Plutôt commun dans les îles du Pacifique et de l’océan Indien, le Pisonia grandis est un arbre assez banal, de prime abord. Mais comme le mancenillier ou le figuier étrangleur, sa réputation est sulfureuse : on l’appelle « l’attrapeur d’oiseaux » ou « le tueur d’oiseaux »… A juste titre.
Se reproduire à tout prix
C’est « l’histoire de la vie, le cycle éternel », comme nous le rappelle Disney : dans la nature, il faut se reproduire pour transmettre son patrimoine génétique et donner vie à une nouvelle génération d’individus de son espèce.
Dans le règne animal, il existe toutes sortes de tactiques pour parvenir à ses fins et s’accoupler : combats violents entre mâles, parades nuptiales à n’en plus finir, émissions de marqueurs olfactifs à des endroits stratégiques… Et dans le monde du végétal, aussi, différentes méthodes existent.
C’est justement l’une d’elles qui cause la mort… des oiseaux marins qui s’approchent d’un peu trop près de certains arbres du genre Pisonia, dont Pisonia grandis, ou Pu’atea en tahitien.
Cet arbre grandis produit en effet des graines qui devront être disséminées à droite à et gauche pour se planter dans le sol, et espérer voir pousser à cet endroit un nouvel arbre.
Pour se disperser non loin du point d’origine, l’arbre qui produit des graines peut compter sur le vent. Mais pour se propager sur de plus longues distances, et traverser notamment les mers jusqu’aux îles voisines, Pisonia grandis a trouvé des alliés de poids : les oiseaux marins.
Mais à la différence d’autres plantes qui produisent des fruits mangés par les oiseaux pour voir leurs graines ensuite disséminées via leurs fientes, Pisonia grandis emploie une autre technique. Ses graines produisent en effet une substance extrêmement collante et de petits crochets qui s’accrochent aux oiseaux et insectes lorsqu’ils approchent.
Problème : ces graines sont tellement collantes, que si un trop grand nombre s’accrochent au plumage d’un oiseau, celui-ci peut se retrouver coincé au sol, incapable de voler sous le poids de ces passagers clandestins. Ainsi piégés, les oiseaux sont à la merci des prédateurs ou dépérissent sur place au bout de plusieurs jours, faute d’avoir pu se nourrir.
Résultat, les carcasses d’oiseaux morts s’entassent au pied de cet arbre, quand elles n’habillent pas ses branches à la façon « arbre de Noël macabre ». De quoi forger une terrible réputation au Pisonia grandis…
Des morts qui nuisent à l’arbre lui-même
Contrairement à ce qu’on peut lire parfois à son sujet, Pisonia grandis ne tire aucun avantage de ces morts d’oiseaux, et l’enchevêtrement mortel causé par ses graines n’est absolument pas intentionnel ou nécessaire dans le cadre d’un éventuel processus naturel visant à favoriser sa reproduction.
En effet, dans une étude parue en 2004 dans le Journal of Tropical Ecology, le scientifique Alan E. Burger s’est intéressé à la germination des graines de cet arbre en fonction du mode de dispersion. Et ses conclusions sont formelles : la dispersion entre les îles se fait grâce aux oiseaux marins vivants, mais pas sur des carcasses d’oiseaux flottants.
En effet, passés cinq jours dans l’eau de mer, les graines meurent et ne pourront donc pas germer. En revanche, elles survivent à quelques trempages dans l’eau, de temps en temps, lorsque l’oiseau vivant fait quelques haltes pour se reposer ou se nourrir.
De plus, la germination ne se retrouve pas améliorée par l’enrichissement dont aurait pu bénéficier le sol après la décomposition de l’oiseau mort sur place. « Pisonia ne bénéficie donc pas des enchevêtrements mortels », souligne le scientifique.
Au contraire : Pisonia grandis a tout intérêt à garder les oiseaux qui transportent ses graines vivants, pour qu’ils emportent ce précieux patrimoine génétique le plus loin possible et ainsi étendre l’aire d’occurrence de l’espèce. Pour Alan E. Burger, cette évolution qui a rendu les graines du Pisonia encore plus collantes est donc une bizarrerie évolutive regrettable.
Une mortalité relative
Heureusement, le nombre d’oiseaux tués par ces enchevêtrements reste peu élevé. Cette mortalité a donc peu d’impact sur les grandes populations d’oiseaux marins qui nichent dans ces arbres ou au sol, sous leur feuillage. La preuve, bon nombre d’espèces nidifient dans cet arbre et s’en portent bien.
Et c’est tant mieux, car les oiseaux marins n’ont pas besoin de menaces supplémentaires. Une (trop) grande partie des 300 espèces d’oiseaux marins répertoriées sont aujourd’hui en voie de disparition.
La faute à différents facteurs, comme la surpêche qui les prive de nourriture ou cause leur mort lorsqu’ils s’approchent trop près des bateaux de pêche, le changement climatique, la détérioration des littoraux où ils nichent, la pollution plastique et marine, etc.
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