
Tout le monde sait à quoi ressemble un cheval de Przewalski, pour l’avoir vu en parc zoologique ou sur des représentations de l’art du Paléolithique. Mais peu de gens savent que l’espèce a totalement disparu à l’état sauvage avant d’être réintroduite. Aujourd’hui encore, cette espèce mythique est toujours fragile et en danger d’extinction.
Bien que son nom soit mondialement connu, Equus ferus ou Equus przewalskii est une espèce de cheval préhistorique qui demeure mystérieuse à bien des égards. Est-ce bien lui ou un proche cousin qui est représenté depuis 17.000 ans sur les peintures des parois des grottes de Lascaux alors même que ce cheval n’est pas sensé avoir mis les pieds en Europe à cette époque ? Quelle était son aire de répartition avant son extinction à l’état sauvage ? Le cheval de Przewalski est-il une espèce ou une sous-espèce ? Autant de questions pour lesquelles, soyons honnête, vous trouverez vérités et contre-vérités, même parmi les spécialistes.
Présentation du cheval de Przewalski
Mentionné pour la première fois dans la littérature scientifique en 1763 par John Bell, un médecin écossais, Equus ferus est longtemps resté inconnu des Européens. Takh ou takhi en mongol est pourtant un cheval sauvage présent sur la planète depuis bien longtemps. C’est même l’une des plus anciennes espèces d’équidés avec le tarpan, le pottok ou le merens. Attention cependant aux phrases du type « il n’a jamais été domestiqué et il est le dernier vrai cheval sauvage » que l’on entend aussi pour le tarpan et le mustang aux Etats-Unis. Aucune de ces espèces n’est réellement sauvage. Il s’agit d’animaux domestiqués et réintroduits par l’homme qui, de génération en génération, sont redevenus sauvages à l’image du dromadaire en Australie. Mais il n’existe aucune espèce de cheval qui n’aie pas un jour croisé la route de l’homme.
Equus przewalskii doit son nom à Nicolaï Przewalski, un explorateur russe qui observe l’espèce en 1879 et la fait connaître. Il s’agit donc en fait d’une redécouverte, mais c’est celle qui passera à la postérité.
Description physique
Equus ferus est un équidé massif entre 240 à 300 kg mais de taille moyenne, mesurant de 1,20 à 1,40 m au garrot, la pointe de l’épaule du cheval. C’est un cheval trapu qui se caractérise par sa robe couleur isabelle (pelage couleur sable ou orangée et crins noirs), sa raie de mulet le long de la colonne vertébrale et une crinière, dite en brosse car courte et dressée. Ses pattes, antérieures et postérieures, sont souvent noires jusqu’au genou, ou striées de marques noires et blanches.
Enfin, quelques particularités sur la tête de ce cheval elle aussi de couleur isabelle. Tout d’abord, l’absence de toupet, c’est-à-dire de touffe de poil entre les oreilles, mais aussi le bout du chanfrein toujours blanc. Seuls les naseaux et la bouche noirs ressortent.
Le génome du cheval de Przewalski
Espèce ou sous-espèce ? C’est l’une des grandes questions qui anime les fans du cheval de Przewalski. Rien que son nom scientifique sème le doute. Vous pouvez le trouver sous le nom d’Equus ferus ou bien Equus ferus przewalskii ou encore Equus przewalskii. Evidemment, les réponses se trouvent dans la génétique.
En 2018, une équipe du CNRS a séquencé le génome des chevaux de Botai, les premiers chevaux domestiqués au monde. Si l’on pensait qu’il s’agissait des ancêtres de nos chevaux domestiques d’aujourd’hui, surprise, ils sont en fait les ancêtres de Equus przewalskii.
Le Przewalski serait donc une sous-espèce du vrai Equus ferus, aujourd’hui éteint, et non l’ancêtre des chevaux domestiques modernes. Des petites différences génétiques le prouvent. Par exemple, Przewalski possède 66 chromosomes tandis que nos animaux domestiques en ont 64.
Le véritable Equus ferus aurait d’ailleurs un autre descendant : Equus ferus gmelini, le tarpan.
Localisation
Le cheval de Przewalski vit dans les steppes et les plateaux arides d’Asie centrale. On sait peu de choses sur son aire de répartition historique, puisque l’espèce est longtemps restée confidentielle. Il est fort probable que les données de répartition datent d’une époque où le cheval de Przewalski était déjà en déclin.
