Dans la famille des crocodiles qui compte 13 espèces, le crocodile des Philippines (Crocodylus mindorensis) est peut-être l’une des plus menacées. Avec moins de 200 individus dans la nature, l’espèce est classée « en danger critique » d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Présentation du crocodile des Philippines
Caractéristiques physiques
En comparaison avec d’autres crocodiles d’eau douce, le crocodile des Philippines est assez petit. Les mâles mesurent entre 2 et 3 mètres de long à l’âge adulte, et les femelles sont plus petites (moins de 2 mètres généralement). Le tout pour un poids pouvant aller de 100 à 250 kilos pour les plus gros individus.
Comme tous les crocodiles, on le distingue des alligators, des caïmans et des gavials par de nombreuses caractéristiques physiques, et notamment sa dentition. Le crocodile est en effet le seul de ces trois grandes catégories à avoir la dent inférieure visible à l’extérieure de la bouche même lorsque celle-ci est fermée.
Ce reptile se démarque aussi par son museau très large – plus que chez d’autres crocodiles en tout cas – et sa couleur brune. Une teinte foncée qu’il acquiert progressivement pendant sa croissance. En effet, les jeunes naissent beaucoup plus clairs avec une couleur tirant davantage sur le doré. De petites stries noires et horizontales partent du bas de la tête jusqu’à la pointe de la queue, mais elles deviennent moins visibles au fur et à mesure que le crocodile brunit.
Toutes ces caractéristiques font qu’il ressemble beaucoup au crocodile de Nouvelle Guinée (Crocodylus novaeguineae). D’ailleurs, il a pendant longtemps été considéré comme l’une de ses sous-espèces. Mais Crocodilus mindorensis est bien une espèce à part entière aux yeux des scientifiques depuis 1989.
Régime alimentaire
Le crocodile des Philippines est exclusivement carnivore. Quand il est jeune, il se nourrit de proies petites comme des escargots, des crevettes, des insectes et des petits poissons. En grandissant, il adapte son régime alimentaire à sa taille. Notamment parce qu’il devient un chasseur aguerri !
D’ailleurs une fois adulte, il se hisse tout en haut de la chaîne alimentaire. On ne lui connait qu’un seul prédateur potentiel : l’Homme. Composent alors son menu de plus gros poissons, des civettes, des serpents et des oiseaux établis près des zones humides. Le crocodile des Philippines est un chasseur opportuniste et il peut parfois s’attaquer à des proies domestiquées par les humains, comme des chiens et de cochons. Des attaques qui créent des conflits avec les éleveurs de bétail, souvent avides de venger leurs bêtes ou de les protéger en prenant des mesures préventives.
Comportement
Comme la plupart des reptiles, le crocodile des Philippines est plutôt solitaire. Mais la présence de ses congénères ne l’agace pas outre mesure et il n’existe pas de signe particulier d’agressivité entre des individus adultes. Il lui arrive même de partager un étang avec plusieurs de ses compagnons au moment de la saison des pluies. Les juvéniles, en revanche, semblent plus impétueux et territoriaux.
Le crocodile des Philippines est un chasseur nocturne. Il préfère généralement attendre la nuit tombée pour se mettre en quête de son repas car l’obscurité accroît ses chances face à des proies plus vulnérables. Il n’a pas besoin d’y voir clair pour les repérer grâce à sa capacité à détecter les vibrations dans l’eau.
Habitat de Crocodylus mindorensis
Comme son nom l’indique, le crocodile des Philippines est endémique des Philippines, un archipel composé de plus de 7 000 îles. Ce pays se situe en Asie du Sud-Est, à l’Ouest du Vietnam et au Nord de Bornéo.
Autrefois, ce saurien était présent un peu partout dans l’archipel, du Nord au Sud. Aujourd’hui, il ne subsiste que dans trois zones :
- L’île de Dalupiri ;
- Au Nord de l’île de Luçon (ou Luzon) ;
- Dans le marais de Ligawasan, à Mindanao.
