
Son nom scientifique est Galemys pyrenaicus mais on le désigne volontiers sous le terme de rat-trompette en raison de son étonnante apparence de petit rongeur au long museau en forme de trompe… Le desman des Pyrénées est un petit mammifère menacé qui fait l’objet d’une surveillance étroite pour empêcher sa disparition. Présentation.
Powered by RedCircle
Description du desman des Pyrénées
Il existe deux espèces de desman dans le monde :
- le desman de Russie (Desmana moschata), classé « en danger » (EN) par l’UICN ;
- le desman des Pyrénées (Galemys pyrenaicus), espèce « en danger » (EN) selon l’UICN.
Si ces mammifères semi-aquatiques se ressemblent par bien des aspects, ils n’appartiennent pas au même genre. Le desman de Russie est en effet le seul représentant du genre Desmana et le desman des Pyrénées de celui Galemys.
Ce dernier se scinderait en deux sous-espèces :
- G. p. pyrenaicus qui vit exclusivement dans les Pyrénées ;
- G. p. rufulus qui vit dans le reste de l’aire de répartition de l’espèce, en Espagne et au Portugal.
Caractéristiques physiques
Tout le monde sait que l’Australie a son ornithorynque, mais bien peu de personnes savent que la France, l’Andorre, l’Espagne et le Portugal ont… le desman des Pyrénées ! Comme le monotrème d’Océanie, le desman des Pyrénées a un physique très étonnant qui semble être une combinaison de différents animaux.
Son corps ressemble à celui d’un petit rongeur : il est rond, trapu – mais peu impressionnant puisqu’un desman adulte ne dépasse généralement pas les 60 grammes pour 24 à 29 cm de long, queue comprise – et recouvert de poils gris-brun qui tirent sur le blanc sur la partie ventrale de l’animal. Ses pattes sont palmées – et c’est tant mieux étant donné qu’il a un mode de vie semi-aquatique – et dotées de griffes lui permettant de s’accrocher aux roches glissantes. Ses quatre pattes ne sont pas toutes de la même taille : les pattes avant sont petites et rapprochées du corps tandis que les pattes arrière sont grandes et musclées.

Desman des Pyrénées dans l’eau.
Son nez est spectaculaire. Au point qu’on parle plutôt de trompe car, comme chez l’éléphant, il s’agit de la réunion des narines et de la lèvre supérieure ! Celle-ci mesure environ 3 cm – ce qui représente près du quart du corps de l’animal, hors queue – et lui est d’une aide précieuse puisque c’est grâce à elle que le desman peut sonder son environnement à la recherche de nourriture. Elle est en effet dotée d’organes tactiles et de vibrisses, et est préhensile. La trompe du desman est essentielle pour l’aider à se repérer, d’autant que ses petits yeux sont à peine visibles sous sa fourrure. Raison pour laquelle on peut parfois le confondre avec la taupe, qui appartient à la même famille des Talpidés.
Régime alimentaire
Le desman des Pyrénées est insectivore : il se nourrit principalement de larves d’invertébrés aquatiques (trichoptères, plécoptères et éphéméroptères principalement). Avec sa trompette, il fouille les fonds des cours d’eau, soulève les cailloux, sonde les fonds sableux et déplace les petits débris de végétaux afin de débusquer ses proies.
Habile nageur grâce à ses pattes palmées et sa queue qui l’aide à se diriger en milieu aquatique, ce petit mammifère est capable d’effectuer plusieurs plongées à la suite et de rester une trentaine de secondes sous l’eau. Et il ne craint pas la fraîcheur de ces cours d’eau de montagne – pas même l’hiver, période pendant laquelle il reste actif contrairement à d’autres mammifères des montagnes comme la marmotte – grâce à sa fourrure hydrofuge qui le protège.
Comportement
Le desman des Pyrénées n’aime pas beaucoup être dérangé. Il préfère se faire discret et aura donc plutôt tendance à être actif la nuit plutôt que le jour. Mais c’est un animal très actif, qui se dépense beaucoup lors de ses nages dynamiques pour capturer sa nourriture. Résultat, il brûle pas mal de calories et a besoin de reconstituer régulièrement son stock. Il ne se repose donc que peu de temps, de jour comme de nuit : quelques minutes à une poignée d’heures maximum.
