
Pour beaucoup, le jaguar – Panthera onca – est un animal emblématique d’Amérique du Sud, et notamment du Pantanal. Mais certaines associations de protection animale voudraient le voir reprendre possession de son aire de répartition historique. Or, c’est là que les scientifiques se déchirent. Doit-on y inclure les Etats-Unis, en Amérique du Nord ?
De ce débat sur l’aire de répartition historique du jaguar découle la légitimité du projet de réintroduction de Panthera onca aux USA. Un projet pas si insensé puisque plusieurs individus ont déjà été aperçus franchissant la frontière d’eux-mêmes.
Observations régulières de jaguars aux USA
Les Etats-Unis et Panthera onca, c’est une histoire compliquée. D’après l’organisation Panthera, le jaguar a été éradiqué de 40 % de son aire de répartition historique pour n’être plus visible que dans 18 pays d’Amérique Latine, du Mexique à l’Argentine.
Mais les Etats-Unis font-ils partie de ces 40 % ? Si leur inclusion dans l’aire historique du jaguar fait toujours débat, ce qui est certain c’est que ces félins ont longtemps sillonné les routes des Etats frontaliers avec le Mexique, et notamment de l’Arizona et du Nouveau-Mexique, dans le sud-ouest des Etats-Unis. Population indigène ou animaux venus du Mexique ? Difficile de savoir. Historiquement, le jaguar était en tout cas visible aux Etats-Unis et l’est toujours, bien que rarement. Depuis 1900, environ 60 observations de jaguars ont été faites dans le pays.
Mais le beau félin n’est pas le bienvenu. Au début du XXème siècle, des primes sont même offertes aux chasseurs s’ils ramènent un corps de jaguar. Résultat, la dernière femelle connue est abattue dans l’Arizona en 1963 et, l’année suivante, c’est le dernier mâle identifié qui suit le même destin.
Population éteinte ou juste très fragilisée ? C’est encore l’un des grands mystères qui entoure l’histoire des jaguars aux Etats-Unis. Toujours est-il qu’en 2021, la présence d’un jaguar sur le territoire nord-américain fait toujours les gros titres.
En 2021, deux individus au moins sont connus pour résider sur le territoire : El Jefe et Sombra. Mais ils pourraient bien être plus nombreux très bientôt…
Introduire des jaguars aux Etats-Unis : projet controversé ou légitime ?
En avril 2019, le U.S. Fish and Wildlife Service (USFWS) a publié un plan de rétablissement du jaguar après plusieurs décennies de controverses sur le statut protégé ou non de l’espèce. Menacée en Amérique du Sud, où les populations sont victimes de l’expansion de l’agriculture et des feux de forêt qui diminuent leur territoire, le jaguar n’est ajouté qu’en 1997 à la liste des espèces en voie de disparition américaine : l’Endangered species act. Pour autant, les actions de conservation ne sont pas destinées à l’espèce sur le territoire nord-américain mais bien au sud de la frontière mexicaine. Elles portent notamment sur la réduction du braconnage des jaguars pour leurs dents et leur fourrure.
Certaines associations voudraient que leur gouvernement aille plus loin. De nombreuses études ont été publiées ces dernières années pour prouver que la réintroduction de Panthera onca aux Etats-Unis fonctionnerait, et plus particulièrement dans une zone appelée CANRA pour Central Arizona/New Mexico Recovery Area. Dans « The case for reintroduction : The Jaguar (Panthera onca in the United States as a model » publié en février 2021, des chercheurs de la Wildlife Conservation Society, ONG new-yorkaise, militent en faveur d’actions de réintroduction du félin sur le territoire. Ils le justifient d’abord par la nécessité de protéger une espèce emblématique, mais aussi par son droit légitime : « l’espèce occupait autrefois ce territoire et a été extirpée par des actions humaines qui ne devraient plus constituer une menace », déclarent-ils. Enfin, ultime argument, le retour du grand prédateur pourrait être favorable à l’écosystème tout entier.
Central Arizona/New Mexico Recovery Area, ou CANRA, un territoire unique pour les jaguars
Proches de la frontière mexicaine, les Etats de l’Arizona et du Nouveau-Mexique pourraient accueillir jusqu’à 150 jaguars adultes. Eric Sanderson, chercheur à la Wildlife Conservation Society (WCS) et auteur principal des études sur la réintroduction du jaguar au CANRA, explique que la zone « représente un habitat complètement différent des jungles d’Amérique du Sud et du Mexique, ce qui le rend « d’une valeur unique » pour la restauration du jaguar ».

Image d’un mâle jaguar capturée par un piège photographique dans les Santa Rita Mountains, en Arizona, en 2014. Photo Courtesy of UA/USFWS
Le CANRA présente une végétation tout à fait particulière, « point de rencontre d’espèces subtropicales et tempérées », composée d’une strate de forêts sèches de pins genévriers et, au-dessus, de forêts de pins humides. Ce biotope pourrait non seulement plaire au jaguar, mais surtout Panthera onca pourrait être utile à cet environnement en y régulant notamment la population d’ongulés comme les cerfs de Virginie et les cerfs mulets.
Un essai a d’ailleurs déjà été fait avec une autre espèce de prédateurs. « Les loups mexicains (Canis lupus baileyi) ont été réintroduits en 1998 après un long processus controversé qui a guidé ce travail. Onze individus élevés en captivité ont été introduits en tant que « population expérimentale non essentielle » aux États-Unis. Aujourd’hui, la population est passée à 163 individus, bien que des études suggèrent que la population n’a pas encore atteint une densité écologiquement efficace. » La réintroduction de jaguars pourrait donc être une action complémentaire à celle des loups.
Réintroduction très controversée
Mais ce projet est loin de soulever un engouement général, même au sein des spécialistes. Cité par le journal Vox, Jim Heffelfinger, coordinateur de l’Arizona Game and Fish Department, considère que les jaguars aperçus dans la région ne sont pas originaires d’Arizona et du Nouveau Mexique et qu’ils auraient pu être introduits illégalement par des guides de chasse. Il est pour sa part très sceptique sur la compatibilité entre Panthera onca et l’écosystème du CANRA, allant jusqu’à déclarer que celui-ci n’est vraiment pas adapté à l’espèce : « Nous n’avons pas besoin de ce genre de tollé négatif à propos de la faune alors que nous pourrions concentrer nos efforts de conservation sur l’endroit où les jaguars veulent vivre« , explique-t-il en référence au sud de la frontière.
Alan Rabinowitz, fondateur de Panthera, est même allé jusqu’à considérer ce projet de réintroduction comme un « gaspillage des fonds des contribuables américains« , considérant qu’il n’existe aucune preuve que les Etats-Unis fassent bien partie de l’aire de répartition d’origine du jaguar.
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