Crocodylus mindrensis est un crocodile d’eau douce. On le trouve dans les zones humides des trois régions où il vit. Il privilégie les eaux peu profondes, plutôt fraîches, larges mais s’étendant toutefois sur de petites superficies. On peut par exemple le trouver dans des marais et des étangs, de petites criques, des réservoirs d’eau artificiels, des mangroves ou encore des criques sur le littoral.
Il peut arriver de le croiser en altitude, dans des rivières de montagne, jusqu’à 850 mètres d’altitude. Le crocodile des Philippines peut apprécier ce type d’habitat où se trouvent des falaises de calcaire dans lesquelles se sont formées des grottes. Le grand reptile utilise alors ces cavités comme refuge pour se cacher.
Menaces
La population du crocodile des Philippines serait inférieure à 200 individus adultes, d’après les estimations de l’UICN. C’est très peu, et bien moins que ses cousins pourtant eux aussi très menacés comme le crocodile du Siam (environ 400 individus) et le crocodile de Cuba (plus de 3 000 représentants dans la nature).
L’espèce est d’ailleurs classée « en danger critique », dernière étape avant l’extinction à l’état sauvage. Ce statut, il l’a depuis 1996, année au cours de laquelle l’UICN a revu sa copie en passant ce crocodile de « en danger » à « en danger critique ». Il faut dire que le déclin de l’espèce a été rapide avec la disparition de 85 à 94 % de la population entre 1937 et 2012.
Chasse
Partout où ils vivent, les crocodiles ont été la cible – et le sont souvent encore – de chasseurs avides de se nourrir de leur chair et de faire du commerce avec leur peau. La peau de crocodile est en effet très recherchée, en particulier dans l’industrie du luxe, pour confectionner des objets à partir de leur cuir, comme des sacs à main par exemple.
Le crocodile des Philippines ne fait pas exception. Entre les années 1950 et 1970, il a été massivement chassé. Mais aujourd’hui, il en reste si peu que le braconnage d’individus sauvages a quasiment cessé. Il existe désormais des fermes d’élevage de crocodiles qui fournissent l’industrie des peaux exotiques.
En revanche, une autre menace pèse sur le crocodile des Philippines : les représailles. Même s’il semblerait que ce saurien ne soit pas dangereux pour l’Homme, c’est moins vrai pour le crocodile marin (Crocodylus porosus), une espèce beaucoup plus grande et pour laquelle des attaques ont déjà été constatées. Or, lorsqu’une personne est tuée par un crocodile, les témoins ont rarement le temps et les connaissances pour affirmer avec certitude s’il s’agit de Crocodylus mindrensis ou de Crocodylus porosus. Résultat, aucune espèce de crocodile ne trouve vraiment grâce auprès des populations rurales. Les croyances locales assimilent d’ailleurs le crocodile aux forces obscures de la nature et les habitants les surnomment « sorcières ». Un véritable travail de sensibilisation doit être fait à ce sujet.
Pêche et destruction de l’habitat
Parce qu’il se nourrit principalement de proies vivant dans les eaux douces où pêchent également des pêcheurs, le crocodile philippin entre en compétition avec l’Homme pour se nourrir. La surpêche pratiquée dans certaines zones a conduit à la raréfaction de la nourriture pour le grand reptile. En plus de cela, il peut arriver qu’un crocodile se prenne dans les filets de pêche et ne puisse plus s’en libérer.
Le développement des activités agricoles et industries ont aussi joué un rôle sur la disparition de Crocodylus mindrensis, en polluant les eaux où il vit. Les entreprises minières, en particulier, ont causé d’importants dégâts, déversant des dizaines de milliers de tonnes de résidus chaque jour dans des rivières ! Cette menace serait responsable de la disparition du crocodile des Philippines dans au moins deux sites historiques : la rivière Pagatban, dans le sud de l’île de Negros, et un lac de Davao, sur l’île de Mindanao.