Habitat
Comme son nom l’indique, le desman des Pyrénées vit dans la chaîne de montagnes éponyme séparant la France de l’Espagne et de l’Andorre. Mais pas uniquement : il vit aussi au nord-ouest de la péninsule ibérique, entre l’Espagne et le Portugal.
En France, le desman des Pyrénées réside dans tous les départements pyrénéens, des Pyrénées Atlantiques à l’Ouest aux Pyrénées Orientales à l’Est, jusqu’au Sud de l’Aude. Mais la répartition française varie selon les régions. Le gros des populations se trouvent surtout à l’Est des Pyrénées françaises.
Quand il n’est pas dans l’eau pour chasser, le desman vit dans des sortes d’abris – qu’on appelle « gîtes » – sur les berges. Il s’agit de petites cavités habillées de débris de végétaux. Si on ignore encore précisément quels sont les habitats les plus adaptés à l’espèce, Galemys pyrenaicus semble privilégier les milieux où la qualité de l’eau est irréprochable et le débit de l’eau plutôt fort. Généralement là où il y a de la truite, il y a potentiellement des rats-trompettes.
Menaces sur le desman des Pyrénées
On ignore combien de desmans des Pyrénées existent dans la nature. Pourtant, on sait qu’il s’agit d’une espèce menacée, parce que son aire de répartition diminue et est fortement fragmentée. « Au cours des 25 dernières années, son aire de répartition a diminué de plus de 50 %, révèle Mélanie Némoz, animatrice du programme Life+ Desman et chef de projet au Conservation d’Espaces Naturels (CEN) d’Occitanie. Les menaces qui pèsent sur lui sous toutes liées aux activités humaines : elles sont directes – lorsque son habitat est détérioré pour différentes raisons – ou indirectes – quand ce sont ses proies, les insectes, qui sont concernées. »
Dégradation de son milieu

Le desman des Pyrénées vit près des cours d’eau avec du courant.
Le desman des Pyrénées a besoin de vivre dans un environnement sain. Sa survie dépend donc étroitement de la qualité des cours d’eau où il vit et chasse. Or, ces dernières années, le milieu naturel du desman s’est dégradé.
« Pour le desman, la notion de débit est fondamentale : il s’agit d’une espèce inféodée aux cours d’eau dans lesquels il y a du courant. Or dans les Pyrénées, il reste très peu de cours d’eau ayant un débit encore naturel, non modifié par l’homme », commente Mélanie Némoz. La construction de barrages et de centrales hydroélectriques, l’aménagement des bords de rivières – dont la destruction ou le bétonnage des berges où il s’établit –, ou encore le rejet d’eaux usées ont profondément modifié l’habitat du petit mammifère.
« On soupçonne aussi le changement climatique de poser problème car cela aura – et a déjà – nécessairement un impact sur les cours d’eau et, à terme, cela risque de devenir encore plus problématique pour le desman », reprend l’animatrice du programme Life+ Desman.
Il arrive également que certaines activités participent directement au déclin du desman, comme par exemple certaines pratiques de pêches et d’aménagements des cours d’eau à des fins agricoles.
Prédateurs et concurrents, une moindre menace
D’autres dangers peuvent planer sur le desman des Pyrénées, mais ils sont considérés comme de moindre importance en comparaison avec toutes celles qui concernent la dégradation de son milieu.

© Colette DENIER, association « Moulin de la Laurède »
La prédation, par exemple. Le desman est un chasseur d’insectes, mais c’est aussi une proie pour certaines espèces, comme le vison, la loutre – qui regagne du terrain en France après avoir failli disparaître – et, c’est plus problématique, le chat domestique ou le vison d’Amérique, échappé d’élevages et qui, depuis, prolifère.
L’homme peut également faire partie de la liste. Des pisciculteurs craignant pour leurs poissons ou des collectionneurs ou toute autre personne peut, par manque de connaissance ou malveillance, blesser voire tuer des individus qui croiseraient leur chemin. « Il arrive qu’on nous appelle pour nous signaler qu’une personne a tué un desman, pensant qu’il s’agissait par exemple d’un rat. Ce sont des choses qui arrivent encore, malheureusement », témoigne Mélanie Némoz.
