Des 15 espèces de grues que compte la planète, 11 sont en voie d’extinction d’après l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Parmi elles, la grue de Sibérie (Leucogeranus leucogeranus) est la plus menacée avec une population mondiale estimée entre 3 500 et 4 000 oiseaux. C’est pourtant bien supérieur au nombre restant de grues blanches (Grus americana) dont on estime la population mondiale à moins de 850 individus sur leur aire de répartition en Amérique du Nord et en captivité. Pourtant, la grue blanche est considérée comme moins menacée que la grue de Sibérie. Pourquoi ? Tout simplement parce que sa population tend à augmenter tandis que celle de Leucogeranus leucogeranus est en déclin.
Présentation
Classée en danger critique d’extinction depuis 2000, la grue de Sibérie est répartie en trois populations dont deux sont presque éteintes. En effet, si la population orientale est encore relativement importante, celle de l’ouest et du centre de la Russie étaient malheureusement estimées à moins de 20 spécimens en 2013.
Apparence physique
La grue de Sibérie n’est pas la plus grande des grues mais mesure tout de même 140 cm de haut pour un poids de 6 kg environ. Comme plusieurs autres grues, son plumage est entièrement blanc à la différence que ses rémiges primaires, les plumes situées au bout des ailes, sont noires. Une singularité visible particulièrement en vol. Au sol, on reconnait la grue de Sibérie principalement grâce à son masque de couleur rouge brique ou rouge brun qui s’étend de son bec jusqu’à englober ses yeux, de couleur jaune pâle. Ses longues pattes sont, elles, teintées d’une couleur rose-rouge foncée. Mâles et femelles ont le même plumage, rien ne permet donc de les différencier à l’œil nu si ce n’est que ces messieurs sont souvent plus grands que ces dames.
Régime alimentaire
Toutes les espèces de grues sont omnivores, la grue de Sibérie ne fait pas exception. Son régime alimentaire est varié et large et l’espèce est connue pour s’adapter aux saisons. Durant l’été, qui est sa saison de reproduction, la grue mange de nombreuses racines, de pousses de carex – une plante feuillue qui se plait particulièrement dans les zones humides – mais également des baies et, surtout, elle chasse des insectes, petits rongeurs et bien sûr du poisson. En dehors de sa période de reproduction, la grue de Sibérie est essentiellement végétarienne et se nourrit de plantes aquatiques et de racines qu’elle fouille grâce à son long bec.
Localisation
Leucogeranus leucogeranus est une espèce migratrice. Deux fois par an, au printemps et en automne, ces oiseaux entreprennent un voyage en couple ou en petits groupes de 10 individus maximum, et parcourent parfois jusqu’à 5 000 km. En septembre, la grue descend de sa Sibérie natale en direction du sud.
La population orientale, la principale aujourd’hui, passe l’hiver autour du lac Poyang, le plus grand lac d’eau douce de Chine et de l’un de ses voisins le Yangtsé, le plus long fleuve chinois, où se trouvent peut-être les derniers dauphins de Chine. En revanche au printemps, les oiseaux remontent en Yakoutie pour passer l’été, période durant laquelle l’espèce niche. Cette république autonome au sein de la Russie, d’une superficie de cinq fois la France, est connue pour être la zone habitée la plus froide de l’hémisphère nord. Les juvéniles qui ne sont pas en âge de se reproduire passent l’été plus au sud, à la frontière entre la Russie, la Mongolie et la Chine. Durant leurs migrations de deux mois environ, les oiseaux font plusieurs haltes, de zones humides en rivières pour s’alimenter.
Les quelques oiseaux restants de la population d’ouest se reproduisent au sud du fleuve Ob en Russie mais passent l’hiver près de la mer Caspienne, en Iran. Quant à la population de grue de Sibérie centrale, elle hiverne en Inde où toutefois aucun individu n’a malheureusement été vu depuis une quinzaine d’années.
Des grues de Sibérie ont déjà été aperçus en hiver au Pakistan et à Taiwan mais il semblerait qu’au cours de leurs migrations ils aient également traversé le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.