Personne ne s’explique d’ailleurs que l’espèce soit représentée sur les peintures de Lascaux et dans d’autres grottes européennes, alors que l’espèce n’est pas sensée avoir occupé ce territoire. Était-ce une espèce cousine comme le fameux Equus ferus ? Le cheval de Przewalski occupait-il l’Europe avant de privilégier, pour quelques raisons, l’Asie centrale ? Aucun ossement n’a en tout cas confirmé cette hypothèse.
De ce que nous savons, Equus ferus przewalskii arpentait les steppes de Russie, du Kazakhstan, d’Ukraine mais aussi de Chine et de Mongolie avant de disparaître à l’état sauvage. C’est d’ailleurs en Mongolie que le dernier spécimen sauvage connu a été aperçu en 1969.
Petite particularité, il existe bien toujours des chevaux de Przewalski en Ukraine, sur le site de l’accident nucléaire de Tchernobyl. En 1998, une trentaine de chevaux nés en captivité ont été réintroduits sur cette zone toujours considérée comme impropre à la vie humaine. Ils ont survécu et se sont même reproduits puisqu’on compte maintenant environ 150 chevaux sur place. Une population qui, pour des raisons évidentes, n’est pas suivie de près et se débrouille en totale autonomie. Interrogée par l’AFP, Maryna Chkvyria, la zoologue en chef du zoo de Kiev, en Ukraine, explique le but de ce test : « C’est une réserve, telle une arche de Noé qui pourra servir en cas d’une brusque chute de la population mondiale des bêtes ».

Un cheval de Przewalski dans la zone de Tchernobyl ©Maryna Shkvyria
Dans le dernier comptage de 2018, les scientifiques notaient la présence probable de chevaux en Biélorussie, Tchernobyl se situant à la frontière entre ce pays et l’Ukraine.
En plus de ces deux pays, Equus ferus est à nouveau visible en Mongolie et en Chine, où il a été réintroduit.
En termes d’habitat, les chevaux de Przewalski étant herbivores, ils se plaisent dans les paysages de steppes où ils trouvent abondement à manger. La présence limitée d’eau dans ces zones semi-arides peut toutefois les mettre en concurrence avec d’autres espèces. C’est pourquoi les takh, nom que l’on donne aux chevaux de Przewalski en Mongolie, restent toujours à proximité d’un point d’eau.
Les menaces qui ont causé la perte d’Equus ferus
Découverts relativement tard par le monde, les chevaux de Przewalski n’en sont pas moins devenus rapidement victimes des hommes. On ne sait pas exactement si l’espèce était répandue autrefois ou si elle a toujours été de faible taille, mais ce qui est certain, c’est que sa population a vite décliné dès lors que Nicolaï Przewalski l’a redécouverte.
La capture des chevaux de Przewalski
D’abord, parce que les hommes ont voulu domestiquer ces chevaux pourtant réputés impossibles à monter. Dès 1897, des expéditions sont organisées pour tenter de capturer des poulains. Des méthodes brutales comme les qualifient l’association Takh sont employées : « Plutôt que d’anesthésier l’individu à capturer, on poursuivait un groupe entier en se relayant. Une fois celui-ci complètement épuisé, tous les adultes étaient abattus car ils défendaient leurs petits. Puis on attrapait les poulains pour essayer de les faire adopter par des juments domestiques avant de les envoyer sur l’interminable voyage vers les zoos de l’ouest. Une rapide estimation démontre que pour un poulain arrivé vivant à l’ouest, au moins dix chevaux mourraient ». Un chiffre qui rappelle tristement la situation actuelle des chimpanzés, chez qui 10 adultes sont tués pour la capture d’un jeune.
Pour le Przewalski, on sait que 53 poulains prélevés dans la nature sont arrivés vivants en Europe occidentale entre 1897 et 1902. Certains pour être présentés en parcs zoologiques comme la Ménagerie du Jardin des Plantes à Paris, d’autres pour essayer de les faire s’hybrider avec des chevaux européens. Mais très vite, le nombre d’animaux capturés diminue. Un déclin qui s’explique en fait par celui de toute l’espèce. Le dernier prélèvement en milieu sauvage connu a lieu en 1947, une pouliche baptisée Orlitza III. Capturée en Mongolie, elle est transférée à Askania Nova, une réserve naturelle ukrainienne toujours connue aujourd’hui comme le plus grand élevage de chevaux de Przewalski.
Orlitza III est considérée comme la dernière des 12 membres fondateurs de la population de Przewalski actuelle. Elle donnera naissance à quatre poulains.
