Depuis quelques années, le débat de société autour de la légitimité de la gestion des aires protégées fait grand bruit. En grossissant le trait, longtemps les peuples autochtones ont été repoussés hors de leurs terres au nom de la protection de la faune et de la flore tandis que des ONG étrangères étaient diligentées pour gérer ces zones dîtes désormais protégées. Ce n’est bien sûr pas toujours ce qui arrive, mais il s’agit du cas le plus courant. Fin 2020, la sortie du livre « L’invention du colonialisme vert » de Guillaume Blanc a coïncidé avec la diffusion du reportage de la BBC sur Nashulai, la première réserve communautaire gérée par les Maasaï, au Kenya. Deux gros coups de pied dans la fourmilière.
Des aires protégées au détriment des hommes
Guillaume Blanc, historien de l’environnement à la tête d’un programme de recherche sur l’histoire des aires protégées d’Afrique et d’Asie n’y va pas avec le dos de la cuillère dans son livre : « Derrière chaque injustice sociale que subissent les habitants de la nature en Afrique, on trouve toujours l’Unesco, le WWF, l’UICN… […] Cet idéal d’une nature débarrassée de ses habitants guide la majorité des aires protégées du continent. Voilà ce qu’est le colonialisme vert », explique-t-il dans son livre.
Les ONG et institutions coupables de maltraitance humaine au profit de la protection de l’environnement ? Le débat est loin d’être nouveau.
Le WWF attaqué en justice
En 2016, Survival International déplorait la création de zones de conservation au Cameroun sur des territoires où vit un peuple autochtone, les Pygmées Baka, sans le consentement de ces derniers. « Survival avait demandé au WWF d’accepter de s’assurer – conformément aux principes mêmes du WWF – qu’à l’avenir les Pygmées Baka donnent leur consentement concernant la gestion des zones de conservation se trouvant sur leurs territoires au Cameroun. Le WWF a refusé. » (source)
Suite à quoi, Survival International créait le scandale en déposant une plainte contre les pratiques de l’ONG à tête de panda géant, une première dans le monde de la protection de la nature.
Une politique anti-indigène critiquée en Afrique mais également en Amérique du Sud. En janvier 2021, les peuples autochtones d’Amazonie brésilienne ont déposé plainte à la Cour Pénale Internationale contre Jair Bolsonaro pour crimes contre l’humanité en réaction à sa politique anti-indigènes et ouvertement climatosceptique.
Pourquoi la nature au détriment de l’homme ? Tout simplement parce que l’homme détruit. Qu’il soit né sur cette terre devenue aire protégée, cela a longtemps fait peu de différence. « Être né dans un parc national c’est être un squatter dans sa propre maison », poursuit Guillaume Blanc dans son livre « L’invention du colonialisme vert ».
Aujourd’hui, les choses ont-elles changé ? D’autres modèles que la protection intégrale sont testés dans le but de protéger la biodiversité sans nuire aux autochtones.
Intégrer les communautés locales, la clé de la conservation animale ?
Les jeunes ONG françaises l’ont compris : aujourd’hui, il ne peut y avoir de protection de la nature sans l’aide des communautés locales, sous peine d’augmenter les conflits homme-faune.
Intégrer les autochtones dans la conservation, oui, mais comment ? Eux qui chassent des espèces parfois menacées, qui font paître leurs animaux dans des prairies irremplaçables ou qui mettent le feu à leur forêt pour les défricher rapidement et autres classiques écueils… Il faut leur permettre de tirer partie de la conservation animale. Eco-tourisme, rangers, guide, interprète, le principe du « community based conservation » est de permettre aux communautés locales de vivre de la protection de la biodiversité.
L’exemple d’Helpsimus à Madagascar
C’est l’approche d’Helpsimus, association française de sauvegarde du grand hapalémur, lémurien très menacé de Madagascar. Celle-ci intervient sur des VOI, des associations villageoises auxquelles l’Administration forestière malgache transfère la gestion de zones de forêt situées sur leurs terres. Tout un symbole.
Les actions de l’association française sont intrinsèquement liées à l’amélioration des conditions de vie des Malgaches et pas seulement à la protection animale. Ainsi fin 2020, Helpsimus annonçait la création d’une cantine scolaire mais également de potagers scolaires. Mais dans les actions de conservation, aussi, les locaux sont totalement intégrés. Par exemple, pour réduire les conflits entre grands hapalémurs et riziculteurs, des gardiens sont engagés depuis octobre 2019 pour surveiller les rizières dès que les grains de riz sont matures afin d’éviter que les lémuriens ne les attaquent. « Le gardiennage implique directement les gens dans la résolution des conflits et crée des opportunités d’emploi ainsi que des revenus supplémentaires : défrichements, construction des passerelles, gardiennage, etc. », explique l’association Helpsimus sur son site.
