Dans sa dernière mise à jour de décembre 2021, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a classé la sous-population méditerranéenne des rorquals communs (Balaenoptera physalus) dans la catégorie « en danger » d’extinction. A l’échelle mondiale, cette espèce de baleine, la deuxième plus grosse au monde après la baleine bleue, est considérée comme « vulnérable ».
Collisions avec les navires
L’une des principales raisons de ce déclin est l’inquiétante mortalité due aux collisions avec les navires. D’après le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), elles seraient responsables de plus de 20 % des décès de rorquals communs en Méditerranée.
« Le rorqual est la plus grosse espèce de mammifère en mer Méditerranée, rappelle Aurore Morin, chargée de conservation marine chez IFAW. Ce sont de très grands animaux, qui partagent leurs itinéraires de migration et leurs habitats avec les nombreuses voies maritimes qui sillonnent la Méditerranée. Les risques de collisions sont grands et, à la différence avec d’autres espèces également concernées par cette menace, il est facile d’évaluer l’ampleur du phénomène chez les rorquals car bien souvent, les animaux percutés restent accrochés à la proue des navires. Lorsque ces derniers rentrent au port, ils découvrent leurs dépouilles encore coincées. Mais certaines collisions passent inaperçues. Les animaux heurtés ne meurent pas toujours sur le coup mais, blessés, ils périront plus tard, en mer. »
Réduire la vitesse
Une situation inadmissible étant donné que des solutions simples existent, à commencer par réduire la vitesse. « Abaisser de 10 % la vitesse d’un navire permet de réduire jusqu’à 50 % le risque de collision avec une baleine ! C’est véritablement la solution la plus rapide et la plus durable à mettre en œuvre », rappelle Aurore Morin.
Problème, elle ne fait pas consensus. Les transporteurs maritimes sont d’accord pour réduire leur vitesse, à condition que tous le fassent aussi, pour des raisons de compétitivité. Résultat, comme dans la théorie des jeux de Nash – selon laquelle les choix de chacun des joueurs sont dépendants de ceux des autres – personne n’ouvre la voie. Et c’est le statu quo.
🐋 En Méditerranée, chaque rorqual commun se retrouverait 3520 fois par an sur la trajectoire d’un bateau dans les eaux du sanctuaire Pelagos. Il y aurait 8 à 40 décès de rorquals communs par an dus à des collisions sur une population de 1700 individus. pic.twitter.com/0PsmLQfoUK
— C’est Assez ! (@cestassezfrance) February 15, 2021
Déplacer les couloirs de navigation
« Nous proposons également de changer les itinéraires de navigation afin d’éviter des hotspots bien connus, comme la fosse hellénique en Grèce par exemple, où se concentrent beaucoup de cétacés. Il suffirait de déplacer légèrement certains couloirs de navigation pour limiter les risques », continue Aurore Morin.
Pour rappel, la mer Méditerranée est l’une des zones les plus actives au monde en termes de trafic. A elle seule, elle condense 20 % du commerce maritime mondial, 10 % du transit de containers et plus de 200 millions de passagers par an. La réduction de la vitesse des bateaux permettrait non seulement de réduire les collisions avec les cétacés, mais aussi de diminuer les émissions de CO2 dans l’atmosphère ainsi que les nuisances sonores sous-marines.
Pollution marine et sonore
Les rorquals communs de Méditerranée doivent également faire face à d’autres menaces qui pèsent sur l’avenir de cette sous-population. La pollution marine, et notamment plastique, est régulièrement mise en avant dans les médias. Et à raison, puisque malheureusement, la plupart des animaux marins retrouvés échoués sur nos plages présentent des morceaux plastiques dans leur système digestif. Dans son émission Sur le Front diffusée sur France 2, le journaliste Hugo Clément révélait que « 100 % des rorquals communs de Méditerranée étaient contaminés au plastique ».
Nouvel échouage d’un rorqual commun en #Méditerrannée, après la découverte d’un autre individu en Espagne la semaine dernière avec 26 kg de déchets plastique dans l’estomac, nous attendons le retour de l’autopsie,… https://t.co/kMVAB4uBlT
— Association Sauvegarde du Littoral des Orpellières (@AssOrpellieres) April 15, 2018
« Le plastique est une menace avérée pour les baleines et les dauphins. C’est indéniable », confirme la chargée de conservation marine d’IFAW. Et malheureusement, la mer Méditerranée est l’une des plus polluées en la matière. En 2020, l’UICN a publié un rapport dans lequel elle estime que la Méditerranée concentre 1,2 million de tonnes de plastique. A cela s’ajoute les 730 tonnes jetées quotidiennement dans cette mer, selon les données des Nations Unies. A ce rythme, il y aura donc dans un avenir très proche plus de plastique que de poissons dans la mer Méditerranée.
Beaucoup moins médiatisée, la pollution sonore est également une menace majeure. Et pas seulement pour les rorquals communs. « En réalité, tous les animaux marins utilisent les sons pour se nourrir, se déplacer, trouver des partenaires, échapper à des prédateurs, etc. Aussi bien les céphalopodes que les méduses, les poissons et bien entendu les mammifères marins », explique Aurore Morin.
La raison est toute simple : la luminosité est très faible sous l’eau, alors que les sons se propagent sur de longues distances. Contrairement aux humains qui utilisent principalement la vue, sous la surface, les animaux privilégient donc l’ouïe. « Nous ne nous en rendons pas compte, car nous n’y sommes pas confrontés directement. Ce n’est pas aussi visible que la pollution plastique par exemple. Mais la pollution sonore que nos activités humaines infligent aux animaux marins – navigation commerciale en tête – a de lourdes conséquences sur eux. Ce n’est pas forcément un bruit très fort, mais il est continu. Et ce bruit ambiant brouille les sons naturels de l’océan », poursuit la spécialiste d’IFAW.
Situation critique des cétacés de Méditerranée
Avec désormais 1720 rorquals communs adultes estimés en mer Méditerranée et des menaces qui persistent, l’UICN a décidé d’augmenter le niveau d’alerte sur cette sous-population en la passant de « vulnérable » à « en danger ». Et d’autres cétacés de Méditerranée montrent également des signes d’inquiétude.
« Au total, dix sous-populations de baleines et de dauphins sont désormais en danger ou en danger critique en mer Méditerranée », résume IFAW.
Parmi elles, les orques et les globicéphales noirs du détroit de Gibraltar, entre l’Espagne et le Maroc, sont désormais considérés comme « en danger critique ».
Plusieurs espèces de dauphins sont également menacées en Méditerranée :
- le dauphin commun (Delphinus delphis) « en danger »
- le dauphin de Risso (Grampus griseus) « en danger »
- le dauphin bleu et blanc (Stenella coeruleoalba) « vulnérable »
- le grand dauphin commun (Tursiops truncatus) « vulnérable »
Comme le rorqual commun, le cachalot (Physeter macrocephalus) est lui aussi considéré comme « en danger » en Méditerranée.
Lors du dernier congrès UICN organisé en septembre dernier à Marseille, était annoncé le Plan d’action pour une Méditerranée exemplaire, ou PAMEx. L’objectif : protéger 30 % de la zone, dont 10 % en protection forte. Cela suffira-t-il ? Dans tous les cas, il y a urgence. Espérons que la situation critique des cétacés en Méditerranée sera abordée à Brest lors de la première édition du One Ocean Summit, les 9, 10 et 11 février prochains.
1 réponse to “Alerte en Méditerranée pour les rorquals communs”
16.01.2022
Poignant ClaireSoutien aux rorqual