La chasse
L’une des autres causes du déclin de l’espèce est sa chasse. Il existe peu de chiffres sur le nombre de chevaux abattus dans des chasses de subsistance. Cette pratique est sans doute ancestrale chez les Mongols, dans une région du monde aride où les conditions de vie sont difficiles. Rappelons que pour les Mongols, le cheval est tout à la fois : transport, nourriture, richesse et culture.
Cette chasse de subsistance a été interdite en 1930 face au déclin alarmant du nombre de chevaux.
Concurrence avec les autres espèces
Concurrence avec le bétail, concurrence avec l’agriculture, concurrence pour les points d’eau et la nourriture… Le cheval de Przewalski habite un milieu reculé, les steppes, mais n’est pas le seul. Bien que le climat soit dur, l’herbe abondante, les grands espaces attirent les éleveurs qui font paître leurs troupeaux. Du bétail destiné à l’alimentation mais aussi leurs propres chevaux domestiques. Une promiscuité qui aura plusieurs conséquences : raréfaction des ressources, hybridation génétique des espèces et stress pour l’espèce déjà affaiblie.
Les conditions climatiques
Les steppes eurasiennes se caractérisent par le faible nombre d’arbres, un paysage sec et des touffes de graminées à perte de vue. Mais contrairement à la prairie, le climat de la steppe est plus rigoureux. Il existe une grande variation de températures entre la journée et la nuit et aussi entre l’été et l’hiver. Si l’été brûlant peut causer un stress hydrique aux chevaux pour qui un point d’eau est vital, l’hiver avec sa neige et ses températures négatives est également une cause de mortalité importante. Malgré la robustesse de l’espèce et son poil épais, les hivers de 1945, 1948 et 1956 semblent avoir décimé la population déjà chancelante d’Equus ferus.
Toutes ces menaces combinées ont provoqué le déclin et même l’extinction de l’espèce en moins d’un siècle. Le dernier cheval de Przewalski sauvage a été vu en 1969, il s’agissait d’un étalon, dans le désert de Gobi. Depuis cette date et malgré de nombreuses expéditions, aucun spécimen n’a plus été vu. L’espèce est déclarée éteinte à l’état sauvage et tous les regards se tournent désormais vers les 12 derniers chevaux survivants en captivité.
Efforts de conservation pour réintroduire les chevaux de Przewalski
Presque simultanément à l’annonce de sa disparition en milieu naturel, les efforts pour la sauvegarde de l’espèce se sont multipliés. Paradoxalement, son salut viendra de la captivité. De ces parcs zoologiques même où ont été emmenés les premiers chevaux de Przewalski sauvages contre leur gré.
Le studbook européen, l’arbre généalogique des individus d’une même espèce en parc animalier, note 53 chevaux de Przewalski introduits dans les collections européennes. Et pourtant, la population dite captive d’aujourd’hui ne provient pas de ces 53 spécimens mais de 12 d’entre eux, dits « fondateurs », qui ont transmis leurs gènes. A ces 12 chevaux de Przewalski s’ajoutent aussi quatre chevaux domestiques qui ont contribué au début du programme d’élevage en captivité d’Equus ferus. La population en captivité aujourd’hui est donc consanguine d’une part mais aussi hybridée. Toutefois, les coordinateurs de l’élevage ont réussi à conserver les caractéristiques primitives de l’espèce et sa particularité des 66 chromosomes, ce qui laisse penser que la population actuelle est génétiquement très proche des chevaux sauvages d’origine.
En 1990, alors que la population en parc zoologique et dans les réserves naturelles a passé le cap des 1000 spécimens, les premiers projets de réintroduction voient le jour. La Mongolie, le dernier pays foulé par un cheval de Przewalski sauvage, devient le premier pays à les réintroduire. Et c’est dans le grand Gobi où a été aperçu le dernier étalon que trois sites sont choisis. En 2014, 387 chevaux de Przewalski avaient déjà été réintroduits.
Evidemment, il ne s’agit pas juste d’ouvrir les portes de vans et de laisser les précieux chevaux prendre la poudre d’escampette. Les animaux choisis sont transférés de parcs zoologiques vers des zones de transition où des troupeaux se constituent et tous font l’apprentissage de l’espace et de l’autonomie.
Le cheval étant un animal sociable qui vit en troupeau, impossible de réintroduire un individu sans s’assurer de la cohésion avec quelques animaux. Impossible également de les laisser vaquer librement dans l’un des endroits les plus froids du monde (jusqu’à -25 °en hiver) sans s’assurer qu’ils sauront se nourrir et que leur état de santé le permet. Toute réintroduction commence donc par un enclos de transition, puis une fois sur le site de réintroduction, dernière étape, un parc gigantesque où les animaux sont surveillés et en semi-liberté.
