Cela faisait près d’un quart de siècle que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) classait l’ibis chauve dans la catégorie « en danger critique d’extinction » (CR). Bonne nouvelle pour cet oiseau : il y a du mieux. L’espèce vient de passer « en danger » (EN), signe que sa population sauvage est en train de se rétablir. Mais les efforts doivent être maintenus.
Le Maroc, dernier bastion de l’ibis chauve
Autrefois présent tout autour de la Méditerranée et jusqu’au Moyen-Orient, Geronticus eremita a progressivement disparu partout sur son aire de répartition. Sous les effets cumulés de la chasse, de la disparition de son habitat au profit de zones urbanisées et de l’épandage de pesticides, cet ibis au plumage noir irisé a vu sa population chuter de façon dramatique, jusqu’à frôler l’extinction à l’état sauvage. Dès les années 1980, des mesures de conservation sont prises au Maroc, l’un des derniers pays au monde à accueillir une colonie sauvage. Sous la direction du Groupe de recherche pour la protection des oiseaux au Maroc (GREPOM), en partenariat avec l’antenne marocaine de BirdLife, plusieurs mesures ont été prises. Aujourd’hui, ces actions ont payé puisque le Maroc est le dernier pays au monde à avoir su préserver une population sauvage d’ibis chauves. Mieux, cette colonie grandit puisqu’en 2018, elle comptait plus de 700 oiseaux pour environ 300 couples reproducteurs, contre 589 individus en 2017. Autre signe positif, il y a eu deux tentatives de nidification hors des sites actuels, ce qui prouverait que l’espèce commence à recoloniser des zones occupées auparavant.
Des mesures de conservation qui portent leurs fruits
Création du parc national de Souss-Massa
La sauvegarde de l’ibis chauve a été menée sur plusieurs fronts. Mais à l’origine, cela a commencé par l’identification de ses zones d’occurrence. « Nous avons mené une étude pour identifier où se situaient précisément ses habitats dans la région d’Agadir, raconte Mohamed Dakki, président du GREPOM et professeur d’écologie à l’institut scientifique de Rabat. Après concertations, la décision a été prise de créer à cet endroit le parc national de Souss-Massa, en 1991. » La naissance de ce parc est une avancée majeure dans la sauvegarde de Geronticus eremita, d’autant qu’elle s’est doublée du lancement d’un plan d’action national pour la conservation de l’ibis chauve (PANIC) en 1994. Aujourd’hui encore, les équipes du parc national de Souss-Massa travaillent en étroite collaboration avec le GREPOM pour surveiller les ibis chauves, les protéger et s’assurer que la colonie grandit. « Le Maroc a aussi créé plusieurs sites d’intérêts biologique et écologique (SIBE), des aires protégées dans lesquelles vivent les ibis chauves », poursuit Mohamed Dakki.
Des écogardes attentifs
Afin de s’assurer que les ibis chauves du Maroc vont bien, sept écogardes sont chargés de les observer tous les jours de la semaine. Chacun leur tour, ils se relaient pour surveiller les zones de repos, les dortoirs et les nichoirs où vivent ces oiseaux menacés. « Pendant la période de reproduction, les écogardes s’assurent également que personne ne puisse accéder aux sites, ainsi qu’aux zones de gagnage où se nourrit l’espèce. Il leur arrive même de leur apporter de l’eau lorsque la sécheresse gagne la région. Ainsi, on évite que les oiseaux ne partent trop loin pour s’abreuver », ajoute le président du GREPOM. Pour lui, le gardiennage est probablement la mesure de sauvegarde la plus efficace sur le terrain. « A partir du moment où nous réussissons à protéger l’espace dans lequel vit l’espèce et à lui offrir un habitat sécurisé et suffisamment riche en nourriture, nous lui garantissons les meilleures chances. » Les écogardes jouent également un rôle majeur dans la préservation des ibis chauves puisqu’ils ont pour mission d’assurer leur suivi, de notifier tous leurs déplacements et d’en informer le parc national de Souss-Massa, qui transfère ensuite ces données au GREPOM. « Nous disposons désormais d’une cartographie plutôt précise qui nous permet de mieux connaître les habitudes de l’espèce et ainsi de mieux la protéger », explique Mohamed Dakki.
Sensibilisation des entreprises et communautés locales
Autre point important pour protéger l’ibis chauve : informer les acteurs locaux de l’importance de sauvegarder l’espèce. « Le GREPOM a dernièrement apporté son soutien à plusieurs actions proposées par des coopératives locales, dans le domaine de la production d’huile d’argan et de la pêche notamment, pour leur apporter des alternatives de développement tout en protégeant l’ibis chauve et son habitat », détaille le président de l’organisme. Le GREPOM et Souss-Massa développent par ailleurs des programmes de sensibilisation à destination des élèves et étudiants. « Une statue d’ibis chauve a même été inaugurée à l’université pour que les étudiants découvrent l’espèce, car nous nous sommes rendus compte que peu de gens la connaissaient. »
Maintenir les efforts de conservation
Si le nombre d’individus augmente au Maroc, il ne faut pas oublier que l’ibis chauve reste très menacé. « Il s’agit de la dernière colonie naturelle », rappelle Mohamed Dakki. D’où la nécessité de maintenir d’importants efforts dans le dernier refuge de l’espèce. Cet oiseau semble en effet avoir totalement disparu de Syrie où il était encore présent il y a une dizaine d’années, et en Turquie subsiste une population semi-libre et réduite. Enfin, ces dernières années, plusieurs zoos européens ont participé à la réintroduction en Andalousie d’individus nés en captivité. L’objectif : créer une population viable dans le Sud de l’Espagne. Mais certains de ces oiseaux pourraient prendre leur envol et rejoindre la colonie marocaine, ce qui aurait des conséquences encore inconnues. « Nous restons vigilants », conclut le président du GREPOM.
par Jennifer Matas
1 réponse to “Un avenir plus radieux s’annonce-t-il pour l’ibis chauve ?”
28.09.2019
Matia MullerLes efforts pour sauvegarder cette espèce incroyable vont peut-être payer !
Pour rajouter quelques éléments par rapport à cet article, sachez aussi qu’il existe aussi un projet de réintroduction en Allemagne et Autriche (et peut-être prochainement en Suisse), où l’espèce avait disparu depuis plusieurs siècles. Les ibis sont ensuite entraînés à suivre un ULM pour aller hiverner en Italie, et transmettront par la suite la voie migratoire leurs petits. Un magnifique exemple de culture animale.