
Gravement menacée par des maladies infectieuses qui déciment l’espèce en un temps record, la grande nacre de Méditerranée est au bord de l’extinction. Dans certaines zones, la totalité des populations ont disparu. L’inquiétude quant à la survie de ce mollusque géant est à son paroxysme.
Description de la grande nacre
Endémique de la mer Méditerranée, la grande nacre se distingue des autres mollusques par son imposante taille : parfois plus de 1,20 mètre ! Un gabarit qui lui doit plusieurs de ses autres noms, tels que « jambonneau de mer » ou « pinne géante », ou encore « grande nacre », l’appellation la plus répandue de cette espèce.
Caractéristiques physiques
Pinna nobilis – de son nom scientifique – est un bivalve, comme les moules et les huîtres. Cela signifie que l’animal dispose de deux valves – ou coquilles – qui l’entourent. Ces valves sont nacrées, ce qui explique son nom le plus employé pour le désigner. Il s’agit du plus grand mollusque vivant en Méditerranée : chaque valve peut mesurer en moyenne 1 mètre, et jusqu’à 1,20 mètre chez certains individus.
Concernant sa forme, la coquille de la grande nacre est large et arrondie sur la partie supérieure tandis que la partie inférieure est pointue, donnant à ce mollusque une silhouette légèrement triangulaire. Chez les juvéniles, l’extérieur de la coquille peut présenter des excroissances calcaires comme c’est le cas chez leur cousine Pinna rudis, plus petite et parfois prise à tort pour une grande nacre jeune. Les individus matures, quant à eux, arborent plutôt des stries de croissance caractéristiques.
A l’intérieur se trouve la partie molle de l’animal avec toutes les fonctions anatomiques indispensables comme une bouche, un cœur, un appareil respiratoire, un système digestif, des organes génitaux ou encore un système nerveux.
Un rôle clé dans son écosystème
Comme la mulette perlière ou la grande mulette en eau douce, la grande nacre de Méditerranée est un organisme filtreur. En effet pour se nourrir, elle doit sans cesse filtrer l’eau de son environnement et retenir les matières organiques dont elle a besoin pour vivre. Ce faisant, la grande nacre débarrasse l’eau de ces particules. Elle joue donc un rôle d’assainissement essentiel à la survie d’autres espèces qui vivent dans le même milieu.
Habitat de Pinna Mobilis

Aire de répartition de la grande nacre de Méditerranée.
La grande nacre est endémique de la mer Méditerranée. Gravement menacée, elle a quasiment disparu de plusieurs endroits de son aire de répartition d’origine dans la partie occidentale de la Méditerranée et commence également à disparaître dans la partie orientale.
Ce mollusque vit dans les profondeurs, et plus précisément dans les fonds meubles – qui peuvent être sableux ou vaseux – et les herbiers de posidonies et de cymodocées (Cymodocea nodosa), deux types de plantes aquatiques marines présentes dans ces eaux. On le trouve également dans des zones dépourvues de végétation et dans des estuaires. Il se fixe dans le sol, à la verticale, ne laissant plus apparaître que les deux tiers de sa longueur.
Menaces
La grande nacre a connu ces dernières années plusieurs vagues mortelles, causant l’extinction de plus de 85 % et jusqu’à 100 % des populations dans certaines zones de la mer Méditerranée. Une disparition aussi fulgurante qu’inquiétante. L’espèce est aujourd’hui classée « en danger critique » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Pêche
Aujourd’hui protégée, la grande nacre de Méditerranée a longtemps été convoitée et pêchée à outrance. En particulier pour une partie bien précise de son anatomie : les filaments qui l’aident à s’accrocher et se fixer dans le sol pour tenir à la verticale. Ces filaments forme ce qu’on appelle « le byssus », parfois surnommé « soie des rois » ou « soie de la mer », tant il est prisé. Par le passé, il a notamment servi à l’ornement d’accessoires de mode de luxe, comme des gants ou des chapeaux par exemple. Problème, une seule grande nacre ne produit que 1 à 3 grammes de byssus et l’animal est systématiquement tué pour l’extraire. Ainsi, confectionner un seul bonnet entraîne la mort de plus de 80 individus.
Parasite mortel
Mais la plus grande menace qui pèse actuellement sur Pinna nobilis n’est plus la pêche mais un parasite, Haplosporidium pinnae. Cette nouvelle espèce, identifiée il y a peu et dont l’origine est encore trouble, attaque le système digestif du mollusque. Ce dernier répond à cette infection par une forte inflammation, ce qui empêche l’animal de se nourrir et finit par le tuer.
Les premières alertes sont survenues à l’automne 2016 dans les eaux espagnoles. Là, les biologistes ont constaté une inquiétante mortalité chez les populations de grandes nacres. Moins d’un an après sa découverte, ce parasite mortel a tué 90 % des grandes nacres en Espagne, et près de 100 % sur les côtes sud et centre de la péninsule ibérique et des îles Baléares. Une extinction éclair qui a entraîné le placement en urgence de l’espèce Pinna nobilis dans la catégorie « en danger critique d’extinction » en Espagne.
