
Aussi appelé esturgeon blanc (béluga signifie blanc en russe) ou Huso huso de son nom scientifique, ce poisson est particulièrement recherché pour son caviar qui se vend à prix d’or partout dans le monde. Classée en danger critique d’extinction (CR) par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’espèce a vu sa population diminuer de 90 % au cours des 60 dernières années.
Description du grand esturgeon
Huso huso appartient à la famille des Acipenseridae qui regroupe les 27 espèces d’esturgeons. Comme ses cousins, son squelette est principalement cartilagineux mais la communauté scientifique classe les esturgeons dans la catégorie des poissons osseux pour leurs nombreuses caractéristiques communes.
Pour rappel, il existe trois groupes de classification des vertébrés aquatiques :
- les poissons osseux (Octeichthyes) : ce groupe se divise en deux parties : les chondostréens dont le squelette n’est pas totalement ossifié comme chez les esturgeons et les téléostéens dont le corps est entièrement soutenu par des éléments osseux ;
- les poissons cartilagineux (Chondrichthyes) : tous possèdent un squelette cartilagineux (requins, raies et chimères) ;
- les lamproies (Agnatha) : caractérisées par l’absence de mâchoires, ces individus se fixent sur leur proie par un effet de ventouse.

Sa bouche sans dent se situe sous son rostre et ses quatre barbillons
Le béluga européen se distingue par son gabarit puisqu’avec ses 2 à 5 m de long et son poids à l’âge adulte dépassant facilement les 130 kg, il est le plus grand des esturgeons et parmi les plus gros poissons d’eau douce. Certains étaient même surnommés « Léviathans » en référence à leur taille énorme (des spécimens de plus de 1 000 kg ont été observés). Il n’est donc pas à confondre avec l’esturgeon commun d’Europe (Acipenser sturio) qui, lui, vit dans le sud-ouest de la France et a une taille plus petite (1 à 2 m pour un poids moyen compris entre 50 et 70 kg). En revanche, le grand esturgeon possède comme lui un rostre (museau allongé et pointu) doté de deux paires de barbillons (filaments tactiles) qui entourent une bouche ventrale édentée.
Le régime alimentaire de Huso huso se constitue principalement de poissons : il aime particulièrement les harengs, les carpes, les sprats, les gobies et les gardons. Il peut également lui arriver de se nourrir d’autres espèces d’esturgeons, de sandres et d’oiseaux.
Localisation
Le grand esturgeon est une espèce anadrome, c’est-à-dire qu’il vit en partie dans l’eau salée et qu’il migre vers les eaux douces pour se reproduire. La plupart du temps, il nage dans la zone pélagique (au large) de mers intérieures, puis il remonte jusqu’aux fleuves et rivières. A l’origine, on le trouve principalement dans la mer Caspienne, mais aussi dans la mer Noire, la mer d’Azov et l’Adriatique. Aujourd’hui, plus aucun individu ne vit dans l’Adriatique et les dernières populations sauvages de la mer Noire se trouvent dans le Danube. Le gros de la population restante se situe en mer Caspienne et dans l’Oural.

La mer en jaune est la mer Caspienne. A l’ouest, la mer intérieure est la mer Noire
Menaces
La surpêche et le braconnage
Le béluga européen est intensivement pêché car plusieurs parties de son corps sont fortement recherchées. Son intestin est par exemple utilisé pour fabriquer de la gélatine tandis que sa peau est transformée en cuir. Comme le totoaba qui vit dans les eaux mexicaines, il dispose d’une vessie natatoire, une sorte de poche de gaz qui aide le poisson à contrôler sa flottabilité et à rester ainsi à la profondeur voulue sans avoir à nager pour se maintenir à niveau. Alors que celle du totoaba est consommée comme mets de luxe en Chine, la vessie natatoire de l’Huso huso est plutôt utilisée pour produire une colle naturelle appelée ichtyocolle. Celle-ci est par exemple utilisée par de nombreux brasseurs pour filtrer et clarifier la bière.
Les femelles, quant à elles, sont très prisées pour leurs œufs à partir desquels on fabrique le caviar (voir notre zoom sur le marché du caviar plus bas). Autant de raisons pour lesquelles ce poisson a été pêché intensivement ces dernières décennies, et ce bien au-delà des seuils de prélèvements limites qui permettraient à l’espèce de se régénérer seule. Dans son rapport de 2010, l’UICN écrit ainsi que « la surpêche pour la viande et le caviar entraînera bientôt l’extinction du reste de la population sauvage. »
Le commerce du caviar

