« Nous l’avons fait ». C’est sur ces mots de Bertrand Piccard, prononcés aux côtés de son coéquipier André Borschberg, que s’achève ce 26 juillet une aventure débutée en 2003. Cette année-là, les deux pilotes suisses se lançaient dans la construction du premier avion solaire monoplace, capable de voler de jour comme de nuit sans une goutte de carburant ni émission polluante. Treize ans plus tard, le 26 juillet 2016, le rêve est devenu un succès : Solar Impulse 2 a parcouru en 17 étapes 42 000 km et a survolé quatre continents.
Six ans de recherches
Le projet Solar Impulse est né de l’imagination de Bertrand Piccard. Aventurier et pilote expérimenté, il est sacré champion d’Europe de voltige en deltaplane en 1985 et remporte la première course transatlantique en ballon en 1992. Entre 1997 et 1999, il tente à trois reprises de réaliser un tour du monde sans escale en ballon. La troisième tentative sera la bonne : après avoir parcouru 45 755 km en près de 20 jours, Bertrand Piccard et son coéquipier Brian Jones achèvent leur voyage. Sur les 3,7 tonnes de propane liquide initialement prévues au décollage, il n’en reste alors que 40 kg. De cette expérience naîtra l’idée d’un avion propre.
En 2002, Bertrand Piccard confie l’étude de faisabilité du projet à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (Suisse). Il se lie alors d’amitié avec André Borschberg, ingénieur diplômé du MIT et pilote professionnel. L’homme devient le chef d’orchestre de ce projet fou : il recrute son équipe technique et travaille avec elle sur le premier prototype, HB-SIA.
Six ans plus tard, le 26 juin 2009, l’avion est présenté au grand public. Le vol d’essai a lieu en avril 2010 et, dès lors, tout s’enchaîne. Premier vol long, premier vol international, présentation au célèbre Salon du Bourget en 2011, traversée des Etats-Unis, construction d’un nouveau prototype… Les années défilent, les heures de vol et les records aussi. En mars 2015, enfin, Bertrand Piccard et André Borschberg voient se concrétiser leurs efforts : Solar Impulse 2 commence son tour du monde.
17 mois, 17 étapes, 42 000 km
Le tour du monde débute à Abou Dabi, aux Emirats Arabes Unis, le lundi 9 mars 2015. André Borschberg, aux commandes, fait décoller l’appareil pour une première étape de 400 km. La fin du tour du monde est prévue en aout 2015 ; cinq mois de trajet sont programmés pour 25 jours de vol effectif, mais tout ne se passera pas comme prévu.
Après une traversée de l’Asie sans accroc, Solar Impulse 2 s’apprête à traverser le Pacifique. Cette étape est évidemment extrêmement périlleuse, les sites d’atterrissage potentiels étant très éloignés les uns des autres. Bloqué par les mauvaises conditions météorologiques, Solar Impulse reste tout d’abord au Japon durant un mois puis décolle le 28 juin. Durant cinq jours et cinq nuits, André Borschberg est assis dans sa cabine de pilotage exigüe où, incapable de se lever, il mange, boit, fait sa toilette et ses besoins. Impossible, également, de s’endormir plus de quelques minutes consécutives : le pilote ne peut s’autoriser que des micro-siestes d’une vingtaine de minutes. Enfin, sans air conditionné ni chauffage, à des altitudes où la température extérieure tombe sous les -40°C, son corps supporte des conditions extrêmes. André Borschberg ira jusqu’à dire que ce défi était « plus humain que technique ». La traversée du Pacifique s’achève finalement le 3 juillet à Hawaï. Si le pilote est indemne, on ne peut en dire autant de Solar Impulse 2. De graves avaries provoquées par une surchauffe des batteries doivent être réparées. L’avion est cloué au sol durant dix mois.
Finalement, en avril 2016, Solar Impulse 2 retrouve la route des nuages et survole les Etats-Unis sans encombre. La traversée de l’Atlantique est ensuite confiée à Bertrand Piccard ; il atterrit le 23 juin à Séville (Espagne), escorté par les avions de voltige de la patrouille nationale. André Borschberg survole ensuite la Méditerranée pour rejoindre le Caire, et Bertrand Piccard accomplit enfin l’ultime étape d’un voyage historique : après avoir décollé sous les acclamations, il atterrit le 26 juillet 2016 à Abou Dabi, mettant un terme à ce premier tour du monde à bord d’un avion solaire.
Une réussite humaine, technique et symbolique
L’exploit humain est évidemment impressionnant. Les deux pilotes qui se sont partagés cette mission pourraient facilement être qualifiés d’aventuriers. D’aucuns n’hésiteront pas à y voir deux héros des temps modernes, à l’image des pionniers de l’aviation du début du XXème siècle. Quant à la performance technique, elle est elle aussi difficile à nier. Solar Impulse 2 dispose d’une envergure de 72 mètres, soit 12 de plus qu’un A330 et 8 de moins qu’un A380, pèse à peine 2300 kg et est recouvert de 270 m² de panneaux solaires. Rendons-nous compte : les quatre moteurs électriques de 17,5 chevaux seulement sont alimentés par 17 000 cellules photovoltaïques et affichent un rendement record de 97%.
L’intégralité des composants de l’avion a été pensée afin d’augmenter le rapport poids-puissance de l’appareil. Développée pour l’occasion, la technologie ayant permis l’isolation thermique du cockpit sera peut-être un jour celle qui équipera toutes nos habitations. Solar Impulse 2 a également permis d’engranger de l’expérience et de se rapprocher du monde rêvé par Bertrand Piccard, pour qui « les technologies propres peuvent réaliser l’impossible ».
La portée symbolique de l’évènement est également colossale : plusieurs records du monde récompensent cette épopée et de très puissants mécènes (Nicolas Hulot, Albert II de Monaco, Al Gore, Yann Arthus-Bertrand…) ont participé à l’aventure. Bertrand Piccard a su, par son charisme et son enthousiasme débordant, s’entourer et se faire connaître, convaincre, obtenir les subventions qui lui étaient nécessaires, puis mener sa communication de manière très adroite.
L’avion solaire est-il pour demain ?
Peut-on pour autant affirmer que le projet Solar Impulse conduira à une révolution dans le domaine de l’aviation ? Il est bien ardu de se prononcer. Il est clair que le transport aérien commercial ne pourra s’équiper dans les prochains mois d’une flotte d’avions solaires : les cellules photovoltaïques dont Solar Impulse 2 est équipé sont bien loin de pouvoir faire décoller un A380. La technologie est aujourd’hui très largement insuffisante et de grands progrès doivent encore être effectués avant que cette idée soit ne serait-ce qu’envisageable. Il faut aussi rappeler que Solar Impulse 2 a, à de nombreuses reprises, été bloqué par les conditions météorologiques, qu’il ne peut emporter de passagers (hormis le pilote) et que sa vitesse de croisière est de 80 km/h. Bertrand Piccard ne s’y trompe pas : s’il a accompli, avec André Borschberg, un exploit humain et technique, s’il a permis de promouvoir les énergies propres dans le monde entier, il sait aussi qu’il faudra encore attendre avant de voir des avions solaires. L’avion électrique paraît, lui, nettement plus proche d’aboutir, et de nombreux prototypes sont à l’étude. Bertrand Piccard n’en démord pas : « c’est une première dans l’histoire de l’énergie, mais ce n’est qu’un début », a-t-il promis après avoir atterri. « L’avenir est propre. »
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