Prédation des oeufs et survie des jeunes
Si le crocodile des Philippines ne craint pas beaucoup d’autres animaux une fois adulte, il n’en est pas de même pour les juvéniles. Les oeufs, tout d’abord, sont très exposés à la menace que représentent certains prédateurs comme les varans, les mangoustes, certains rongeurs et des oiseaux tels que le bihoreau cannelle. Cela peut paraître étonnant, mais les fourmis représentent l’une des plus grandes menaces ! En s’y mettant à plusieurs, elles peuvent dévaster un nid pour dévorer les oeufs. Ces derniers peuvent aussi être braconnés par l’Homme. A Mindanao dans les années 2000, les deux tiers des nids été ainsi pillés par une main humaine !
Pour les protéger, il arrive que la femelle se rende régulièrement sur le site de nidification afin de s’assurer que tout va bien. Un moyen également de calmer par sa présence les appétits aiguisés des prédateurs. Le mâle surveille lui aussi le nid, prenant le relais de la femelle, ce qui est exceptionnel chez un crocodile.
Une fois nés, les petits crocodiles ne sont pas encore à l’abri d’une attaque et restent vulnérables. Si bien que le taux de survie des juvéniles n’est guère élevé, ce qui nuit à la pérennité de l’espèce.
Efforts de conservation
Face au déclin très rapide de l’espèce, les scientifiques exigent que des mesures d’urgence soient prises pour assurer sa sauvegarde. Elle est déjà protégée aux Philippines par la loi sur la protection des animaux datant de 1998. Tuer un crocodile des Philippines est donc interdit.
Plan national de conservation
Dès 2000, le gouvernement philippin a mis en place un plan national pour stopper le déclin de l’espèce et rétablir les populations sauvages. Ce plan a été reconduit une deuxième fois sur la période 2005-2008.
Il prévoyait de remplir 9 objectifs :
- Créer des sites protégés pour les populations sauvages
- Sensibiliser les populations locales
- Coordonner un plan de gestion des individus en captivité
- Collecter davantage d’informations au sujet de l’espèce
- En apprendre notamment plus sur sa génétique
- Intégrer le crocodile des Philippines à d’autres programmes de conservation des espèces d’eau douce
- Construire des partenariats pour aider à sa sauvegarde
- Lever des fonds pour financer des mesures de conservation
- S’assurer que toute politique du gouvernement en la matière aille dans le sens de la conservation du crocodile philippin.
Le pays a sorti un plan plus global pour protéger sa biodiversité menacée. Il a démarré en 2015 et doit se terminer en 2028. Et le crocodile des Philippines en fait partie.
La fondation Mabuwaya
Comme évoqué plus haut, l’une des menaces qui pèsent sur le crocodile des Philippines est la mauvaise image qui lui colle à la peau. Changer la perception qu’ont les populations locales pourrait, d’une part, réduire le nombre d’abattage en cas de rencontre fortuite et, d’autre part, encourager les habitants à protéger le milieu naturel du reptile. Il s’agit là de l’une des principales missions de la fondation Mabuwaya.
Fondé en 2003, cet organisme a pour but de faciliter la cohabitation entre l’Homme et le crocodile des Philippines. D’ailleurs, le nom « Mabuwaya » est la contraction des mots « mabuhay » qui signifie « vive la vie » et « buwaya » pour « crocodile ». Il supervise le projet « Crocodile Réhabilitation Observation et Conservation » (CROC), lancé au début des années 2000, et collabore avec les populations du Nord de Luçon mais aussi avec d’autres dans le reste du pays en faveur du crocodile des Philippines.
En plus de sensibiliser la population, Mabuwaya a développé des partenariats avec des parcs zoologiques en Australie, aux Etats-Unis et au Danemark pour instaurer un programme de conservation ex situ. L’objectif : assurer la reproduction de l’espèce en captivité pour d’éventuelles réintroductions dans la nature.
