Un requin qui porte le nom d’ange, voilà un fait insolite à en croire la perception plutôt mauvaise qu’ont bon nombre de personnes à l’égard de ces poissons. Et bien l’ange de mer commun (Squatina Squatina) relève ce défi. Ce requin en danger critique d’extinction porte de nombreux autres noms comme par exemple requin ange, anelot, squatine ou encore plus rarement bourget persange.
Présentation de l’ange de mer commun
En réalité, il existe même treize espèces de requins anges dans le monde, ainsi que plusieurs sous-espèces. Deux de ces espèces vivent dans le même type d’habitat que l’ange de mer commun. Il s’agit de l’ange de mer épineux (Squatina aculeata) et de l’ange de mer ocellé (Suqatina oculata). Tous trois sont en danger critique d’extinction. Seul l’ange de mer commun, en revanche, est capable de vivre dans les eaux du nord de l’Europe.
Caractéristiques physiques
Squatina squatina est un poisson cartilagineux appartenant à la grande famille des requins. Comme tous les requins du genre squatina, l’ange de mer commun a un corps aplati sur tout son long. Il est doté de deux grandes nageoires pectorales qui lui ont valu le surnom de requin ange. Parce qu’elles ne sont pas soudées à la tête, elles font de l’ange de mer un requin et non une raie. Suivent ensuite deux nageoires pelviennes de plus petites envergures. Le haut de son corps est large et s’amincit à mesure qu’on s’approche de l’extrémité de sa queue. Il existe un léger dimorphisme sexuel, les femelles étant généralement plus petites que les mâles : 183 cm de long maximum contre 244 cm pour ces messieurs. Le poids d’un individu peut atteindre les 80 kilos. De couleur sombre, sa peau oscille entre le brun et le gris foncé et est parsemée de petites tâches de tailles et de formes irrégulières sur le dessus, accompagnées de marbrures de-ci de-là. Elle est en revanche blanche et unie sur le dessous.
A l’instar du haut de son corps, la tête de l’ange de mer commun est large et plate. Deux petits yeux à peine visibles se trouvent sur le dessus. La bouche, quant à elle, est large et munie de petites dents. Deux nageoires dorsales trônent au bout de sa queue, qui se termine par une nageoire caudale plus large. C’est cette dernière qui permet au requin ange de se propulser dans l’eau.
Régime alimentaire
Ce requin est carnivore : il se nourrit exclusivement de poissons, de mollusques et de crustacés. Ses proies favorites restent toutefois les poissons osseux. Plutôt actif la nuit, il préfère chasser dans l’obscurité, profitant du jour pour se tapir dans les fonds marins ou dans les herbiers.
Comportement
L’ange de mer commun est un poisson qui sait se faire discret. Habitué des fonds marins, il nage principalement en rasant les sols sablonneux qui tapissent le fond de l’eau. Grâce à sa forme aplatie et sa couleur, il est un expert du camouflage. Un avantage qui lui permet de mettre en pratique sa technique de chasse favorite : l’embuscade. Squatina squatina n’a en effet qu’à se positionner au bon endroit et rester à l’affût. A l’aide de ses nageoires pectorales, il s’enfouit dans le sable et devient alors invisible. Dès qu’une proie passe à proximité, il la repère grâce aux champs électriques qu’elle produit en se déplaçant et s’en saisit à toute vitesse, ne lui laissant quasi aucune chance de s’échapper.
Habitat de l’ange de mer commun
A l’origine, ce requin ange était très répandu dans tout l’Atlantique Est, de la Scandinavie jusqu’aux côtes mauritaniennes, au Nord-Ouest de l’Afrique, mais aussi dans la mer Méditerranée et la mer Noire. L’espèce était même tellement commune qu’il semblerait que ce soit elle qui ait donné son nom à la Baie des Anges, à Nice. Mais aujourd’hui, sa population a fortement décliné et s’est éteinte régionalement en de nombreux endroits. L’ange de mer commun ne vit désormais plus qu’au large des îles Canaries. Quelques spécimens peuvent être observés ailleurs mais cela reste marginal.
Comme évoqué plus haut, Squatina squatina vit dans les fonds marins. On le trouve généralement entre 5 m et 150 m de profondeur, dans une zone appelée « zone néritique ». Il s’agit d’une zone plutôt proche des côtes, constituée des sédiments charriés par les fleuves qui se sont jetés dans l’océan et se déposent dans les fonds marins. L’ange de mer commun apprécie plus particulièrement la boue, la vase et les fonds sableux. Il lui arrive donc de pénétrer dans les estuaires et les eaux saumâtres.
Menaces
La situation de Squatina squatina est alarmante : déjà classé en danger critique d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ce requin a vu sa population chuter de plus de 80 % ces trente dernières années. Et le nombre d’individus continue de dégringoler.
Prises accidentelles de la pêche
Malheureusement pour l’ange de mer commun, son habitat favori est aussi très prisé des pêcheurs. Non seulement les zones côtières où il vit sont facilement accessibles aux bateaux de pêche, mais elles sont par ailleurs réputées riches en poissons et crustacés. Résultat, ces zones subissent de fortes pressions et Squatina squatina en fait les frais. La pêche est en effet la plus grande menace qui pèse sur cette espèce. En particulier parce que ce grand poisson se retrouve trop souvent piégé dans les filets. A titre d’exemple, on estime qu’au début des années 1900, un requin ange était capturé toutes les dix heures en moyenne dans les eaux britanniques. Ce qui est énorme. Tout au long du siècle dernier, le développement intensif des techniques de pêche industrielles ciblant les fonds marins où vit l’espèce a aggravé la situation.
