Le nombre de sites abritant le crapaud à ventre jaune des Appenins, du nom de la chaîne de montagnes traversant l’Italie du nord au sud, a diminué de moitié au cours des deux dernières décennies. Alors que les experts peinent à expliquer ce déclin, l’espèce, connue sous le nom scientifique Bombina pachypus, est désormais classée « en danger d’extinction » par l’UICN.
Description
Petit crapaud au museau arrondi, Bombina pachypus mesure entre 3 et 5 centimètres. Ses iris sont d’un brun jaunâtre et, caractéristique notable, ses pupilles sont en forme de triangle inversé. Son dos varie du gris foncé au brun alors que, sur le ventre, la peau est d’un bleu sombre parsemé de taches jaunes à orange. Ces dernières recouvrent généralement plus de la moitié de la face ventrale et sont uniques : elles permettent donc d’identifier les individus avec fiabilité. Si elles justifient par ailleurs que Bombina pachypus puisse s’appeler « crapaud à ventre jaune » en français, cela entretient la confusion avec une autre espèce, Bombina variegata, qui porte la même appellation. B. pachypus a en effet longtemps été considéré comme une sous-espèce de B. variegata mais, en 1993, des recherches ont mis en évidence des différences morphologiques et génétiques entre les spécimens des deux groupes. L’UICN référence aujourd’hui ces crapauds comme deux entités distinctes, mais la littérature scientifique ne les différencie parfois pas aussi clairement : de nombreux biologistes contestent la nouvelle classification, qui pourrait donc être remise en cause dans les prochaines années.
Lorsqu’il est attaqué par un serpent d’eau ou un oiseau et qu’il lui est impossible de fuir ou de se cacher, le crapaud à ventre jaune expose son ventre et s’arc-boute afin de mettre en évidence ses couleurs vives, qualifiées d’aposématiques : cela signifie qu’elles constituent un avertissement pour le prédateur. Si cela ne suffit pas, il dispose d’une autre arme : la peau de son dos est couverte de verrues proéminentes et de glandes libérant une substance irritante pour les yeux et les muqueuses de la bouche.
Localisation et habitat
Comme son nom l’indique, Bombina pachypus est endémique des Appenins, chaîne de montagnes sillonnant l’Italie du nord au sud. Des colonies de crapauds à ventre jaune des Appenins peuvent ainsi être observées dans un grand nombre de régions : Ligurie (région frontalière de la France), Emilie-Romagne, Toscane, Ombrie, Marches, Latium, Abruzzes, Molise, Campanie, Pouilles, Basilicates et Calabre abritent des populations de l’espèce. Ce dernier territoire, situé à la pointe méridionale de la « botte » italienne, revêt une importance particulière pour Bombina pachypus : toutes les colonies recensées sur l’aire de répartition de l’espèce descendent en effet de cette zone.
Le crapaud à ventre jaune des Appenins évolue en forêts ou en plaines entre une vingtaine de mètres au-dessus du niveau de la mer et 1900 mètres d’altitude, par exemple dans le parc national du Pollino, créé en 1985 et s’étalant sur 2000 km². Son territoire privilégié est composé de petits points d’eau peu profonds comme des étangs boueux, de petites mares temporaires ou des rivières à faible débit, mais il peut également profiter de constructions humaines comme les fontaines, les abreuvoirs ou les bassins d’irrigation destinés à l’agriculture.
Menaces
Les causes du déclin de Bombina pachypus ne sont pour l’heure pas déterminées précisément, mais deux pistes concentrent l’essentiel des hypothèses.
La perte et la dégradation de son habitat
Bombina pachypus souffre notamment de la perte et la dégradation de son habitat naturel. Plusieurs études associent par exemple la disparition des bassins d’irrigation agricole, grands réservoirs d’eau que ce batracien pouvait utiliser, et la diminution des effectifs de l’espèce. D’autres pointent du doigt l’assèchement des zones humides naturelles, l’urbanisation, l’augmentation de la pollution dans certains cours d’eau ou encore l’introduction d’espèces invasives comme l’achigan à grande bouche ou black-bass.
Les activités anthropiques ne sont par ailleurs pas les seules à être mises en cause : dans les milieux ruraux, l’augmentation du nombre de sangliers pose problème. En effet, ces animaux piétinent et fouillent les sols, rendant inutilisables certains sites de reproduction.
Cela ne suffit toutefois pas à expliquer le déclin rapide de l’espèce : le nombre de sites occupés par le crapaud à ventre jaune des Appenins aurait diminué d’au moins 50 % entre 1996 et 2004. Une telle chute ne peut s’expliquer par la seule dégradation des milieux naturels, d’autant que certaines populations ont disparu de manière apparemment aléatoire, sur des territoires relativement préservés.
