Si son nom peut prêter à sourire, sa situation en revanche est dramatique. La grenouille arlequin variable (Atelopus varius) est en effet « en danger critique » (CR). Décimée par une maladie mortelle qui a causé l’extinction de plusieurs espèces de batraciens, sa population a chuté de plus de 90 % au cours des dernières décennies. Mais depuis peu, cette grenouille montre des signes de résistance.
Description de la grenouille arlequin variable
Le genre Atelopus regroupe 96 espèces, toutes vivant en Amérique centrale et en Amérique du Sud et portant le nom de « grenouilles arlequins ». Atelopus varius compte elle-même cinq sous-espèces :
- A. v. ambulatorius ;
- A. v. bibroni ;
- A. v. loomisi ;
- A. v. maculatus ;
- A. v. varius.
Pendant longtemps, on a cru qu’Atelopus zeteki était elle aussi une sous-espèce d’Atelopus varius (Atelopus varius zeteki), mais des travaux datant de la fin des années 2000 ont prouvé qu’il s’agissait plutôt de deux espèces distinctes.
Caractéristiques physiques
Bien qu’elle porte communément le nom de « grenouille », la grenouille arlequin variable appartient en fait à la famille des Bufonidae, comme la majorité des autres espèces de crapauds dans le monde. Toutefois, son physique se distingue fortement des crapauds du genre Bufo, bien connus pour leurs corps trapus et recouverts de verrues.
Atelopus varius est plutôt fine et petite. Son gabarit n’impressionne en effet pas beaucoup : les adultes mesurent entre 2,4 et 6 cm et pèsent quelques grammes. Il existe un dimorphisme sexuel évident puisque les mâles sont généralement plus petits que les femelles. Une différence flagrante au moment de la reproduction.
Cette grenouille ne porte pas le nom d’arlequin pour rien. En effet, Arlequin est un personnage haut en couleur de la commedia dell’arte (théâtre italien). On le reconnaît facilement à son costume toujours bariolé, aux couleurs très vives et aux multiples facettes, souvent incarnées par des losanges de couleurs diverses.
Chez la petite grenouille Atelopus varius, c’est pareil : il existe un grand nombre de couleurs possibles chez cette espèce, y compris au sein d’une même population. La plupart des individus sont noirs avec des teintes orange ou jaunes qui parsèment tout le corps de l’animal comme une mosaïque aux formes arrondies. Mais certains arborent également des nuances de vert et de rouge.
Alimentation
La grenouille arlequin variable se nourrit principalement d’insectes de types mouches et moucherons. Elle mange également de petits arthropodes. Ses proies, elle les débusque directement dans son milieu, au niveau du sol de la forêt, près des cours d’eau forestiers.
Toxicité
Si la grenouille arlequin arbore de si belles couleurs, ce n’est pas pour ravir les yeux de ses admirateurs. Il s’agirait plutôt d’un signal visuel envoyé à ses éventuels prédateurs pour les informer de sa toxicité.
Cette technique dissuasive s’appelle de l’aposématisme. Elle est employée par de nombreux animaux, dont des batraciens. C’est le cas par exemple des dendrobates.
Atelopus varius est elle aussi toxique. Sa peau sécrète en effet des sécrétions qui repoussent bon nombre d’assaillants potentiels. Le seul prédateur qu’on lui connaît est une mouche de l’espèce Notochaeta bufonivora, qui tue la grenouille arlequin en la parasitant. Elle dépose ses larves dans la cuisse de la grenouille et ces dernières se nourrissent jusqu’à tuer l’animal en quelques jours.
Habitat de cette grenouille menacée
Historiquement, la grenouille arlequin variable vit au Costa Rica et au Panama, aussi bien côté océan Atlantique, à l’Est, qu’océan Pacifique, à l’Ouest. Autrefois espèce plutôt commune dans ces pays, Atelopus varius n’est désormais représentée que par de petites populations d’individus.