Officiellement, le caviar sauvage n’existe plus depuis 2008
Produit de luxe par excellence, le caviar est un mets qui se retrouve sur de nombreuses tables les soirs de fête. Ce que l’on tartine sur des toasts ou que l’on mange directement à la cuillère, ce sont les œufs non fécondés d’esturgeons femelles. Pour les récupérer, les poissons sont tués puis ouverts au niveau du ventre. Plusieurs espèces d’esturgeons sont pêchées pour la fabrication du caviar, dont l’esturgeon blanc d’Amérique (Acipenser Transmontanus), le kaluga, l’esturgeon de Sibérie, le sevruga, l’osciètre, l’esturgeon du fleuve Amour et, le plus cher d’entre tous, le béluga. Les œufs de ce dernier sont en effet les plus recherchés, les plus fins connaisseurs de caviars estimant qu’il s’agit du « plus doux et du plus moelleux des caviars » ou encore qu’en « bouche, il est divinement onctueux », peut-on lire sur des sites spécialisés. Ces oeufs revêtent une couleur gris perle et sont plus gros que la moyenne (rien d’étonnant à cela étant donné la taille de Huso huso). Ils se vendent 1 000 € les 100 g soit 10 000 € le kilo. C’est dix fois plus cher que l’entrée de gamme. Au début des années 2000, le caviar béluga a même flirté avec les 20 000 € le kilo !
La construction d’infrastructures et la pollution
En plus de la pêche intensive, les bélugas européens sont également menacés par la construction de barrages qui bouleversent leur habitat et ont de graves répercussions sur leur reproduction. A titre d’exemple, le barrage de Volgograd construit en 1955 a réduit entre 88 et 100 % de la surface totale des frayères (endroit où les femelles déposent leurs œufs) disponibles dans la Volga. La construction du barrage sur le fleuve Don (anciennement appelé Tanaïs) en Russie a lui aussi perturbé le milieu en entraînant la disparition de nombreux hectares de frayères. Et bien d’autres exemples existent.
Par ailleurs, comme les autres espèces marines, Huso huso est sensible à la qualité de l’eau ; la pollution et la présence de pesticides dans son organisme peuvent avoir des effets négatifs sur les chances de l’espèce de se reproduire. Malheureusement, la chute du nombre de partenaires sexuels possibles peut aussi jouer contre la reproduction du béluga européen. C’est ce que l’on appelle l’effet Allee : cette théorie développée le zoologiste américain Warder Clyde Allee explique que plus la densité de population d’une espèce est faible, plus son taux de croissance diminue jusqu’à entraîner sa disparition.

Plusieurs millions d’alevins nés en captivité sont relâchés chaque année
Conservation
Pendant de nombreuses décennies, le grand esturgeon a été victime de surpêche du fait du commerce du caviar et sa population a été décimée. Dans les années 1970, plus de 1 600 tonnes d’esturgeons blancs sont pêchées dans les eaux de la mer Caspienne ! La CITES intervient dès 1998 pour instaurer des quotas faisant chuter ce chiffre aux alentours des 30 tonnes par an dans les années 2000. C’est aussi à cette date que le grand esturgeon est inscrit en annexe II de la CITES. Dans la mer d’Azov, où l’espèce s’est très vite retrouvée menacée, la pêche est interdite dès 1986. Cela n’empêche cependant pas que des individus soient pris accidentellement par des pêcheurs et tués, ou que des braconniers poursuivent les captures.
En 2003, les cinq pays riverains de la mer Caspienne (Russie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Turkménistan et Iran) se mettent d’accord pour protéger son environnement et donc sa faune marine. Il s’agit du premier traité entre ces nations en faveur d’une protection de cet écosystème marin et, par la même occasion, du béluga européen. Trois ans plus tard, en 2006, la capture est également interdite dans le Danube, dernier bastion de l’Huso huso en mer Noire.
En 2008, la situation est devenue si incontrôlable, notamment en mer Caspienne d’où vient 90 % de la production mondiale, que l’organisme interdit purement et simplement la vente de caviar sauvage. Plus aucun quota n’est autorisé. « Dans l’immédiat, la survie ne peut dépendre que d’un stockage et d’une gestion efficace des pêches et de la lutte contre la pêche illégale. Les États de l’aire de répartition sont également encouragés à protéger les aires de frai et d’alimentation des espèces », note l’UICN.
Les produits commercialisés sont désormais tous issus de l’élevage et doivent être couverts par un permis ou un certificat délivré par la CITES ; ce dernier permet d’identifier quel caviar est vendu légalement et quel autre provient de la pêche illégale. Malgré cela, le braconnage continue de sévir dans certaines zones, et notamment dans l’estuaire du Danube. Il faut dire que la chute de l’URSS en 1991 et les forts taux de chômage qui ont touché les anciennes républiques du bloc soviétique ont encouragé de nombreux pêcheurs à se tourner vers cette activité très rémunératrice.
Plusieurs programmes de réintroductions sont en cours pour tenter d’enrayer l’extinction de l’espèce mais, jusqu’à présent, ils n’ont pas permis d’inverser la tendance : les populations continuent de diminuer partout dans l’aire de répartition, et ce malgré le lâcher de millions d’alevins chaque année.
Reproduction
Plutôt solitaires, les grands esturgeons ne se rejoignent qu’au moment de la reproduction. Celle-ci se produit tous les trois à quatre ans entre les mois d’avril et de juin, bien que des migrations de reproduction aient aussi été observées à l’automne. Les adultes retournent alors là où ils sont nés, en rivières et dans les fleuves, pour s’accoupler. Les bélugas européens atteignent leur maturité sexuelle tardivement, au plus tôt vers l’âge de 10 à 15 ans pour les mâles et 15 à 18 ans pour les femelles. Cela complique encore plus le renouvellement des populations en cas de pêche intensive.
A l’état sauvage, l’espérance de vie d’Huso Huso oscille entre 20 et 25 ans mais certains individus peuvent vivre plus de 50 ans.
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