Le lynx est une espèce protégée en France, où on dénombre entre 100 et 120 individus principalement dans le Jura. En 2017, la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) est missionnée par le WWF France pour rédiger Le Plan d’Actions pour la Conservation du Lynx boréal, servant de base au premier plan national d’actions (PNA) en faveur du lynx boréal en France qui devrait voir le jour en 2021.
Mais trois ans plus tard, le Centre Athénas, seul centre de soins français habilité à s’occuper de lynx, s’insurge : « Sous pression de la Fédération nationale des chasseurs […] le PNA lynx sera vidé de son sens ». Pourquoi une telle réaction avant même la mise en place du plan ? On vous explique.
Les reproches du Centre Athénas au PNA lynx
Mi-octobre, dans un cri du cœur, le Centre Athénas alerte ses partisans au sujet du futur plan national d’actions lynx, actuellement en relecture par son Comité de Pilotage. « Sous pression de la Fédération nationale des chasseurs […] le PNA lynx sera vidé de son sens. Peu de moyens pour les vraies actions conservation, du saupoudrage pour financer des réunions dans les milieux cynégétiques, et des études qui ne se traduiront pas par des mesures sur le terrain. »
Le centre de soins situé dans le Jura accuse le PNA :
- d’accorder une trop faible place à la sauvegarde de l’espèce : « seulement 6 % du budget est prévu pour le sauvetage des lynx et la lutte contre le braconnage soit moins que les sommes affectées au seul fonctionnement du PNA »,
- d’écarter d’emblée la possibilité de recourir à des renforcements de la population du lynx et ce pour les dix prochaines années,
- de faire passer en force le programme prédateur-proie malgré l’avis des autorités scientifiques.
L’avis de la SFEPM : des points positifs mais d’autres incomplets
En réponse aux accusations du Centre Athénas, nous avons contacté la SFEPM, dont les recommandations devaient servir de base au PNA. Rebecca Burlaud, chargée de mission Lynx, nous a répondu.
Pour elle, le PNA Lynx n’est pas à ce point « vidé de son sens [… ] Malgré la lenteur inconcevable de la finalisation de ce PNA, et le manque certain de communication de la part de l’équipe coordinatrice et animatrice […] nous pouvons noter du positif. Cependant, de nombreux points restent non satisfaisants et certaines sections de ce PNA sont incomplètes ou pauvres de sens ».
La SFEPM s’accorde avec le centre Athénas sur l’incohérence du budget : « les sommes dédiées à la lutte contre les destructions illégales, aux programmes de recherche sur les aspects sanitaires et génétiques et aux impacts des aménagements semblent insuffisamment calibrées en comparaison avec celles dédiées à la coexistence avec les activités humaines (chasse, élevage). D’ailleurs, nous regrettons que les actions du PNA ne soient pas hiérarchisées entre elles et ceci manque pour identifier les actions absolument prioritaires pour la conservation de l’espèce ».
Enfin, sur l’engagement de l’Etat à ne pas procéder à de nouvelles réintroductions de lynx en France et ce pour les dix prochaines années, Rebecca Burlaud nous explique l’argument mis en avant par les services de l’État. Renforcer la population sauvage de lynx serait vain tant que la présence de l’espèce n’est pas mieux acceptée par les Français et notamment les éleveurs et les chasseurs. Rappelons qu’en France, le braconnage est l’une des raisons premières de la disparition du Lynx dans le massif des Vosges.
En effet, les dernières réintroductions de lynx en France ont eu lieu il y a 27 ans dans les Vosges. Dans les années qui ont suivi, trois animaux ont été abattus par des braconniers et trois autres cas ont été soupçonnés, bien que non avérés.
