Espèces-menacees.fr a profité d’une conférence sur le chat des sables pour poser quelques questions au coordinateur du programme d’élevage européen (EEP), Grégory Breton.
Grégory Breton est parti avec Alexander Sliwa, un spécialiste allemand des félins, au Sahara pour tenter d’en savoir plus sur le chat du désert, animal très peu étudié. Grâce à la pose de pièges photographiques et de colliers GPS et VHF sur quatre chats, les deux spécialistes ont fait des découvertes étonnantes et ne comptent pas s’arrêter là. Découvrons-en plus sur ce petit félin méconnu.
CA : Grégory Breton, pouvez-vous nous présenter le chat des sables en quelques mots ?
GB : Le chat des sables est un petit félin qui vit en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. Il est très peu connu car très difficile à observer à l’état sauvage. C’est l’une des espèces de félins les plus petites avec le chat rubigineux et le chat à pieds noirs ; il pèse seulement de 1,5 à 3 kg à l’âge adulte. Physiquement, on les identifie grâce à leurs grandes oreilles qui leur donnent une excellente audition, utile à la chasse. Leur pelage est jaune très clair avec des rayures sur les pattes avant, les flancs et le masque facial. A la différence des chats domestiques, ils ne boivent pas à l’état sauvage, le sang de leurs proies leur suffit.
Pour la plupart des gens, c’est simplement un chat et la confusion avec le chat domestique qu’ils connaissent est courante. Mais en fait, il existe une trentaine d’espèces de petits félins, bien différentes les unes des autres et le chat domestique ne dérive que d’une de ces espèces ! Les petits félins intéressent peu comparés aux autres mammifères emblématiques : tigres, panthères…
CA : Vous êtes parti en 2013 et 2015 en expédition au Sahara. Expliquez-nous le but de ce voyage.
GB : Nous souhaitions, avec mon collègue allemand Alexander Sliwa, étudier cette espèce sur laquelle finalement nous avons très peu de données. En 2013, notre but était de voir un ou plusieurs spécimens et de déterminer s’il était possible de les étudier ou non.
Passionné de félins depuis tout petit, j’ai choisi de travailler un peu sur le chat des sables parce que je suis le coordinateur de son programme d’élevage européen. Bien sûr, tous les coordinateurs ne se rendent pas dans la nature pour voir l’espèce qu’ils gèrent à l’état sauvage ! Ça dépend de la volonté de chacun. C’est une histoire d’affinité mais aussi de possibilités et de sacrifices !
CA : Le second voyage a été sponsorisé, comment avez-vous trouvé le financement ? L’UICN a-t-elle participé ?
GB : Des associations nous ont aidés, principalement SOS Félins & Co, l’association reliée au Parc des Félins. Nous n’avons pas voulu médiatiser ce second voyage pour trouver des fonds. Nous ne voulions pas aller trop vite. Nous considérons que nous n’avons encore rien fait pour le moment. Il faut rester humble.
L’UICN ne donne pas d’argent à des programmes de recherche. L’UICN est un regroupement d’experts indépendants mais tous sont bénévoles. Les fonds pour des programmes de recherche sur les animaux sauvages proviennent des parcs zoologiques, des mécénats de grandes entreprises, des universités ou instituts de recherche tels que le MNHN ou le CNRS (si l’étude les intéresse) et bien sûr les particuliers via les associations.
CA : Lors de votre expédition, vous avez recueilli des informations qui contredisent ce qui est actuellement connu sur la fiche du chat des sables. L’UICN va-t-elle mettre à jour sa fiche à partir de vos données ?
GB : Les données recueillies seront publiées dans Cat News et l’UICN ajustera probablement ses informations. La fiche UICN de la liste rouge du chat des sables met en avant des recherches des années 70/80 réalisées par des chercheurs de précédentes générations, pour autant, elles ne sont pas forcément à remettre en cause. Aujourd’hui, les méthodes ont évolué. On peut aller plus profondément dans le travail. Mais comme notre étude commence seulement, les mises à jour de l’UICN seront au conditionnel, nous manquons de recul. Nos observations et notre suivi des animaux sont trop limités pour faire des généralités à partir des quelques comportements observés et données recueillis.
