Elles s’appellent murin cryptique (Myotis crypticus) et murin Zenati (Myotis zenati) et ce sont deux espèces distinctes de chauves-souris. La première vit dans la partie occidentale de l’Europe – de l’Espagne jusqu’à la Slovénie en passant par la France, l’Angleterre, la Suisse ou encore l’Italie – tandis que la deuxième ne vit qu’au Maroc et en Algérie.
Elles ont été décrites pour la première fois fin 2018 par une équipe de chercheurs suisses, espagnols et français. Leurs travaux ont été rendus publics en février 2019. Avant cette date, on ignorait parfaitement leur existence.
Pas une mais trois espèces distinctes
En réalité, ces populations de chiroptères étaient connues et avaient déjà été observées, mais les scientifiques pensaient qu’elles appartenaient à une seule espèce : le murin de Natterer. Une troisième espèce encore à part, donc.
« Le murin de Natterer est une espèce de chauve-souris peu commune, mais pas très rare non plus, qui se distingue par une frange de poils raides le long de sa queue, explique Manuel Ruedi, conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Genève et membre de l’équipe ayant découvert ces nouvelles espèces. Jusqu’à présent, c’était donc très facile de les distinguer : dès qu’on apercevait cette caractéristique unique, on en déduisait qu’il s’agissait d’un murin de Natterer ! »
Mais c’est désormais officiel : trois espèces différentes de chauves-souris présentent cette même caractéristique. Ce qui complique la donne pour les distinguer.
Quasi identiques physiquement
Si les scientifiques y sont quand même parvenus, c’est grâce à une analyse génétique approfondie portant sur 345 individus issus de 22 populations différentes, réparties entre l’Europe et le Maghreb. Les résultats ont été sans appel : il s’agit bien d’espèces indépendantes qui, semble-t-il, ne se mélangent pas.
« L’espèce d’Afrique du Nord est assez facile à distinguer des autres. D’abord parce qu’elle est la seule à vivre dans cette région, qu’elle préfère les zones désertiques et puis parce qu’elle est un peu plus petite et un peu plus claire », détaille Manuel Ruedi.
Pour différencier le murin de Natterer du murin cryptique, c’est en revanche une autre paire de manches. Car les deux espèces sont « quasi identiques physiquement, aucune différence notable n’a encore été trouvée » et puis parce que leurs aires de répartition se chevauchent.
« Nous avons examiné des spécimens stockés dans les musées – certains y étaient depuis des centaines d’années –, pris une quinzaine de mesures crâniennes différentes et en faisant une analyse multivariée un peu compliquée, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il s’agissait de deux groupes distincts », poursuit le conservateur.
Apprendre à connaître ces nouvelles espèces
Identifier ces nouvelles espèces est un début, mais il reste encore de travail à fournir. « Nous venons tout juste de découvrir qu’au lieu d’une espèce, nous en avons trois, mais tout reste à découvrir ! La prochaine étape consiste à connaître les populations. Sont-elles nombreuses ou pas ? Que mangent-elles ? Où vivent-elles ? Ont-elles des modes de vie différents ? Etc. »
Une évaluation de leur état de conservation selon les critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) serait également souhaitable.
En effet comme pour les tortues à carapace molle d’Asie – dont on vient de découvrir une nouvelle espèce – lorsque les scientifiques se rendent qu’une espèce se scinde en fait en plusieurs, le niveau de menace peut varier. Tout simplement parce qu’une population que l’on pensait nombreuse se retrouve divisée.
Le murin Zenati, espèce menacée
Il y a particulièrement urgence en ce qui concerne la chauve-souris du Maghreb. « Nous savons déjà que le murin Zenati est très menacé », assure Manuel Ruedi. La population sauvage de cette chauve-souris est restreinte – quelques colonies ont été observées au Maroc et seulement trois en Algérie – et confinée aux cavités rocheuses.
Cette préférence pour les grottes accroît les menaces qui pèsent sur elles, car ces lieux sont généralement pas mal visités. Elles peuvent être facilement dérangées par des visiteurs peu discrets qui éclairent, ce qui dérange les chauves-souris. Certains peuvent même allumer des feux, les enfumant et les tuant dans la plupart des cas.
Il faut aussi savoir que « les chauves-souris sèches entrent dans la pharmacopée en Afrique du Nord pour soigner la toux des enfants », souligne Manuel Ruedi. Ce qui peut aggraver leur situation.
« Il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’une espèce à géographie restreinte, à population faible et avec de fortes menaces potentielles provenant de l’homme », résume le conservateur.
par Jennifer Matas
0 réponse à “Deux nouvelles espèces de chauves-souris découvertes en Europe et en Afrique du Nord”