On a cru que Galemys pyrenaicus devait également composer avec des espèces concurrentes, qui se nourrissent des mêmes proies que lui et peuvent donc, si elles se montrent meilleures chasseuses, lui ôter la nourriture de la bouche. C’était le cas notamment de la truite, de l’omble ou encore du cincle plongeur, un petit oiseau habile qui se débrouille très bien dans l’eau. « Depuis, nous sommes revenus sur cette hypothèse car en réalité, la truite consomme des insectes à la dérive, tombés à l’eau, alors que le desman, lui, fouille les fonds de cours d’eau. C’est une espèce qui n’y voit rien, son sens pour chasser, ce n’est pas la vue mais le toucher. Ce serait trop compliqué pour lui d’attraper les mêmes proies que la truite », continue la chef de projet au CEN Occitanie.
Efforts de conservation
Pendant longtemps, personne ne s’est véritablement intéressé au desman des Pyrénées. Aujourd’hui encore, bon nombre de locaux qui, pourtant, vivent tout près de lui, ignorent jusqu’à son existence.
« Cela est certainement lié à son mode de vie et sa petite taille : il vit dans les cours d’eau avec pas mal de courant et passe facilement inaperçu », avance Mélanie Némoz. Et puis, il n’a jamais fait l’objet d’une chasse pour sa fourrure ou sa chair par exemple, comme cela a été le cas pour d’autres espèces. Il ne pose pas non plus de problème particulier : il ne détériore pas les berges et ne présente pas une concurrence directe pour les pisciculteurs des environs. Résultat, il a fallu attendre la fin des années 2000 pour qu’on commence à se pencher sur sa conservation. Depuis, plusieurs actions ont été menées, principalement en France qui concentre le gros des effectifs.

© Colette DENIER, association « Moulin de la Laurède »
Un plan national d’actions (PNA) pour le desman
C’est à partir de 2008 que la question de la conservation du desman des Pyrénées a commencé à mobiliser les troupes dans l’Hexagone. A partir de cette date est en effet élaboré le tout premier plan national d’actions pour la sauvegarde de cette espèce. Ce PNA démarrait en 2010. Un deuxième volet est actuellement en cours de rédaction. Il devrait s’établir sur la période 2021-2030.
Le premier PNA a surtout servi à améliorer les connaissances scientifiques du desman des Pyrénées, qui étaient jusqu’à lors peu étoffées. Il fallait notamment mieux identifier son aire de répartition ainsi que les types d’habitats propices à héberger ce petit mammifère. « Nous menons par exemple des études pour connaître le débit minimum biologique qui permet de maintenir des populations des desmans dans un cours d’eau », détaille Mélanie Némoz.
Quant au deuxième PNA en cours, « il continuera à affiner les connaissances sur l’aire de répartition de l’espèce afin de déterminer plus précisément où sont les plus grands enjeux pour faire en sorte que le desman regagne du terrain ».
Il comportera également un volet très opérationnel, avec « une meilleure prise en compte du desman lors de travaux (construction de centrales hydroélectriques, réfection d’un pont, enrochements non jointifs plutôt que bétonnage de berges, etc.) et l’amélioration de son habitat en essayant de retrouver une certaine naturalité des cours d’eau ».
Programme Life+ desman
Entre ces deux PNA a démarré sur la période 2014-2020 un programme européen Life+ pour le desman des Pyrénées. Le vison d’Europe et la loutre font eux aussi l’objet d’un programme Life et, comme pour eux, l’objectif prioritaire est de préserver les habitats naturels de ces espèces et ainsi améliorer leur statut de conservation.
Le desman des Pyrénées, lui, est classé « en danger » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L’espèce est donc considérée comme menacée à l’échelle internationale, et son statut pourrait encore empirer, les récentes découvertes à son sujet incitant les chercheurs à militer pour passer l’espèce dans la catégorie « en danger ».
