Le crocodile de Cuba (Crocodylus rhombifer) est l’espèce de crocodile disposant de l’aire de répartition la plus restreinte du monde : il n’est visible que sur l’Etat insulaire dont il porte le nom. Victime de la chasse, de l’introduction d’autres espèces dans son milieu naturel et de la modification de son habitat, il est aujourd’hui considéré en danger critique d’extinction par l’UICN.
Description du reptile
Bien que des crocodiles cubains atteignant 5 mètres de long aient été observés par le passé, les mâles adultes ne dépassent que rarement 3,5 mètres pour 130 kg. Crocodylus rhombifer est doté d’une tête courte et large, avec une crête osseuse trouvant son origine à la base du crâne et permettant de le distinguer du crocodile américain. Son dos est sombre et ses flancs sont tachetés de jaune et de noir. Son ventre est quant à lui uniformément pâle.
La mâchoire de ce saurien est dotée de près de 70 dents, celles situées à l’arrière étant plus larges que celles situées à l’avant. Cela lui permet de broyer la carapace des tortues, qui composent l’essentiel de son régime alimentaire. Il se nourrit également de crustacés, de poissons et éventuellement de petits mammifères arboricoles, qu’il surprend en bondissant littéralement hors de l’eau grâce à sa queue puissante. Il se déplace par ailleurs avec une grande agilité sur la terre ferme, ses pattes étant très musclées et ses doigts n’étant pas aussi palmés que ceux d’autres crocodiles. Lors de la chasse, plusieurs individus peuvent coopérer et agir de concert, mais les relations restent basées sur la domination du mâle le plus imposant ou le plus agressif.
Localisation et habitat
L’aire de répartition du crocodile de Cuba est la plus petite de tous les crocodiles : il ne peut être trouvé qu’à Cuba. Il semble même que des populations de l’espèce ne subsistent qu’en deux régions de cet état insulaire des Caraïbes, le marais de Zapata au nord-ouest et le marais de Lanier sur l’île de la Jeunesse.
Le marais de Zapata (ou Cienaga de Zapata) se trouve sur la péninsule du même nom, à environ 150 km au sud-est de La Havane. Avec une superficie de 350 km² environ, il s’agit de la plus grande zone humide des Caraïbes. Peu accessible à l’Homme, la vie y prolifère à tel point que l’UNESCO l’a classé « réserve de biosphère » en 2000. Plus d’un millier d’espèces d’invertébrés, 190 espèces d’oiseaux, 31 espèces de reptiles et 12 espèces de mammifères se côtoient dans ce milieu marécageux. Nombre d’entre elles sont endémiques du marais et sont en danger critique d’extinction.
Le marais de Lanier est quant à lui situé sur la deuxième plus grande île cubaine, l’île de la Jeunesse (appelée île des Pins jusqu’en 1978). Sa superficie totale est d’environ 100 km², mais il semble que le crocodile cubain ne soit présent que sur un tiers du site. Peu d’informations sont disponibles sur les effectifs de cette population.
Bien qu’il supporte l’eau salée, Crocodylus rhombifer privilégie les eaux douces ou saumâtres, c’est-à-dire faibles en salinité. Il fréquente donc essentiellement les marais, les mangroves ou les rivières de bord de mer, où l’eau de mer se mélange à l’eau douce.
Menaces sur Crocodylus Rhombifer
On estime que, du fait de très nombreuses menaces, la population de l’espèce a diminué de 80% en trois générations. Alors que des fossiles ont été retrouvés sur les îles Caïmans ou aux Bahamas, son aire de répartition est aujourd’hui extrêmement réduite.
L’hybridation
L’introduction de nouvelles espèces a fortement nui au crocodile de Cuba : au-delà la concurrence naturelle entre espèces de sauriens, crocodylus rhombifer peut se reproduire avec le caïman à lunettes et le crocodile américain. La rareté de la première et l’abondance des dernières ont entraîné l’apparition de spécimens hybrides : une étude publiée par des chercheurs canadiens et cubains en 2014 a permis de montrer que 49% des crocodiles de Cuba à l’état sauvage présentent des marqueurs génétiques d’autres espèces. Ce problème existe aussi en captivité, où le taux chute tout de même à 16 %. Aujourd’hui, dans bien des cas, les critères morphologiques ne permettent plus de déterminer à eux seuls l’appartenance à une espèce : des analyses ADN sont nécessaires.
Si les scientifiques reconnaissent que le phénomène n’est pas inédit puisque les crocodiles sont, depuis plusieurs millénaires, sujets à l’hybridation, il n’en demeure pas moins inquiétant : celle-ci entraîne une dilution très inquiétante du patrimoine génétique du Crocodylus Rhombifer.
Dans les années 1960, l’inauguration d’une « ferme de crocodiles », qui avait le double objectif de préserver l’espèce tout en assurant le commerce de sa viande, de sa peau ou d’individus empaillés, a entraîné le prélèvement de centaines d’individus adultes. Ces derniers ont été mélangés aux crocodiles d’Amérique, ce qui a là encore conduit à une hybridation génétique.