Autre problème de taille : Haplosporidium pinnae continue de se propager aujourd’hui et a déjà causé la mort d’autres bivalves ailleurs en Méditerranée, en commençant pas la France et l’Italie. Et l’épizootie s’étend. Une mortalité massive – supérieure à 85 % de la population – a été enregistrée en Corse, au Sud de la Sardaigne, au Nord de la Sicile, dans le golfe du Lion mais également en Grèce – première détection dans le golfe de Thermaikos début 2020 – et le long des côtes turques.
Autres maladies contagieuses
Comme si cela ne suffisait pas, la grande nacre est aussi menacée par la propagation d’autres agents pathogènes dangereux pour sa survie : les mycobactéries. De nombreuses espèces de bivalves marins y sont exposées un peu partout dans le monde, et Pinna nobilis n’y échappe pas. Ces pathogènes contaminent les mollusques, se propagent rapidement, et entraînent des mortalités massives en un temps record.
L’un des épisodes les plus récents remonte à l’année 2017 puis 2018, dans deux régions italiennes : la Campanie et la Sicile. Une mortalité massive a en effet touché les populations de grandes nacres en mer Tyrrhénienne. Si pendant un temps on a cru qu’il s’agissait du parasite Haplosporidium pinnae, des prélèvements ont montré qu’un seul individu en était porteur. En réalité, tous les autres individus morts avaient été contaminés par une mycobactérie, véritable responsable de cette extinction de masse.
Ces maladies se propagent rapidement et ont touché la quasi-totalité de l’aire de répartition de Pinna nobilis. Seuls les groupes les plus isolés, qui vivent dans des biotopes spécifiques comme les lagunes et les estuaires, semblent pour l’instant épargnés. La preuve avec ce récent recensement réalisé dans l’étang de Diana, en Corse, et qui révèle que la population observée depuis 1990 est encore aujourd’hui en bonne santé.
Réchauffement climatique et activités humaines

Herbier de posidonie.
Pourquoi ces maladies apparaissent-elles et semblent se multiplier ? La réponse à cette question n’est pas évidente, mais il semblerait en effet que si de tels épisodes de mortalité massive se produisent, c’est parce que les grandes nacres sont moins résistantes à ces pathogènes. Et ce, pour différentes raisons.
D’après une étude publiée en février 2019 dans Nature, « ces maladies sont souvent liées à des changements dans les interactions entre l’hôte et l’agent pathogène, en raison notamment d’une augmentation de la température de l’eau, de la distribution et de la virulence des agents pathogènes et une diminution de la compétence immunitaire de l’hôte ». En d’autres termes, le réchauffement climatique et les activités humaines auraient des effets sur le système immunitaire de la grande nacre et favoriseraient la transmission de pathogènes, et donc la virulence de telles maladies.
Une autre étude publiée en février 2020 et réalisée sur des juvéniles en captivité révèle que l’alimentation jouerait également un rôle sur la résistance de la grande nacre aux pathogènes. La qualité nutritionnelle serait en effet un facteur important de la résistance aux maladies.
Efforts de conservation
La grande nacre de Méditerranée est considérée depuis longtemps comme une espèce menacée, et donc qui nécessite une protection. C’est pourquoi elle est par exemple classée comme « espèce d’intérêt communautaire » dans la Directive Européenne des Habitats (92/43 /CEE) et comme « espèce en voie de disparition » par le Protocole sur les Aires Spécialement Protégées et la Diversité Biologique en Méditerranée de la Convention de Barcelone (annexe II). En France, sa pêche est strictement interdite depuis 1992. Toutefois, les récentes vagues de mortalité qui touchent l’espèce depuis quatre ans poussent les spécialistes à exiger des mesures urgentes supplémentaires.
Mieux connaître pour mieux protéger
Les mesures prises jusqu’à présent servent surtout à endiguer la pêche, mais comme évoqué précédemment, ce sont aujourd’hui les maladies infectieuses qui menacent le plus la grande nacre. Pour l’aider à mieux s’en prémunir, les scientifiques doivent d’abord déterminer quels sont les facteurs qui causent la propagation de ces maladies et, inversement, quels sont ceux qui aident le mollusque à s’en défendre. Pour cela, de nombreuses études doivent être encore menées.
L’UICN a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme en janvier 2020, rappelant l’urgence d’agir « en raison de la réduction drastique de la taille de la population causée par l’événement de mortalité de masse toujours en cours et du fait que l’agent pathogène responsable est toujours présent dans l’environnement ».
Cartographie des individus encore en vie
En plus d’études menées sur le terrain pour mieux connaître Pinna nobilis, il est également nécessaire de déterminer les endroits où l’espèce est encore présente et où des individus ont survécu. Il est ainsi demandé aux plongeurs, amateurs ou professionnels, d’indiquer aux autorités compétentes la localisation de toutes grandes nacres observées lors de leurs expéditions.
