
Dans la famille des mammifères les moins connus de la faune française, la musaraigne alpine remporte probablement la palme. Ce petit insectivore de la famille de Soricidés a en effet été très peu étudié en France et plus généralement en Europe, où il vit. Jean-François Desmet, du Groupe de Recherches et d’Information sur la Faune dans les Ecosystèmes de Montagne (G.R.I.F.E.M) est l’un des rares connaisseurs de l’espèce en France. Il nous en dit plus sur cette étonnante musaraigne.
Description de la musaraigne alpine
On ignore encore beaucoup de choses sur Sorex alpinus, de son nom scientifique. Mais l’état des connaissances au sujet de cette espèce de musaraigne progresse.
Caractéristiques physiques
La musaraigne alpine présente toutes les caractéristiques communes aux musaraignes du genre Sorex, à savoir de petites oreilles, de tout petits yeux, des vibrisses au niveau du museau qui l’aident à se repérer dans l’espace et trouver ses proies, ainsi qu’une queue légèrement poilue.
« Cette musaraigne est cependant assez facile à reconnaître grâce sa coloration particulière, souligne le spécialiste. Elle est en effet entièrement noir-gris anthracite avec un ventre parfois très légèrement plus clair. »
Son pelage assez uniformément sombre suffit ainsi à la différencier assez nettement des autres musaraignes.
Côté gabarit, Sorex alpinus est une musaraigne de taille standard, avec une longueur tête et corps de 6 à 8 cm et une queue de longueur équivalente. Elle est de couleur noire sur le dessus et blanchâtre sur le dessous. A noter que chez les autres musaraignes françaises, la queue est nettement plus courte.

La queue de la musaraigne alpine est plus longue que chez les autres musaraignes de France. © Jean-François DESMET
Autre moyen permettant de reconnaître à coup sûr une musaraigne alpine, il faut regarder ses dents. « La deuxième dent de la mandibule (mâchoire du bas) présente 2 pointes, précise Jean-François Desmet. Mais attention, chez les individus âgés, il se peut que les dents soient usées et que cette distinction ne soit plus très visible. »
Régime alimentaire
La musaraigne alpine est insectivore. Son régime alimentaire se compose principalement d’invertébrés comme des annélides (vers de terre), des arthropodes (araignées, myriapodes, crustacés tels que les cloportes…) et des gastéropodes (petits escargots). Les lombrics sont véritablement son mets de prédilection.
Elle trouve sa nourriture à même le sol, qu’elle sonde à l’aide de son museau doté de vibrisses sensorielles très efficaces pour repérer des proies.
Comportement
Parce qu’elle a très peu été étudiée et qu’on la connaît encore mal, il est difficile de donner des informations exactes au sujet de son comportement. La musaraigne alpine est un animal actif aussi bien le jour que la nuit, ce qui tend à faciliter les observations de terrain.
On sait en revanche qu’elle peut cohabiter avec d’autres espèces de musaraignes sur son territoire. C’est le cas par exemple de la crossope aquatique, la crossope de Miller, la musaraigne pygmée, ou encore le groupe des musaraignes carrelet, du Valais et couronnée.
Habitat

Sorex alpinus est endémique d’Europe et aime les biotopes frais et humides. © Jean-François DESMET
La musaraigne alpine est endémique d’Europe. On la retrouve plus particulièrement des Balkans aux Carpates jusqu’aux Alpes françaises, mais plus particulièrement dans les parties orientale et centrale de la chaîne montagneuse. Sa répartition est donc plutôt réduite et localisée.
« La France est la bordure occidentale de son aire de répartition, note Jean-François Desmet. On ne la trouve que dans certains départements alpins et jurassiens.»
Sa présence a ainsi été confirmée dans le Doubs, le Jura, plusieurs départements rhônalpins et jusqu’aux Hautes-Alpes. « En 1863, l’espèce était mentionnée dans le Jura français par un moine, puis en 1888 par un autre auteur dans le massif de la Grande Chartreuse. A titre personnel, je l’ai observée à de nombreuses reprises depuis les années 1970 dans le Haut-Giffre et des régions voisines, en Haute-Savoie. D’autres données ont par la suite été collectées dans la Vanoise, Belledonne, le Bugey ou encore le massif jurassien », détaille Jean-François Desmet.
Comme son nom le laisse entendre, la musaraigne alpine est un animal plutôt montagnard, que l’on croise à des altitudes comprises entre 900 et 2500 mètres.
« Ses habitats sont très variés : forêts mixtes de l’étage montagnard avec feuillus et résineux, forêts résineuses de l’étage subalpin, clairières herbacées, prairies subalpines, puis plus on monte en altitude, pelouses alpines et même éboulis et lapiaz colonisés par la végétation. De façon générale, la musaraigne alpine apprécie les formations fraîches et humides avec, et cela semble important pour l’espèce, la présence de blocs rocheux ménageant des anfractuosités qui lui servent de cachettes. »
Statut et menaces

La musaraigne alpine n’est pas protégée en France. © Jean-François DESMET
La musaraigne alpine n’a pas de statut particulier en France. Ce qui n’est pas très étonnant car, comme le rappelle Jean-François Desmet : « très peu de petits mammifères sont protégés dans l’hexagone…. sauf quelques rares exceptions : le muscardin, le campagnol amphibie, le desman ou les crossopes par exemple ».
A noter qu’à l’échelle internationale, Sorex alpinus est cependant inscrite à l’annexe III de la Cites. Quant à l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la dernière évaluation datant de 2019 classe l’espèce dans la catégorie « quasi-menacé » (NT).
Il semblerait toutefois que, les populations déclinent globalement sur l’aire de répartition, sans que des menaces précises aient pu être identifiées, faute d’études de terrain menées dans ce but.
« Comme cet animal aime les biotopes frais et humides, on peut imaginer que les modifications actuelles du climat pourraient constituer une menace, en modifiant les formations végétales au fil des décennies pour s’orienter vers une végétation plus sèche », analyse Jean-François Desmet.
La prédation a un impact naturel sur cette espèce « bien que, comme d’autres musaraignes ou taupes, la musaraigne alpine semble peu appétente pour divers carnivores comme les renards par exemple. Ceux-ci en tuent, mais ils délaisseront souvent leurs dépouilles sur leur chemin. Principalement les rapaces – et notamment les chouettes – les mangent. D’ailleurs, une partie de nos connaissances sur l’espèce provient de l’étude des pelotes de réjection. »
Dans tous les cas, il serait souhaitable d’en apprendre rapidement plus sur l’espèce pour envisager de mettre en place des mesures de conservation pertinentes au cas où sa situation se dégraderait.
Si vous trouvez un cadavre de musaraigne ou que vous réussissez à l’observer dans la nature, essayez de la prendre en photo, puis notez la localisation exacte (dans l’idéal, les coordonnées GPS), ainsi que la date. Envoyez ensuite toutes ces informations directement à Jean-François Desmet par mail à cette adresse : jfdesmet@wanadoo.fr.
Reproduction
Sans surprise étant donné qu’on connaît très peu de choses sur la biologie de l’animal, il en va de même pour sa reproduction.
« On sait cependant qu’un individu peut se reproduire dès la première année de sa vie, puis qu’une femelle peut avoir 3 à 4 portées par an avec une moyenne de 3 à 7 petits par portée », résume le spécialiste.
Aucune certitude en revanche concernant son espérance de vie ou sa longévité.
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