La modification de l’habitat
De par la superficie très restreinte de l’aire de répartition du crocodile cubain, l’espèce est menacée par toute modification de son habitat. Le moindre déséquilibre peut accroître la pression que subit l’espèce dans les marais de Zapata ou de Laniers et, ainsi, augmenter considérablement le risque d’extinction.
Durant la seconde moitié du XXème siècle, les zones humides abritant les crocodiles cubains ont été fortement réduites par la déforestation, la pollution ou l’agriculture : après 1959, année au cours de laquelle la révolution cubaine s’achève, 30 % des marais de Zapata ont disparu au profit d’infrastructures humaines. D’autres risques sont à prendre en considération, comme les feux de forêts, l’introduction de nouvelles espèces ou le réchauffement climatique. Ce dernier influence par exemple la montée des eaux ou les précipitations, mais a aussi un impact direct sur la fréquence des catastrophes climatiques de grande ampleur comme les cyclones.
Le braconnage
Le crocodile de Cuba a pratiquement été chassé jusqu’à l’extinction et fait toujours l’objet de braconnage. Au cours des années 1990, la chasse s’est intensifiée, principalement pour alimenter les restaurants touristiques ou les marchés locaux et pour le commerce de sa peau. Celle-ci permet en effet de créer sacs à main, chaussures, portefeuilles, porte-documents…
Cette menace, bien qu’elle ait conduit à l’élimination d’un grand nombre de crocodiles cubains au cours des dernières décennies, n’est plus jugée essentielle.
Conservation du crocodile de Cuba
L’UICN a classé l’espèce en danger critique d’extinction au milieu des années 2000. Elle se trouve également sur l’Annexe I de la CITES, ce qui en interdit notamment toute forme de commerce (sauf à des fins scientifiques). Une importante ferme de crocodiles de Cuba a cependant obtenu une dérogation et a reçu l’autorisation d’alimenter le marché local.
A Cuba, plusieurs fermes de crocodiles permettent d’élever des spécimens en vue de les relâcher dans leur milieu naturel. Ces infrastructures ont permis d’enrayer le braconnage et représentent une importante attraction touristique : elles hébergent parfois des milliers de reptiles. Depuis 1976, les différentes espèces sont isolées afin d’éliminer le risque d’hybridation génétique. En 1994, 600 individus issus d’une ferme cubaine ont été relâchés ; leur suivi a permis de confirmer qu’ils avaient pu se reproduire malgré le braconnage, très présent à cette époque.
L’une des priorités, aujourd’hui, est de garantir la protection du marais de Zapata, seul territoire du crocodile de Cuba, et de créer une population de remplacement. En 1985, une première tentative eut lieu, bien qu’elle ait été davantage motivée par un profit commercial et diplomatique que par la préservation de l’espèce : une centaine de sauriens a été offerte au gouvernement du Vietnam, qui a réparti ces individus dans tout le pays. Ceux-ci se sont accouplés avec des crocodiles du Siam (C. siamensis), diluant là encore le patrimoine génétique de l’espèce.
Un « Plan de Survie des Especes » a été mis en oeuvre et coordonne les efforts des parcs zoologiques d’Europe et des Etats-Unis qui accueillent l’espèce. On estime aujourd’hui que 3 000 à 6 000 crocodiles de Cuba subsistent à l’état sauvage, dont un millier de femelles, mais il est difficile d’en savoir plus. Cette absence d’informations est révélatrice du manque cruel de moyens disponibles pour préserver l’espèce. Les données concernant la biologie ou l’écologie de l’espèce sont extrêmement pauvres, ce qui rend impossible la définition d’un quelconque plan de sauvegarde à grande échelle. D’autre part, les actions de sensibilisation ou les moyens alloués à la lutte contre le braconnage sont largement insuffisants.
Reproduction du reptile menacé
La reproduction à l’état sauvage du crocodile de Cuba est extrêmement peu documentée.
La seule information sur laquelle tous les scientifiques et observateurs s’accordent est la durée d’incubation, qui s’étale sur 58 à 70 jours. Même la stratégie de nidification est sujette à débat : il semble que les pontes, constituées de 30 à 60 œufs en fonction de la taille et de l’âge de la mère, soient déposées dans un trou puis enterrées par des branches, des feuilles ou de la boue. Cependant, en captivité, la femelle crocodile construit son nid sur un monticule de terre afin de protéger les oeufs du niveau de l’eau, à l’image des alligators. Ces différences pourraient s’expliquer par le niveau d’hybridation des femelles, ou plus simplement par la disponibilité des matériaux.
L’éclosion des oeufs a lieu entre fin août et début septembre. Les petits mesurent 5 à 7 cm pour une centaine de grammes. L’espérance de vie d’un crocodile de Cuba est de 50 à 75 ans.
1 réponse to “Le crocodile de Cuba”
04.12.2021
AMINEbonjour