La fondation soutient également des programmes d’études et de monitoring des populations restantes afin d’en apprendre plus sur cette espèce jusqu’ici peu étudiée et plutôt méconnue. Les données récoltées permettront d’identifier des mesures de conservation encore plus efficaces pour protéger le saurien dans la nature.
Elle met aussi en œuvre des actions concrètes de protection des populations restantes in situ – comme des réintroductions par exemple – en adoptant une approche communautaire, c’est-à-dire en faisant participer les personnes qui vivent à proximité de l’habitat du crocodile.
Réintroductions
Plusieurs opérations de réintroduction ont été réalisées ou sont actuellement en cours. En 2013 par exemple, 36 juvéniles ont été relâchés dans le marais Paghungawan, sur l’île Siargao. Cette réintroduction s’est déroulée dans le cadre d’un programme de recherche sur l’espèce et la conservation de la biodiversité. L’idée était de mieux connaître le crocodile des Philippines et d’observer les individus relâchés dans la durée, jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes.
L’équipe de chercheurs de ce programme a relâché au total 65 individus dans cette zone. Seuls quatre ont été retrouvés morts, mais pour les autres, cela semble être une réussite.
Certains ont été équipés d’émetteurs radio pour permettre aux scientifiques de suivre leurs déplacements. Les données récoltées serviront à connaître la distance qu’ils parcourent, à identifier les zones qu’ils affectionnent et ainsi trouver lesquelles sont les plus favorables pour de futures réintroductions.
Mais d’où viennent les crocodiles relâchés dans la nature ? Tout simplement de fermes d’élevage dédiées à ces programmes de conservation. L’un des sites les plus importants est le Palawan Wildlife Rescue and Conservation Centre (PWRCC), à Puerto Princesa. Il reproduit l’espèce en captivité depuis 1987. Un autre est le Crocodile Breeding Facility à Dulaguete, apparu en 1980. Il est supervisé par l’Université de Silliman. De nombreux autres existent, aussi bien dans des parcs zoologiques que dans des fermes privées.
Reproduction du crocodile des Philippines
La reproduction de ce crocodile est très peu documentée. Il existe encore de nombreuses zones d’ombre à ce sujet, mais aussi quelques certitudes. Comme par exemple la saison des amours : celle-ci démarre pendant la saison sèche, de décembre à mai. 29 autres ont été réintroduits en 2017
L’accouplement entre le mâle et la femelle est précédé d’une parade nuptiale. 4 à 5 mois plus tard, la femelle fabrique un nid d’environ 1,50 mètre de large sur les rives des rivières et étangs où elle vit et y pond ses oeufs. Ils sont plusieurs – entre 7 et 33 –, la moyenne tournant autour de 25.Pour construire le nid, la femelle peut soit creuser dans le sol puis recouvrir de végétaux en tout genre, soit construire un tertre en amoncelant des brindilles, des feuilles séchées et autres jusqu’à atteindre les 55 cm de hauteur.
Entre le moment où ils sont déposés dans le nid, d’avril à août, et le moment de l’éclosion, il s’écoule ce que l’on appelle « une période d’incubation ». Dans la nature, cette période oscille entre 65 et 78 jours. En captivité, c’est plus long : entre 77 et 85 jours.
A noter que le sexe des juvéniles semble dépendre de la température d’incubation des oeufs. Des études utilisant des incubations artificielles ont en effet montré qu’entre 30 et 31°C, il y avait une majorité de femelles qui naissaient. En revanche à partir de 33°C, les petits avaient plus de chances de naître mâles.
Les femelles deviennent matures sexuellement vers l’âge de 10 ans, lorsqu’elles atteignent la taille de 1,3 mètre, les mâles à partir de 15 ans et 2,1 mètres. Leur espérance de vie n’est pas connue avec précision, mais certains experts pensent qu’il est probable qu’elle se situe autour de 70 et 80 ans, comme chez d’autres crocodiliens.
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