Habitat
Du haut de ses longues pattes, la grue de Sibérie est l’espèce la plus aquatique de la famille des Gruidés. Elle ne s’écarte que rarement des zones humides et plus particulièrement des marais d’eau douce peu profonds.
Menace
La grue de Sibérie voit sa population décliner chaque année à cause d’une combinaison de plusieurs facteurs.
La disparition des zones humides
Comme trop souvent, la disparition de son habitat est la première cause qui menace l’espèce. D’après le site dédié zones-humides.org,« au cours du siècle dernier, plus de la moitié des zones humides en Europe et dans le monde a disparu. » Le changement climatique bien sûr mais aussi et surtout le détournement des cours d’eau pour l’agriculture en sont les principales raisons. En Chine, la construction du barrage des Trois gorges entre 2006 et 2009 sur le fleuve Yangtsé a permis de générer une production énorme d’hydroélectricité mais a également eu un coût environnemental sans précédent. L’accumulation d’une trop grande quantité d’eau dans son réservoir a provoqué un risque et une fréquence accrus de glissements de terrain et de tremblements de terre. A cause du barrage, l’eau en amont est moins drainée ce qui change son écosystème : plus d’algues, plus de pollution, plus de sédiments. En aval au contraire, le niveau d’eau a logiquement baissé ce qui a eu des répercutions à la fois sur les oiseaux qui hivernent à proximité mais également sur ceux qui passent l’hiver au lac Poyang car ce lac est alimenté entre autres par le fleuve Yangzi Jiang, alimenté lui-même par le Yangtsé. C’est ce qu’on appelle l’effet domino. Mais la construction du plus grand barrage du monde n’est pas seule en cause : en 2001, plus de 9 600 barrages avaient été construits sur les cinq rivières alimentant le lac Poyang !
Ces constructions additionnées au réchauffement climatique ont bien failli faire disparaître le plus grand lac d’eau douce de Chine ! Le phénomène a débuté en 2003 : une sécheresse sans précédent touche la province de Jiangxi et le niveau d’eau du lac diminue drastiquement passant d’une surface de 3 500 km² à seulement 200 km². La situation ne s’est guère améliorée depuis, mettant en péril la majeure partie de la population de grues de Sibérie qui passent plusieurs mois de l’année aux abords du lac Poyang et qui s’alimentent grâce à sa végétation environnante.
En Russie, ce sont les zones humides qui abritent les sites de nidification qui sont touchées mais pas par le même mal. En effet, la Sibérie est le théâtre de nombreux changements depuis la découverte de son exceptionnelle richesse en gaz et en pétrole. La partie occidentale est notamment bouleversée par l’extraction d’hydrocarbures et de matières premières comme le nickel et le palladium. Cette forte présence humaine et son impact sur l’écosystème est sans doute à l’origine de la disparition de la population de grues de Sibérie de l’Ouest.
La chasse et la capture
Autre menace qui pèse sur ces oiseaux, c’est la chasse ou le piégeage illégal. Les cas avérés de braconnage sur les grues de Sibérie ont principalement été signalés lors des migrations, dans les pays que les oiseaux traversent. En Asie, la grue est un animal hautement symbolique et notamment au Japon où l’on raconte que le pliage de 1000 grues en origami permettrait d’exaucer tous vos vœux. En Chine, l’oiseau est symbole de longévité et serait la monture des immortels. Animaux mythiques et rares, des grues sont ainsi régulièrement capturées pour être domestiquées.
Efforts de conservation
Légalement, Leucogeranus Leucogeranus est protégée par les lois de la CITES et de la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage. Sa capture et sa vente sont interdites.
L’élevage en captivité
La protection des grues de Sibérie n’est pas prise à la légère, même Vladimir Poutine a contribué à populariser l’espèce en participant en 2012 à un vol en deltaplane visant à apprendre aux oiseaux nés en captivité à voler ! Ce projet, appelé « Flight of Hope », reproduit les méthodologies qui ont permis de renforcer les populations de grues blanches en Amérique du Nord. Au-delà du coup médiatique, Leucogeranus Leucogeranus est considéré dans le pays comme un oiseau de premier plan. Sa reproduction en captivité et sa réintroduction, notamment au sein de la population occidentale presque disparue, est en cours depuis plusieurs années. Au moins trois sites d’élevage en captivité ont ainsi été mis en place et plusieurs oiseaux ont déjà été libérés : de 1991 à 2010, 139 oiseaux élevés en captivité ont été relâchés sur des aires de reproduction et six autres oiseaux ont été relâchés dans le delta de la Volga en 2012.