En France, l’association pour le cheval de Przewalski « Takh » créée par le Dr Claudia Feh, a participé a ces réintroductions. En 1993, l’équipe démarre ses opérations. Elle choisit 11 chevaux nés en captivité dans toute l’Europe pour les relâcher. Première étape : le Parc National des Cévennes pour les habituer à la vie en altitude et au relief montagneux. D’autres chevaux suivront dans les années qui suivent.
Enfin, en 2004 et 2005, Takh accompagne 22 chevaux vers un site clôturé du Parc National de Khar Us Nuur, dans l’Ouest de la Mongolie. Là-bas, un enclos de 14.000 hectares les attend. Leur comportement peut ainsi être observé, les animaux nourris en hiver en cas de dernier recours. Laurent Charbonnier a réalisé un reportage sur cette association et sur leur travail dont voici les premières minutes.
Parallèlement, la Chine fait le même exercice et réintroduit ses premiers chevaux en 2001 et 2010 mais on sait peu de choses de ceux-ci.
D’après l’UICN, après la Chine et la Mongolie, d’autres opérations de réintroduction concerneraient dorénavant la Russie et le Kazakhstan. L’Ouzbékistan abrite également dans des réserves des chevaux de Przewalski tout comme la Hongrie et l’Ukraine dans l’espoir de collaborer à ces réintroductions et d’en accueillir.
Bien qu’encore en semi-liberté, les chevaux transférés depuis l’Europe se sont plutôt bien adaptés à la rigueur de la Mongolie. Des dizaines de poulains sont nés directement sur site, les premières naissances de Przewalski en Mongolie depuis leur extinction à l’état sauvage dans les années 1960.
Mais attention, la consanguinité de cette population et l’hybridation avec les chevaux domestiques sont toujours des menaces importantes. La promiscuité des animaux réintroduits avec d’autres espèces fait aussi courir le risque d’épizootie, qui pourrait être fatal à une grande partie de la population réintroduite.
Enfin, bien que la réserve du Grand Gobi (ou Great Gobi) soit reconnue depuis 1991 par l’Unesco comme l’une des plus grandes réserves de biosphère du monde, le surpâturage, l’exploitation minière et les pressions sur l’habitat constituent toujours des menaces importantes pour ces animaux.
Grâce à ces efforts de réintroductions, Equus ferus est passé de la catégorie « éteint à l’état sauvage » à celle de « en danger d’extinction » sur la liste rouge de l’UICN en 2011. Ces chevaux avaient été reclassés « en danger critique d’extinction » en 2008 déjà.
Reproduction et comportement social
Les chevaux, c’est bien connu, sont des animaux grégaires, qui aiment vivre en groupe. Les chevaux de Przewalski, bien qu’étant une espèce à part de nos chevaux domestiques, observent le même comportement social. Ils vivent soit en harem, composé d’un étalon, de plusieurs femelles en âge de se reproduire et de leurs descendances immatures, soit en troupeau de mâles célibataires.
En général, la maturité sexuelle arrive vers l’âge de deux ans. Les jeune mâles sont expulsés de leur harem et rejoignent un troupeau de célibataires. Les femelles quittent également le groupe pour éviter toute reproduction avec leur père. Elles rejoignent en général le harem dirigé par un autre étalon. Les mâles peuvent se voler entre eux un harem et s’imposer à la place d’un autre comme étalon dominant. Ces combats sont en général impressionnants et sont observables chez plusieurs espèces animales comme les gorilles.
Après quelques années en troupeau de célibataires, les mâles tenteront de fonder leur propre harem. Si la maturité sexuelle est entre 2 et 3 ans, le début réel de la reproduction est entre 5 et 6 ans en général.
La reproduction du cheval de Przewalski ne semble pas différer de celle des chevaux domestiques. La reproduction a lieu au printemps durant les chaleurs des femelles, vers avril-mai. La gestation dure entre 11 et 12 mois et les juments ne donnent naissance qu’à un seul poulain. Les petits seront sevrés au bout d’un an.
L’espèce n’est pas territoriale mais chaque harem a besoin d’un large espace vital pour survivre. Parfois, pour combattre des conditions climatiques rudes, des harems peuvent fusionner sur un même territoire et à nouveau se séparer quand la nourriture revient en abondance.
Le toilettage mutuel entre membre d’un même troupeau ou harem est un geste important de cohésion entre individus, notamment entre une mère et son petit.
1 réponse to “Le cheval de Przewalski”
20.10.2022
Ariane DallaireLe cheval de przewalski est magnifique
Je l’adore
ARIANE