La Société française pour l’étude et la protection des mammifères rappelle néanmoins que malgré l’engagement de l’Etat sur cette période de dix ans sans renforcement, « ceci pourra néanmoins évoluer lors de l’évaluation du PNA dans trois ans. […] L’objectif du PNA est de rétablir le lynx boréal dans un bon état de conservation, et ceci ne peut se faire sur quelques années. Cependant, les évaluations à trois et six ans sont importantes pour réajuster ou réorienter éventuellement les actions qui le nécessiteraient, comme par exemple le besoin de renforcement de la population de Lynx. »
Enfin, comme c’est le cas pour l’ours et inscrit page 19 de son Plan national d’actions, la SFEPM demande à ce que chaque lynx tué par la main de l’homme soit « systématiquement remplacé par un, voire deux individus, et ce dès aujourd’hui ».
Qu’est-ce qu’un Plan National d’Actions (PNA) ?
C’est un document officiel de l’Etat qui sert de feuille de route aux actions à mettre en place pour rétablir une population viable d’une espèce menacée, dans le cas présent Lynx lynx, en danger d’extinction en France. D’une durée de cinq ou dix ans, il peut être renouvelé si le but n’est pas atteint à la fin de cette période. Par exemple pour l’apron du Rhône, un premier PNA 2012-2017 a récolté des résultats très encourageants permettant à l’espèce de reconquérir des territoires mais pas de permettre sa survie à long terme. La rédaction d’un second plan d’actions a donc été confié au Conservatoire d’espaces naturels Rhône-Alpes.
Selon le gouvernement, en France plus de 70 Plans nationaux d’actions ont déjà été établis au bénéfice de plus de 200 espèces parmi les plus menacées comme le hamster commun en Alsace, le loup, l’outarde canepetière, le râle des genêts, les grands rapaces, la tortue d’Hermann, la Cistude d’Europe, etc.
Le programme prédateur-proie (PPP)
Créé en 2004 par l’ONCFS, le Programme Prédateur proies (PPP) a pour but de mesurer l’impact du loup sur les populations d’ongulés sauvage. Ce programme consiste à capturer des animaux sauvages, à les équiper d’un collier GPS avant de les relâcher sur leur lieu de capture.
Dans le cas du lynx, l’Etat voudrait capturer une dizaine de lynx (soit 10 % de la population) sur deux départements afin d’étudier les relations prédateurs-proies-chasseurs. Le Centre Athénas rappelle que ce programme a déjà été « rejeté par deux fois par le Conseil National de Protection de la Nature pour le danger qu’il représente pour l’espèce ». Ce projet est porté par trois fédérations départementales de chasseurs (FDC), l’ONCFS, le CNRS et un Comité de Pilotage scientifique du Programme Prédateur-Proies Lynx existe déjà.
Plusieurs associations comme le Centre Athénas ou Ferus dénonce ce procédé. « Nous sommes inquiets car les chasseurs veulent démontrer que le lynx prélève trop de chevreuils et de chamois, ils veulent à terme le réguler… Nous ne voyons pas l’intérêt pour le lynx dans le Jura de faire une telle opération. Il n’est pas logique que des chasseurs soient à l’origine de ce programme, et on peut avoir des doutes qu’il soit destiné à une protection intégrale et stricte du lynx boréal », expliquait Olivier Guder, vice président de Ferus et coordinateur des actions pour le lynx, à France 3 en septembre 2019.
2 Réponses to “Le premier plan national d’actions lynx déjà critiqué avant même son lancement”
26.02.2021
Saintot ArmelleLa chasse devrait être interdite quel que soit l’animal chassé !!
C’est de la barbarie pure et simple !! C’est une pratique d’un autre monde qui ne sert à rien
10.12.2020
Patrick AudouxIl serait grand temps d’interdire aux chasseurs toute intervention dans la gestion de la faune sauvage. Ils font assez de dégâts comme ça ! Depuis le temps qu’ils se prétendent être des indispensables « régulateurs », si c’était le cas cela se verrait ! Or, la faune sauvage n’a jamais été dans un aussi triste état en France !