faire dépecer sur un bateau de pêche français en janvier 2020, Elisabeth Borne, alors ministre de la Transition écologique et solidaire et Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, ont rappelé que « la réduction des captures accidentelles de cétacés demeure une priorité pour le gouvernement ».
En effet, le dauphin commun est une espèce protégée par l’arrêté du 11 juillet 2011 fixant la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national. Si la destruction, la mutilation ou la capture intentionnelles sont interdites, la capture accidentelle dans les engins de pêche demeure en revanche impunie.
Au travers de son « Opération Dolphin Bytcatch », l’ONG Sea Shepherd dénonce régulièrement les captures de dauphins par les fileyeurs.
Mais pour éviter ces prises accessoires, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe a adopté en décembre 2019 un premier plan national d’actions pour la protection des cétacés. Il a notamment instauré l’obligation depuis le 1er janvier 2020 que tous les chalutiers pélagiques français de plus de 12 mètres opérant dans le Golfe de Gascogne durant la période hivernale soient soumis à l’obligation d’être équipés en pingers, un répulsif acoustique. Dans la vidéo ci-dessus, le bateau explique justement en être équipé et grâce à cela ne pas pêcher de dauphins. Malheureusement, les faits semblent le contredire.
Autre mesure récente, le lancement en juin 2019 du projet LICADO dont « l’objectif est la mise au point d’un répulsif acoustique directif, plus fiable en termes d’autonomie et doté de nouvelles fonctionnalités. Grâce à un hydrophone, cet outil pourra détecter les dauphins présents près de la zone en pêche, et ainsi permettre de mesurer son efficacité durant les phases de tests en mer. Il émettra alors des sons répulsifs pour les maintenir à distance. Ce fonctionnement en interaction avec l’environnement permettra de limiter non seulement la « pollution » acoustique mais aussi l’accoutumance potentielle des dauphins à ces sons », peut-on lire sur le site du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM).
Enfin, LICADO a aussi pour but de trouver une solution pour les filets calés et notamment par le biais de réflecteurs acoustiques « qui aideront les dauphins à « écholocaliser » les filets. L’une des hypothèses est en effet que les dauphins n’arrivent pas à détecter la présence des filets avec leur système d’écholocation ».
Le programme LICADO porte sur trois ans et des tests sont actuellement en cours.
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