Le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE)
Le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) a mené entre 2003 et 2009 un plan international dont le but était de sauvegarder les zones humides vitales à la grue de Sibérie. En 2010, Claire Mirande, responsable du PNUE, se félicitait des conséquences de ce programme qui a permis « d’assurer la conservation et la réhabilitation de 16 zones humides, d’environ 7 millions d’hectares, sur les deux principales routes de migration. »
Pour sauver l’espèce, il faut donc non seulement protéger les sites de nidification mais aussi ceux de migration et d’hivernage. A ce propos, l’ONU a salué en 2010 « l’excellente coopération entre la Chine, la Russie et l’Iran » qui a permis d’éviter l’extinction de l’espèce. Et il est vrai que de nombreuses zones humides fréquentées par les grues ont été classées protégées ou réserves naturelles afin d’assurer la tranquillité des oiseaux.
Fondation internationale pour les grues
Pour veiller à sa conservation, la grue de Sibérie peut aussi compter sur la Fondation internationale pour les grues qui développe des projets pilotes en Chine et en Russie et mène de nombreuses activités de sensibilisation auprès des communautés locales. Depuis 2002, elle a créé en Sibérie et au Kazakhstan la « fête de la grue », célébrée sous forme de festival. En Iran, des timbres à l’effigie de Leucogeranus Leucogeranus ont même été publiés en 2008 afin de sensibiliser le public à la protection de l’espèce et des zones humides.
Depuis quelques années, l’association surveille également le niveau d’eau et de poissons du lac Poyang, et collabore avec les autorités pour tenter de trouver des sites d’hivernage alternatifs. C’est dans ce but que certains oiseaux ont été bagués et équipés d’émetteurs satellites.
Reproduction
La saison de nidification des grues de Sibérie se déroule de la fin du printemps jusqu’à septembre. Les oiseaux terminent leur migration fin mai en arrivant sur les lieux où ils se reproduiront. Les grues sont des oiseaux très fidèles. S’ils ne sont matures sexuellement qu’à partir de 7 ans, ils se mettent en couple dès l’âge de 3 ans. Pour nidifier, ils se répartissent par couple sur le territoire, qui est souvent dans la taïga – ces forêts de conifères des régions polaires – et n’acceptent aucun voisin de la même espèce dans les trois kilomètres à la ronde.
Les grues sont célèbres pour leurs parades amoureuses majestueuses et la grue de Sibérie ne fait pas exception. La parade nuptiale débute par des chants à l’unisson puis le couple se met à danser, la tête levée vers le ciel l’un face à l’autre. La danse consiste en des battements d’ailes, des sauts, des courbettes et se déroule la plupart du temps dans l’eau.
Le nid est construit au-dessus d’une zone humide peu profonde comme des marais et se constitue d’herbes et de carex. Un ou deux œufs maximum sont pondus par la femelle, en général au mois de juin. Mâle et femelle couveront à tour de rôle pendant une durée de quatre semaines au bout desquelles le ou les petits naissent. Il faudra compter encore 70 à 75 jours pour qu’ils puissent voler. Les juvéniles sont reconnaissables à leur plumage très différent des adultes. Le masque sur le visage est recouvert de plumes et le reste de leurs corps présente un plumage marron clair, couleur chamois. Par ailleurs, les juvéniles sont très agressifs entre eux, même au sein d’une fratrie, et il n’est pas rare qu’un petit tue son le second oisillon du nid.
Le détail amusant
Si la grue de manière générale est symbole de fidélité et de longévité, c’est la grue de Sibérie qui détient le record de vieillesse ! En effet, une grue nommée Wolf est morte à l’âge de 83 ans. Elle a gagné sa place dans le livre Guinness des records mondiaux.
par Cécile Arnoud
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