Au Panama, on ne la trouve plus que dans quelques montages de l’Ouest du pays. Pendant un temps, on a aussi cru qu’elle avait complètement disparu du Costa Rica, mais des individus ont finalement été découverts dans les années 2000 (voir plus bas), attestant de la présence de l’espèce dans ce pays encore aujourd’hui.
Cet amphibien vit principalement dans les forêts tropicales sèches et humides, jusqu’à 2000 mètres d’altitude. Il se trouve dans les couches les plus proches du sol où il déniche de quoi se nourrir.
Le plus souvent, il s’établit près de cours d’eau car c’est là qu’il se reproduit et que sa progéniture se développera tout au long du stade larvaire. La nuit, il se réfugie dans de petites cavités entre les racines des arbres ou se cache dans la végétation qui borde les cours d’eau. Animal diurne, il se montre plus actif pendant la journée.
Menaces
Il n’y a encore pas si longtemps, la grenouille arlequin variable était une espèce commune au Costa Rica et au Panama. Mais en l’espace de 20 ans seulement, ses populations se sont effondrées. Au point qu’on a pensé l’espèce éteinte à l’état sauvage au Costa Rica en 1996. Jusqu’à ce que des individus ne soient découverts en 2008 dans la zone protégée Las Tablas, dans les montagnes de Talamanca au sud du pays, redonnant espoir pour l’avenir de cet amphibien. Pour autant, Atelopus varius n’est pas sortie d’affaire et reste gravement menacée. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) la classe dans la catégorie « en danger critique » d’extinction (CR). Dernière étape avant sa disparition.
La chytridiomycosis
Un grand nombre de menaces pèsent sur la grenouille arlequin variable. Mais depuis les années 1990, il y en a une qui prédomine : une maladie mortelle et contagieuse, la chytridiomycosis, causée par un champignon aquatique qui s’appelle Batrachochytrium dendrobatidis (Bd). Découverte en 1998, cette maladie affecte de nombreuses espèces de batraciens, de l’Australie à l’Amérique du Sud, comme la grenouille lémur arboricole.
Les grenouilles arlequins sont particulièrement touchées. D’ailleurs, la majorité des espèces du genre Atelopus sont gravement menacées. Rien qu’au Costa Rica où vit la grenouille arlequin variable, les trois autres espèces du genre Atelopus sont « en danger critique » (CR) et beaucoup de leurs populations ont complètement disparu ces dernières années.
La population qui vit dans les montagnes de Talamanca, au Costa Rica, est elle aussi touchée. La maladie se propage en effet parmi ces individus, bien qu’il semblerait que certains endroits soient plus propices à la contamination que d’autres.
Efforts de conservation
Face au déclin rapide de cette espèce, des mesures urgentes sont nécessaires si on veut éviter sa disparition dans la nature. Les efforts doivent se concentrer sur une meilleure connaissance de cet amphibien mais aussi de la maladie qui le frappe mortellement.
Suivis de terrain et études
L’une des pistes pour empêcher l’extinction d’Atelopus varius, c’est en effet de réussir à éradiquer la maladie qui la décime. Pour cela, il est impératif de connaître et de localiser les populations restantes au Panama et au Costa Rica, d’assurer leur suivi et d’en savoir plus sur cet agent pathogène.
Des scientifiques sont déjà à l’œuvre et leurs travaux ont par exemple permis d’apprendre que depuis peu, la grenouille arlequin variable semble enfin montrer de signes de résistance immunitaire face à la chytridiomycosis. Une étude publiée en mars 2018 dans la revue Science et réalisée auprès de plusieurs populations de batraciens touchés par cette maladie révèle en effet une réponse immunitaire porteuse d’espoirs chez plusieurs d’entre elles, dont Atelopus varius.
Au-delà des connaissances sur cette maladie, ces études terrain doivent aussi aider la communauté scientifique à mieux identifier les besoins de cette grenouille et ainsi orienter de façon plus efficace les mesures de conservation à mettre en œuvre. C’est ce que souhaitent par exemple faire une équipe de chercheurs, emmenée par Jan Schipper de l’Université d’Arizona et avec l’aide du zoo de Phoenix, au Costa Rica.