Ce programme Life+ est financé par la Commission Européenne. Dans un premier temps, il a porté uniquement sur la France. « On ignore beaucoup de choses sur cette espèce. Il nous semblait trop ambitieux de lancer un tel projet sur différents pays, explique Mélanie Némoz. Le deuxième volet du PNA, qui s’inscrit dans la continuité, ouvre en revanche la collaboration avec l’Andorre, l’Espagne et le Portugal. »

Desman dans l’eau. © Colette DENIER, association « Moulin de la Laurède »
Captivité impossible
Certaines espèces menacées se sont rétablies grâce à des programmes de reproduction en captivité. Le principe : réunir les bonnes conditions pour permettre à des couples de se reproduire et d’élever leur progéniture à l’abri des menaces qui pèsent sur l’espèce à l’état sauvage.
Malheureusement, c’est impossible pour le desman. Tout simplement parce que deux desmans réunis en captivité s’entre-tuent. « Peu importe la combinaison : mâle-femelle, deux femelles ensemble ou deux mâles, cela finit toujours de la même façon », raconte Mélanie Némoz.
Pourtant, le desman ne semble pas tant agressif envers ses congénères en milieu sauvage. Au contraire, les interactions sont même plutôt fréquentes et pas forcément violentes. « Le radiopistage a permis de montrer qu’il arrive que deux desmans occupent en même temps un même gîte par exemple. Ou encore que deux desmans – potentiellement des frères – s’établissent près l’un de l’autre et calquent leurs actions sur celles de l’autre. Par exemple, ils sortent chasser au même moment. »
Reproduction du rat-trompette
Parce qu’il est difficilement observable dans la nature et ne survit pas bien en captivité, on sait peu de choses sur la reproduction de desman des Pyrénées.
« Ce qu’on sait à ce sujet, nous le tenons principalement d’observations réalisées au cours du siècle dernier, à l’époque où on piégeait le desman pour l’étudier de près. Ces études ont montré qu’entre février et juin il y avait trois pics de gestation et qu’une femelle pouvait avoir 1 à 5 petits par portée. Au-delà de ces informations, on ne sait pas grand-chose avec certitude », explique Mélanie Némoz.
Impossible donc d’affirmer si une femelle peut avoir plusieurs portées par an, de connaître la viabilité des petits ou encore le comportement du mâle et de la femelle au moment de l’accouplement.
Quant à l’espérance de vie du desman des Pyrénées, elle est assez courte : de 3 à 4 ans.
Petite anecdote à propos du desman
Les crottes du desman des Pyrénées sont tout aussi intéressantes que l’animal en lui-même ! D’abord parce que ce sont les seuls indices facilement visibles de sa présence dans les environs. Le desman étant un animal nocturne et discret, les randonneurs des Pyrénées auront peu de chance de l’observer dans la nature. En revanche, ils peuvent tomber sur ses crottes, près des cours d’eau où il vit. Encore faut-il avoir l’œil aiguisé car les déjections du desman mesurent 2 à 3 mm de diamètre seulement pour 10 à 15 mm de long. Elles sont en revanche reconnaissables à leur aspect brillant. Bonne nouvelle, elles sentent même bon quand elles sont fraîches !
Les scientifiques aussi s’intéressent de près aux crottes du rat-trompette. En effet, il leur est beaucoup plus facile d’étudier directement les excréments du petit mammifère plutôt que de tenter d’en capturer, même si le piégeage fait aussi partie des recherches mais s’avère compliqué sur le terrain, et potentiellement stressant pour l’animal. Heureusement, les déjections du desman sont tout de même très intéressantes du point de vue scientifique, non seulement pour comprendre le régime alimentaire de l’espèce mais aussi recueillir toutes sortes de données ADN.
Les récentes études menées sur plusieurs centaines de crottes de desmans ont permis de révéler l’existence de trois populations distinctes géographiquement et génétiquement dans les Pyrénées. Et aussi, et c’est une moins bonne nouvelle, que l’espèce pourrait pâtir d’un manque de diversité génétique. Ce qui n’est malheureusement pas étonnant, les populations restantes étant fragmentées.
NB : merci à Colette Denier, de l’association « Le Moulin de la Laurède » et à Gérard Monge pour leurs photos.
1 réponse to “Le desman des Pyrénées”
12.05.2021
VEAUTIERJ’ai découvert l’existence du desman des Pyrénées en abandonnant du côté des lacs de Nohèdes…très intéressant ce petit animal. Bon courage pour votre travail.