L’espoir renaît pour les amphibiens : victimes depuis la fin des années 1990 d’une inquiétante épizootie causée par un champignon, plusieurs espèces commencent à montrer des formes de résistance. Au Panama, pays fortement touché, des populations que l’on croyait éteintes localement commencent même à repeupler la zone.
Batrachochytrium dendrobatidis, champignon mortel pour les amphibiens
En 1998, les premiers cas sont observés en Australie et en Amérique centrale par la communauté scientifique. Des amphibiens meurent dans des conditions inédites. Tous sont atteints d’une toute nouvelle maladie appelée « chytridiomycosis ».
Rapidement, ce mal touche un grand nombre d’espèces d’amphibiens – en 2004, déjà un tiers d’entre elles sont contaminées – et se propage partout sur la planète. Le responsable est vite démasqué : il s’agit d’un champignon aquatique appelé Batrachochytrium dendrobatidis (Bd). Celui-ci appartient au groupe des chytrides, des champignons qui grandissent en tirant leurs nutriments de plantes ou des matières animales subaquatiques en décomposition. Mais Bd est quelque peu différent car il se nourrit de la peau des amphibiens vivants, l’empêchant d’assurer ses fonctions d’absorption de l’air et de l’eau. Pour rappel, la peau des grenouilles et crapauds est perméable et c’est elle qui leur permet de respirer sous l’eau. Elle joue donc un rôle prépondérant pour ces animaux qui passent la majeure partie de leur temps en eau douce. Résultat, les malades meurent dans la quasi-totalité des cas, mais il peut aussi arriver que Bd soit présent sans pour autant causer de maladie et entraîner la mort.
Certaines espèces d’amphibiens y sont même peu sensibles, comme la grenouille taureau – Lithobates catesbeianus – dont le caractère invasif a en partie contribué à la rapide propagation de l’épizootie. Des traces de Bd ont également été retrouvées sur des plumes d’oiseaux, laissant penser qu’ils auraient transporté ce champignon mortel partout dans le monde par la voie des airs, un canal de transmission rapide et étendu. Le commerce d’amphibiens comme animaux de compagnie peut aussi avoir joué un rôle important.
Des espèces exterminées, d’autres décimées
D’après les scientifiques, la chytridiomycosis aurait participé à l’extinction de 90 espèces et au déclin de près de 500 autres dans le monde ces cinquante dernières années. Une véritable hécatombe. Des espèces ont en effet subi de lourdes pertes et se classent aujourd’hui sur la liste des espèces les plus menacées au monde en partie à cause de cette maladie infectieuse, comme par exemple la grenouille lémur arboricole (Agalychnis lemur), la grenouille corroborée (Pseudophryne corroboree) ou encore le crapaud à ventre jaune des Appenins (Bombina pachypus). Au rythme où cela progresse, le pire est à prévoir pour un grand nombre d’amphibiens ces prochaines années.
Mais bonne nouvelle : au Panama, neuf espèces de grenouilles – soit 12% des amphibiens vivant dans cette zone – sont revenues à des niveaux de population proches de ceux estimés avant l’arrivée de Bd. Et ce alors même que le champignon mortel est toujours présent !
Dans une étude publiée le 30 mars 2018 dans la revue Science, des chercheurs de l’université du Nevada révèlent que plusieurs grenouilles exposées à la maladie ont en effet développé une forme de résistance à l’agent pathogène. Pourtant jusqu’à présent, ces espèces avaient subi de lourdes pertes à cause de Bd, en particulier dans les trois sites panaméens étudiés – El Copé, El Valle et Campana, tous fortement touchés par l’épidémie – mais elles semblent se remettre seules de cet épisode infectieux. Un mieux qui a aussi été observé dans certaines populations australiennes.
S’adapter pour survivre
Les scientifiques ont donc naturellement cherché à savoir si ce phénomène était dû à l’affaiblissement de l’agent pathogène ou davantage au développement d’une forme d’immunité chez les grenouilles, ou encore s’il s’agissait d’une combinaison de ces deux hypothèses. Après avoir mené plusieurs expériences, l’équipe de l’université du Nevada s’est rendue compte que Bd restait mortel mais que certains individus survivaient après l’infection.
Pour accomplir cet exploit, les grenouilles qui avaient déjà été exposées au pathogène ont réussi à s’adapter et à ralentir la croissance de Bd grâce aux substances microbiennes présentes dans leurs sécrétions cutanées. En résumé, leur système immunitaire a évolué au contact de Bd pour le combattre plus efficacement. Les grenouilles élevées en captivité et qui n’avaient jamais rencontré Bd n’ont en revanche pas développé une telle défense. Mais la preuve est bel et bien là : certains amphibiens sont désormais capables de lutter contre la chytridiomycosis.
Pour l’instant, l’étude ne porte que sur des espèces de grenouilles vivant au Panama et l’on ignore encore comment les grenouilles ont réussi un tel exploit en si peu de temps, mais l’espoir n’a jamais été aussi grand pour l’ensemble des amphibiens jusqu’alors très vulnérables.
par Jennifer Matas
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