Programmes d’élevage en captivité
Le rapide déclin d’Atelopus varius et la baisse drastique du nombre d’individus matures capables de se reproduire encouragent une prise de décision rapide si on veut empêcher son extinction. C’est la raison pour laquelle de nombreux scientifiques militent pour la mise en œuvre de programmes de reproduction ex situ, en captivité, en vue de réintroductions dans le milieu naturel.
Au Panama, un premier programme de ce type a vu le jour en 2001 avec le départ pour des zoos américains de plusieurs spécimens de grenouilles arlequins variables. Ce programme d’urgence avait pour but d’endiguer la disparition de l’espèce, décimée par le champignon Bd, en attendant que des infrastructures dédiées à sa conservation voient le jour sur place, au Panama.
Des premiers relâchés ont eu lieu au Panama en janvier 2018. Environ 500 grenouilles arlequins variables ont en effet été libérées dans la province de Colon. Parmi elles, une trentaine ont été équipées d’émetteurs radio pour permettre aux chercheurs de les suivre et ainsi surveiller le succès de cette opération réintroduction.
« Il nous a fallu plusieurs années pour apprendre à élever avec succès ces grenouilles en captivité. Alors que le nombre d’individus que nous avons ne cesse d’augmenter, cela offre de nouvelles opportunités de recherche pour comprendre les facteurs influençant la survie qui in fine éclaireront les stratégies de réintroduction à long terme », déclare Roberto Ibañez, directeur du programme PARC (projet de sauvetage et de conservation des amphibiens).
Premières naissances hors Panama
Les programmes d’élevage en captivité ont déjà permis de sauver de l’extinction de nombreuses espèces menacées. Ils sont immensément porteurs d’espoir, mais jusqu’à récemment, ils se cantonnaient au Panama en ce qui concerne la grenouille arlequin variable.
Heureuse nouvelle : début mars, l’Université de Manchester en Angleterre a annoncé avoir réussi à reproduire l’espèce ! C’est la première fois qu’une institution en dehors du Panama parvient à cet exploit. Et pour cause, c’est aussi la seule à héberger l’espèce hors Amérique centrale.
Pour cela, des scientifiques de Manchester ont travaillé d’arrache-pied pendant 3 ans. Ils se sont rendus au Panama dans le but de relever toutes les informations nécessaires pouvant influencer la reproduction d’Atelopus varius (température, niveau et débit de l’eau où sont pondus les oeufs, nourriture des têtards, etc.).
Reproduction d’Atelopus varius
La saison des amours a lieu d’octobre à décembre. Mais à l’inverse des autres espèces de grenouilles arlequins, les mâles Atelopus varius ne poussent pas des vocalises pour appeler les femelles à la reproduction. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui avaient fait penser que l’espèce pouvait être différente d’Atelopus zeteki, qu’on a pris pour une sous-espèce de la grenouille arlequin variable pendant un temps. Ils donnent toutefois de la voix pour marquer leurs territoires, notamment au début de la saison des pluies.
Pour s’accoupler, le mâle grimpe sur le dos de la femelle et l’encercle à l’aide de ses cuisses. Cette technique de copulation s’appelle l’amplexus et est commune à tous les anoures, à savoir les amphibiens sans queue (grenouilles, crapauds et rainettes). Contrairement à ce que cette position laisse penser, il n’y a pas d’acte de pénétration. Le mâle dépose simplement sa semence sur les œufs que la femelle expulse, stimulée par l’amplexus.
Une fois fécondés, les 30 à 75 œufs sont ensuite placés par la femelle en eau peu profonde. Là, ils incubent pendant une durée de 36 heures environ avant éclosion. Les têtards qui en sortent ont une forme plutôt aplatie, qui se transformera progressivement jusqu’à donner de petites grenouilles.
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