Le modèle African Parks
Difficile de parler de la gestion des parcs nationaux sans parler de l’omniprésent African Parks. Créé par le milliardaire et philanthrope Paul Fentener van Vlissingen, African Parks est une ONG spécialisée dans la gestation à long terme des parcs nationaux et aires protégées. Et oui, les parcs nationaux, c’est leur dada. Le principe se rapproche en fait de la sous-traitance, comme le résume mediaterre.org : « Les Etats gardent la possession des parcs, en revanche, ils laissent la pleine autorité à African Parks dans leur gestion et leur protection ».
En 2021, African Parks est à la tête de 19 parcs dans 11 pays différents. Si le modèle entrepreneurial adapté aux zones protégées – le slogan de l’ONG est « L’esprit des affaires au service de la préservation de la nature » – a fait ses preuves pour ce qui est de la conservation animale, avec une baisse du nombre de cas de braconnage dans les parcs en question, la question des communautés autochtones fait toujours polémique.
Dans un article du Monde Diplomatique, Jean-Christophe Servant rappelle qu’en 2004, l’ONG sud-africaine a été sommée de quitter l’Ethiopie après avoir été impliquée dans le déplacement de plusieurs milliers de nomades autochtones vivant dans le parc national de l’OMO. Et ceci pour construire des hôtels lodges destinés à une clientèle internationale aisée.
Les réserves communautaires
Apparu peu avant les années 2000, le modèle des réserves communautaires est encore peu répandu. Il consiste à remettre aux mains des autochtones la gestion de leurs terres pour les rendre acteur de la conservation. Les premières réserves communautaires datent de 1998 et sont nées en Namibie.
A l’indépendance du pays en 1990, la faune du pays est considérée comme décimée par les multiples conflits armés. La création des « conservancies » a pour but de restaurer les populations et de préserver les terres namibiennes. La Namibie est alors totalement novatrice en confiant aux communautés locales la préservation des espèces et des espaces.
Plus de 20 ans plus tard, près de 20 % de la surface du pays est constitué de réserves communautaires. Emploi, tourisme, préservation des espèces semblent des paris réussis et la Namibie devient un exemple pour beaucoup de pays africains.
Toutefois, loin des discours officiels, de nombreuses voix s’élèvent pour dire que le rôle des autochtones n’est pas si prédominant : « les réserves dites « communautaires » le sont sur le papier seulement. Dans la pratique, les locaux doivent souvent abandonner leurs terres, ils n’ont pratiquement aucun pouvoir dans la gestion de leur territoire loué pour le tourisme ou la chasse, sans même parler des miettes que leur laissent les exploitants souvent étrangers », déplore l’ONG française Wildlife Angel, qui forme des rangers africains à la protection de la faune.
Ailleurs en Afrique, le principe des « conservancies » émerge à son tour. Au Kenya, la réserve nationale du Maasaï Mara est entourée de 15 réserves communautaires. Mais l’une d’elle, appelée Nashulai, est particulièrement regardée de près. « La particularité de Nashulai est l’accent mis sur la coexistence entre les humains, leur bétail et la faune sauvage, notamment à travers la mise en commun des terres », explique dans le même article Wildlife Angel.
Nashulai a d’ailleurs gagné Le Prix Équateur (Equator Prize Award) dans le cadre du Programme des Nations Unies pour le Développement. Ce prix récompense les efforts des communautés pour réduire la pauvreté par la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité.
Créée en 2016, cette réserve communautaire gérée par des Massaïs est située à un point stratégique pour la faune sauvage, sur le couloir de migration de plusieurs espèces entre le Serengeti en Tanzanie et la Maasaï Mara. Son but est tout autant de protéger la faune sauvage – but de toute réserve nationale – que de préserver la culture autochtone, ce qui signifie autoriser le pâturage, l’agriculture etc. mais aussi des choses plus nouvelles comme l’apiculture.
Il est encore trop tôt pour tirer des leçons de Nashulai. Toutefois, ce modèle de gestion des aires protégées en totale contradiction avec la protection totale pourrait être l’avenir.
2 Réponses to “Qui doit gérer les parcs nationaux ?”
24.08.2021
Daniel MastakiQui doit gérer les parcs nationaux?
Question très délicate. En effet, nombreuses aires protégées (APS) sont, sur le plan légal,un patrimoine de l’Etat. Il existe cependant, celles qui sont gérées soit par les privés, soit par les communautés locales ou alors par un partenariat public-privé.
Répondre à cette question voudrait tout simplement signifier les défis auxquels font face ces acteurs et plus particulièrement l’acteur principal qui est l’Etat. Ainsi, pour améliorer la gestion des APs, il est impérieux d’impliquer réellement tous les acteurs clés. En Afrique, les communautés locales/les acteurs locaux ne sont pas véritablement impliqués. Ils sont de fois informés de ce qui se fait à travers les conférences, ateliers, réunions,etc où les participants n’attendent que le « per diem ».
L’Etat et ses partenaires techniques et financiers ont le pouvoir absolu dans tout ce qui est fait. Il y a de toute évidence, les acteurs puissants et les acteurs faibles.
Il se pose alors un problème d’appropriation des politiques mises en oeuvre.
Débat intéressant…!
20.07.2021
DialloCe sont les écogardes et les conservateurs de la nature qui gèrent les parcs nationaux