L’espèce n’a plus été vue dans la nature depuis 2003. Des experts chinois, qui pensent qu’elle aurait véritablement disparu entre 2005 et 2010, viennent de la déclarer éteinte. Ce poisson d’eau douce – l’un des plus gros au monde – vivait dans les eaux du fleuve Yangtsé. Il s’agirait de la première extinction de la décennie qui vient de démarrer.
Extinction d’une espèce millénaire
L’espadon chinois – ou Psephurus gladius de son nom scientifique ou poisson spatule chinois – aurait donc définitivement disparu. Les dernières recherches menées en Chine sur son aire de répartition historique sont en effet parvenues à cette terrible conclusion, dévoilée au public dans la revue Science of the total environment.
Pour savoir s’il restait encore des espadons chinois dans la nature, les scientifiques ont procédé à plusieurs relevés et captures entre 2017 et 2018. Au total, ils ont identifié 332 espèces différentes de poissons, mais aucun Psephurus gladius.
« Sur la base de 210 observations d’espadons chinois au cours de la période 1981-2003, nous avons estimé que le moment de l’extinction se situerait aux alentours de 2005, au plus tard en 2010, affirment les experts. Mais il est probablement devenu fonctionnellement éteint – autrement dit incapable de se reproduire – en 1993. »
De son côté, l’Union internationale pour la conversation de la nature (UICN) a classé l’espèce dans la catégorie « en danger critique » d’extinction dès 1996.
Hélas, aucun représentant de l’espèce n’existe en captivité et aucun ADN n’a été conservé, interdisant tout espoir d’un jour la réintroduire dans son milieu naturel. « Ce poisson doit être considéré comme éteint selon les critères de la liste rouge de l’UICN », conclut l’étude.
Les raisons de l’extinction de Psephurus gladius
Qu’a-t-il pu arriver à cette espèce présente sur Terre depuis des millions d’années et autrefois commune dans le fleuve Yangtsé ? Sans surprise, ce sont les activités humaines qui ont causé sa perte, dont la surpêche.
Dans les années 1970, l’équivalent d’environ 25 tonnes de ce poisson était pêché dans le Yangtsé tous les ans. Des prélèvements massifs – notamment pour son caviar – qui ont conduit à un déclin rapide de l’espèce dès les années 1980.
D’autres menaces ont pesé sur l’avenir de l’espadon chinois, comme la pollution, l’augmentation du trafic fluvial, la construction de ports fluviaux ou encore de barrages comme celui de Gezhouba dans les années 1980. Ce dernier a séparé le cours inférieur du fleuve avec la région du delta où vivait une grande partie des espadons chinois, fragmentant ainsi dangereusement les populations. Autant de sources de stress qui nuisent à la faune aquatique des lieux.
Qui était l’espadon chinois (Psephurus gladius) ?
Ce poisson d’eau douce était l’un des plus gros au monde. Adulte, il pouvait mesurer près de 4 mètres de long et peser jusqu’à 250 kilos ! Un record pourrait même avoir été enregistré à 7 mètres pour un poids de 450 kilos. C’est bien plus que le béluga européen, un autre poisson d’eau douce qui se distingue par ses dimensions gigantesques, classé « en danger critique » d’extinction par l’UICN.
Il doit son surnom d’espadon à l’imposant museau en forme d’épée qu’il arborait. En réalité, Psephurus gladius n’est pas un espadon : il appartient à l’ordre des Acipenseriformes, comme les esturgeons et autres poissons spatules. Il est souvent confondu avec son cousin américain Polyodon spathula, qui vit aux Etats-Unis et est classé « vulnérable » par l’UICN.
L’espèce était considérée comme anadrome, c’est-à-dire qu’elle migrait de la mer jusqu’aux cours d’eau douce pour se reproduire. Les scientifiques ont en effet enregistré des migrations d’individus adultes.
Le fleuve Yangtsé, hotspot de biodiversité
Cette extinction doit retentir comme un puissant signal d’alarme et conduire à des mesures urgentes, car l’espadon chinois n’est pas la seule espèce menacée originaire du Yangtsé.
D’ailleurs, les scientifiques soulignent qu’au cours de leurs relevés, « 140 espèces de poissons signalées historiquement n’ont pas été trouvées, dont la plupart sont considérées comme très menacées. […] L’écosystème du fleuve Yangtsé abritait autrefois une mégafaune aquatique diversifiée, mais il est de plus en plus affecté par divers facteurs de stress anthropiques qui ont entraîné une perte continue de la biodiversité. »
Aujourd’hui, le Yangtsé serait l’habitat de plus de 4000 espèces aquatiques, dont de nombreuses menacées. Il s’agit aussi bien de poissons que de reptiles, avec les tortues géantes du Yangtsé qui pourraient avoir déjà disparu, et d’amphibiens avec la salamandre géante de Chine.
Le Yangtsé est aussi célèbre pour être le dernier refuge du dauphin de Chine (Lipotes Wexillifer), aussi appelé Baiji. Ce cétacé d’eau douce est aujourd’hui considéré comme probablement éteint par l’UICN, même si des témoignages assurant l’avoir aperçu peuvent parfois arriver.
Moratoire de 10 ans sur la pêche commerciale
Face à cette richesse si menacée, le gouvernement chinois s’est enfin décidé à agir. A partir du 1er janvier 2020, la pêche commerciale sera interdite dans le Yangtsé et ce pour une durée de 10 ans.
332 zones de conservation sont immédiatement concernées, et l’interdiction s’étendra à « tous les cours d’eau naturels du fleuve ainsi qu’à ses principaux affluents et au cours d’eau des grands lacs reliés au Yangtsé, dont les lacs Dongting et Poyang, au plus tard de 1er janvier 2021 », assure l’agence de presse Xinhua.
Un moratoire bienvenu pour la faune et la flore locales, mais qui arrive trop tard pour certaines espèces, dont l’espadon chinois.
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