Personnellement, j’ai une démarche de chercheur, je me base sur ce qui a été écrit. Les résumés de l’UICN sont intéressants, mais il faut voir les publications en elle-même. Par exemple, Abbadi, un israélien qui a étudié ce chat, a écrit que le domaine vital d’un individu était de 16 km² mais il ne précise pas le nombre de relevés, si cela a été vérifié sur un, deux ou quatre spécimens. On sait juste qu’il a mis des colliers à quatre chats et qu’il en a suivi au moins un qui a parcouru 16 km². Ca ne veut rien dire !
CA : Le chat des sables est actuellement classé « presque menacé ». Quelles sont les menaces qui pèsent sur ce petit félin ?
GB : L’une des principales menaces est la transmission des maladies félines provenant des chats domestiques. Si dans les zones où les chats des sables vivent, des hommes s’installent avec des chats domestiques, il y a possibilité de transmission de virus.
Autre menace, quand les bergers veulent protéger leur troupeau, ils posent des pièges, le chat des sables est un dommage collatéral. Les chiens de berger tuent également des chats lorsqu’ils gardent les troupeaux de chèvres, de moutons, pas parce que le chat des sables est un danger mais plus par hasard et par jeu pour le chien.
Par contre, heureusement, contrairement aux grands félins, les petits ne sont pas pris pour cible lors de chasse ou ramenés comme trophées.
CA : L’aire de répartition du chat du désert est-elle menacée ?
GB : Le désert peut être menacé parce que c’est un écosystème fragile. Actuellement, il contient la vie mais il peut aussi ne plus rien contenir. Nous savons que le chat des sables est présent en Syrie mais actuellement on ne peut pas être certain qu’il y en a encore beaucoup vu la guerre qui ravage le pays.
Le désert peut devenir stérile. La désertification s’amplifie à mesure que l’humain avance. C’est probablement un risque futur pour le chat des sables.
CA : Comment expliquez-vous le désintérêt des scientifiques, ou même de la population locale, pour le chat des sables ?
GB : Tout simplement parce qu’il est très difficile de les voir. Notre guide, lors du premier voyage, nous a pris pour des fous. Lui qui vit là-bas, qui est né dans le désert, à 45 ans il prétendrait n’avoir jamais vu de chat des sables. Le jour où nous avons vu le premier individu ensemble, il était aussi excité que nous !
Par ailleurs, il a été rapporté que certains Touaregs auraient « semi-domestiqué » des chats du désert. Il y a donc des ethnies qui s’approchent de ces animaux, qui les connaissent…
Mais le manque d’intérêt est global. Le monde n’est pas très intéressé par sa faune sauvage. Nous sommes intéressés par les beaux animaux, les gros animaux qu’on voit dans les parcs zoologiques ou à la télévision, mais l’humain en général n’a pas de démarche naturaliste.
CA : Vous avez prévu de repartir dans le désert prochainement, pour quelle finalité ?
GB : Ce qui manque aujourd’hui ce sont les données de base sur l’espèce : la taille des domaines vitaux, l’alimentation, la reproduction, à quel âge les petits quittent la mère… J’espère repartir sur le terrain cette année. Nous devons d’abord combiner nos emplois du temps respectifs avec mon collègue allemand et bien sûr obtenir les autorisations du Maroc.
Notre but est de retrouver les quatre chats observés lors du second voyage, les suivre de nouveau et remplacer les colliers VHF que nous avons posés pour prolonger l’étude. Il faut continuer à documenter cette espèce.
CA : Comment les particuliers peuvent-ils vous aider dans votre démarche ?
GB : Les gens peuvent nous aider en faisant des dons à SOS Félins & Co, l’association rattachée au Parc des Félins. J’en suis le co-fondateur mais je n’ai plus de rôle dans la gestion de l’association. Je me consacre aujourd’hui à ce programme qui me prend beaucoup de temps libre, en plus de l’EEP à gérer.
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