Aux Baléares, région fortement touchée par la disparition de l’espèce, plusieurs plongées sont organisées pour tenter de trouver des individus résistants au parasite mortel et essayer de repeupler la zone. Pour l’instant, seuls 7 ou 8 individus ont été identifiés comme étant toujours vivants. L’Association minorquine pour la défense des pêches sous-marines (Amesub) appelle les plongeurs à bien évidemment ne pas prélever ni toucher les grandes nacres qu’ils pourraient apercevoir, mais de noter leur localisation et les signaler pour aider à sa conservation.
En France, les plongeurs peuvent se tourner vers l’institut océanographique Paul Ricard pour signaler la présence de tout individu dans telle zone. Celui-ci participe actuellement à un programme conjoint entre plusieurs pays du pourtour méditerranéen et baptisé « Pinna Spot ». Il porte notamment sur le recensement et la génétique des populations des côtes espagnoles, de l’archipel des Embiez, de la Réserve marine de Monaco et des Bouches de Kotor, au Monténégro et leurs conditions de vie.
Elever et réintroduire
Pour lutter contre l’extinction de la grande nacre, l’une des pistes privilégiées est la mise en place d’un programme d’élevage en captivité – impliquant la capture des naissains (ou larves métamorphosées) – suivi de la réintroduction des juvéniles. Pour que cela fonctionne, au-delà des conditions bien particulières de la reproduction en captivité, il faut trouver des sites naturels de réintroduction viables. C’est-à-dire qui répondent aux besoins de l’animal.
Parmi les différents sites étudiés, il semblerait que trois d’entre eux réunissent des critères satisfaisants pour une réintroduction de jeunes grandes nacres : il s’agit de Port-Cros – qui bénéficie d’une vaste aire marine protégée dans le cadre du parc national –, et des îles espagnoles de Cabrera et Tabarca, dont les territoires marins sont également protégés.
« Cependant, le manque d’individus résistants et la présence possible à long terme de maladies pourraient rendre ces zones indisponibles pour la réintroduction de Pinna nobilis, souligne une étude de janvier 2020. Cela laisse les lagunes et les estuaires comme le seul espoir pour la survie à court terme des individus dans des conditions naturelles et pour la réintroduction des juvéniles. »
La partie n’est pour autant pas encore gagnée. Car les lagunes et estuaires sont davantage soumis aux activités humaines. Si les populations de grandes nacres y sont plus confinées et donc plus à l’abri des maladies, elles sont aussi davantage exposées à d’autres types de menaces, comme la navigation maritime intense – avec l’ancrage qui peut briser les coquilles des grandes nacres – ou la pollution de l’eau.
A noter que huit grandes nacres vivantes ont été découvertes en novembre 2020 en coeur de parc national de Port-Cros. Ces individus âgés de 1 à 2 ans se trouvaient au milieu d’une quarantaine de coquillages morts, sur un secteur d’environ 500 m². « Cette découverte nous autorise à penser que ce site est propice à l’installation des grandes nacres avec des courants fréquents favorables à l’alimentation de l’espèce. Un suivi va être mis en place afin d’observer la survie et la croissance de ces individus, en espérant que l’espèce se multiplie sur le site », explique le parc national.
Reproduction
La grande nacre de Méditerranée est une espèce hermaphrodite successive, qui peut devenir soit mâle soit femelle d’une saison à l’autre. En général, la période de reproduction s’étend d’avril à septembre, avec une activité plus soutenue entre les mois de mai et d’août. A ce moment-là, les gamètes mâles et femelles sont libérés dans l’eau, où se produit la fécondation des ovocytes.
Les oeufs se transforment ensuite en larves, qui évoluent étape par étape. Jusqu’à récemment, on pensait que les larves se développaient pendant une dizaine de jours, mais il semblerait que le stade larvaire s’étende en réalité jusqu’à un mois.
Pour atteindre son imposante taille, la grande nacre met peu de temps. En tout cas, elle présente le taux de croissance le plus rapide de tous les bivalves. Toutefois, il existe des différences selon plusieurs paramètres. La croissance de Pinna nobilis dépend par exemple de la profondeur, de la température et de la salinité de l’eau, de la disponibilité alimentaire ou encore de l’hydrodynamisme, c’est-à-dire des courants marins et autres mouvements auxquels la grande nacre est exposée.
L’espérance de vie de la grande nacre de Méditerranée dépend également de différents facteurs et pourrait dépasser les 45 ans.
2 Réponses to “La grande nacre de Méditerranée”
18.06.2021
YvesJ’habite à coté de l’étang d’Ingril , (jouxtant l’étang de Thau, bien connu des plongeurs « bios »). Il était empli de grandes nacres…. qui semblent toutes mortes aujourd’hui…. Il ne reste plus que les coquilles vides comme des spequelttes verticaux…. Quel malheur!!!! Je cherche désespérément des survivants…. Qui sait?!?!
10.03.2020
GobberJe vis à hyeres et depuis quelques années je suivais la croissance de ces « grosses moules » comme j’aimaiswle dire mais fin été 2019 j’ai découvert un cimetière de nacre à mon plus grand désespoir ! Je suis bien triste car je ne verrai plus les pinna nobilis
Nathalie