Pêche ciblée
Les prises accidentelles ne sont toutefois pas les seules raisons du déclin de l’espèce. Il est également arrivé que le requin ange soit directement pris pour cible par les pêcheurs. Ce poisson faisait en effet l’objet d’une pêche ciblée dans certaines zones de la mer Méditerranée. Des filets bien précis dédiés à la pêche aux requins anges étaient alors utilisés pour les capturer.
Des populations fragmentées
Décimée par la pêche, l’espèce est aujourd’hui au bord de l’extinction. Les derniers spécimens vivants sont répartis de façon très éclatée, bien qu’essentiellement concentrés dans les eaux espagnoles des Îles Canaries. Une telle fragmentation freine la reproduction et donc le renouvellement naturel de l’espèce, accentuant davantage son déclin. Comme de nombreux autres requins, l’ange de mer commun est également menacé par la pollution croissante de son habitat, les dommages causés par les ancres dans les fonds marins ou encore le développement du tourisme qui affecte directement l’environnement de ce poisson côtier.
Efforts de conservation
Malgré son statut d’espèce en danger critique d’extinction – dernier stade avant la disparition – l’ange de mer commun fait l’objet de peu de mesures de conservation. Il faut dire que peu d’études ont été menées, donc l’espèce est plutôt méconnue. Mais heureusement, les choses sont en train de changer.
Le réseau de conservation des requins anges
Angelsharks conservation network (ASCN) en anglais – ou réseau de conservation des requins anges en français – est l’organisme référent de la conservation de ces poissons dans le monde. Il réunit plusieurs organisations et experts dont l’Angel Shark Project ou encore le groupe de spécialistes des requins de l’UICN. L’ASCN se concentre sur la conservation des trois espèces de requins anges en danger critique d’extinction (Squatina squatina, S. oculata et S. aculeata). Il collecte toutes les informations à ce sujet et les renvoie à tous ses membres, mais aussi encourage les échanges pour une meilleure conservation de ces espèces et participe à l’élaboration de plans d’actions concrets.
Plan d’action aux Îles Canaries
C’est ainsi qu’un premier plan d’action a vu le jour en juin 2016, en collaboration avec le gouvernement des Îles Canaries. Son objectif : protéger l’espèce dans son dernier bastion et ainsi la sauver de l’extinction. Pour y parvenir, les experts ont listé 29 menaces pesant sur Squatina squatina aux Canaries, et les ont regroupées sous 9 catégories, 4 nécessitant des mesures prioritaires. Il s’agit de :
- La pêche (industrielle ou de loisir)
- Les perturbations causées par la présence humaine
- Les bouleversements du milieu naturel
- La pollution
En s’appuyant sur ces menaces, le plan d’action s’est fixé 6 grands buts à atteindre :
- Minimiser autant que possible la mortalité due à la pêche
- Limiter les menaces dans les sites de prédilection de l’ange de mer commun
- Favoriser une cohabitation positive avec l’Homme
- Protéger l’habitat et l’espèce à la fois dans la loi espagnole et celle internationale
- Renforcer la recherche au profit d’une meilleure conservation
- Sensibiliser les communautés locales et les touristes
La majorité de ces buts devront être atteints d’ici 2020-2022. D’ici là, une deuxième rencontre devrait être organisée courant 2020 entre toutes les parties prenantes. L’occasion de dresser le bilan de ce premier plan d’action et de préparer le suivant. C’est l’ASCN qui a été désignée pour piloter ce plan d’action.
Reconnaissance internationale
Autre bonne nouvelle, la Convention de Bonn – ou Convention des espèces migratrices (CMS en anglais) – a décidé de renforcer la protection de cette espèce en décembre 2018. Avec sept autres espèces dont le requin sombre (Carcharhinus obscurus) et le requin marteau commun (Sphyrna zygaena), Squatina squatina a été inscrit sur la liste de l’Annexe I de la CMS. L’ange de mer commun était déjà protégé depuis 2008 au Royaume-Uni par la loi sur la vie sauvage et la législation des eaux côtières (2012). En 2010, l’Union Européenne a par ailleurs interdit la détention de cette espèce, obligeant tout pêcheur qui la capture à la relâcher sans lui causer de tort. L’ASCN met également à disposition sur son site internet une méthode détaillée pour libérer les requins anges pêchés accidentellement. A lire ici (en anglais).
Reproduction
L’ange de mer commun est ovovipare, ce qui signifie que la femelle pond plusieurs œufs qui restent à l’intérieur d’elle. Ce n’est qu’une fois éclos que les bébés quitteront le ventre de leur mère. La femelle donne naissance à plusieurs petits – entre 7 et 25 selon la taille de la femelle – 8 à 10 mois après l’accouplement. En général, ces naissances se produisent entre les mois de décembre et février pour les requins anges vivant en Méditerranée et plutôt au mois de juillet pour les individus de l’océan Atlantique.
L’espérance de vie de l’ange de mer commun est inconnue à ce jour, mais on estime qu’une génération s’étend sur 11 ans en moyenne.
par Jennifer Matas
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