La chytridiomycose, maladie des amphibiens
Comme la grenouille lemur arboricole (Agalychnis lemur), la grenouille corroboree (Pseudophryne corroboree) et au moins 400 autres batraciens, le crapaud à ventre jaune des Appenins est menacé par la chytridiomycose. Sous ce nom se cache une infection fongique connue depuis 1998 et ayant déjà causé de véritables épizooties autour du monde. Dans un premier temps circonscrite à l’Australie et à l’Amérique centrale, elle s’est ensuite propagée à tous les continents et touche aujourd’hui une cinquantaine de pays. Avec un taux de létalité pouvant approcher 100 % selon les espèces, la chytridiomycose fait planer sur les amphibiens du monde entier une menace sans précédent : selon l’UICN, « de plus en plus de scientifiques s’accordent sur le fait que la propagation de la chytridiomycose a conduit et continuera à conduire les amphibiens à l’extinction, et ceci à une vitesse jamais observée dans aucun groupe taxonomique de l’histoire de l’Humanité. »
Il est scientifiquement avéré que Bombina pachypus souffre de cette épidémie depuis 2001 : plusieurs jeunes individus prélevés dans leur milieu naturel sont morts quelques jours après avoir été infectés. La chytridiomycose ne semble toutefois pas expliquer à elle seule la disparition brutale de l’espèce. En effet, des échantillons relevés en 1981 ont permis d’établir que l’agent pathogène de la chytridiomycose était déjà présent au sein de nombreuses populations… alors que le déclin de ce crapaud ne remonte qu’au milieu des années 1990 ! L’espèce est donc vraisemblablement victime d’une multitude de facteurs qui doivent encore faire l’objet de travaux.
Conservation
La Convention de Bern, document européen visant à assurer la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages ainsi que des espèces migratrices, a intégré le crapaud à ventre jaune des Appenins sur son Annexe II sous l’appellation Bombinus variegata. Toute forme de capture ou de détention d’un spécimen ou de ses oeufs est donc interdite, et il en est de même de toute détérioration des sites de reproduction, y compris durant les périodes d’hibernation. L’espèce est également protégée grâce à la directive n° 92/43/CEE de l’Union Européenne, dite « Directive Habitats ». Cette dernière impose aux signataires de mettre en place des actions de conservation des habitats naturels en s’appuyant notamment sur le réseau Natura 2000, composé de milliers de sites de grande valeur pour la biodiversité.
Bombinus pachypus étant endémique des Appenins, l’Italie a évidemment un rôle central dans la sauvegarde de l’espèce. Compte tenu de son déclin brutal, les autorités s’accordent sur le fait qu’il est nécessaire d’agir rapidement, même si toutes les menaces ne sont pas parfaitement identifiées : l’Université de Tuscia, à Viterbe (Latium), a ainsi été chargée d’établir un plan d’actions.
Le principal espoir de sauvegarde de l’espèce repose aujourd’hui sur la conservation ex situ : capturer des individus matures ou récupérer les oeufs sur les sites de nidification, gérer les stocks reproducteurs et organiser les réintroductions sur des sites viables sont les principaux axes à développer. Le parc zoologique de Rome, par exemple, s’est investi dans ce projet. Cette méthode a déjà fait ses preuves : en Australie, la grenouille corroboree s’est ainsi éloignée de l’extinction après que plusieurs milliers d’oeufs aient été relâchés par les zoos de Melbourne et de Sydney.
Reste que cette action ne peut être efficace que si le milieu naturel du crapaud à ventre jaune des Appenins demeure préservé. Le choix des zones de réintroduction devra donc être réalisé avec soin, d’autant que les paysages évoluent et continueront à évoluer au cours des prochaines décennies : du fait du réchauffement climatique, certains scientifiques estiment que le nord et le centre de l’Italie pourraient progressivement devenir plus adaptés à l’espèce au détriment de la Calabre qui, pourtant, accueille actuellement l’essentiel des populations sauvages. En tout état de cause, les sites sélectionnés devront appartenir à des parcs nationaux, des sites Natura 2000 ou des zones spéciales de conservation (ZSC).
Reproduction
Bombinus paphypus est généralement actif entre avril et octobre mais, selon l’altitude à laquelle il se trouve, il peut abandonner son état d’hibernation dès le mois de février et s’y replonger en novembre. La période de reproduction s’étale entre le début du printemps et la fin de l’été. Les mâles chantent pour attirer les femelles, qui peuvent s’accoupler deux à trois fois par saison. Après la fécondation, celles-ci pondent entre 50 et 100 oeufs mesurant 1 à 2 mm de diamètre et les déposent sur un support immergé (une branche ou de la végétation) ou directement au fond d’un point d’eau. Le nombre d’oeufs est relativement faible, mais cette caractéristique biologique est compensée par la grande longévité du crapaud à ventre jaune des Appenins : sa durée de vie est estimée à environ 16 ans.
Les têtards naissent 10 à 20 jours plus tard et sont bruns sur le dos et d’une couleur blanchâtre sur le ventre. Durant deux à trois mois, ils se développent en se nourrissant de micro-algues ou de minuscules invertébrés ; ils sont quant à eux la proie des poissons, oiseaux, serpents d’eau, voire même des larves d’insectes. Ils se métamorphosent ensuite pour devenir de petits crapauds et, dès lors, peuvent attaquer petits insectes et crustacés. Leur maturité sexuelle est ensuite atteinte lors de la troisième année de vie.
1 réponse to “Le crapaud à ventre jaune des Appenins”
19.04.2020
VandenbulckeJ’en ai chez moi dans ma mare… je ne sais pas d’où ils sortent ! C’est en cherchant qu’elle pouvait être cette drôle d’espèce avec un ventre si coloré que je suis tombée sur votre site.