
Le manchot du Cap est un oiseau classé en danger d’extinction par l’UICN depuis 2010. Parfois appelé pingouin ou manchot africain à cause d’une traduction littérale de son nom anglophone, le manchot du Cap est l’une des quatre espèces du genre Spheniscus. Ses plus proches cousins sont donc :
- Le manchot des Galapagos : Spheniscus mendiculus ;
- Le manchot de Humboldt : Spheniscus humboldti, qui vit sur le continent américain ;
- Le manchot de Magellan : Spheniscus magellanicus qui réside comme son nom l’indique sur les îles équatoriennes.
Son déclin, particulièrement rapide, ne remonte qu’au XXème siècle mais est fulgurant.
Présentation
Description physique
Le manchot du Cap adulte mesure 50 à 71 cm de haut pour un poids oscillant entre 2,2 et 3,5 kg. Son dos, son bec et ses pattes sont uniformément noirs. Les plumes ventrales, quant à elles, sont d’un blanc jaunâtre encadré d’une bande noire. Elles sont par ailleurs parsemées de quelques taches noires qui peuvent permettre à un œil exercé de reconnaître un individu.
Il semblerait que ces couleurs soient efficaces pour échapper aux prédateurs lorsqu’il plonge : vue du dessous, le manchot du Cap ne laisse apparaître que sa face ventrale, très claire, et se confond ainsi avec la surface, alors que vu du dessus, il sera simplement noir et se confondra avec les eaux profondes, plus sombres.
Un oiseau qui ne peut pas voler
Les ailes du manchot du Cap mesurent environ 18,5 cm : elles sont bien trop courtes pour permettre à l’oiseau de voler. Spheniscus demersus les utilise en guise de nageoires et, grâce à elles, peut nager jusqu’à 20 km/h, soit environ trois fois plus vite que le plus rapide des humains. Cette vitesse lui permet de chasser sardines et anchois, ses plats préférés, ainsi que de petits crustacés ou des céphalopodes. Très endurant, il est également capable de nager sans interruption sur 30 à 70 km.
Le rôle primordial du plumage
Lorsqu’il plonge, ses plumes emprisonnent une fine couche d’air près du corps, ce qui lui permet de conserver autant de chaleur corporelle que possible et d’évoluer dans des eaux froides.
Pour conserver cette propriété, le manchot doit lisser son plumage quotidiennement. En faisant sa toilette, il répand sur ses plumes une huile sécrétée par une glande positionnée à la base de la queue. D’autres mammifères marins emploient la même technique pour imperméabiliser leur fourrure, c’est notamment le cas de la loutre de mer. C’est pourquoi on voit souvent ces deux animaux à terre faire leur toilette consciencieusement.

Les manchots vivent en colonie.
Enfin, malgré cet entretien de premier ordre, les manchots du Cap muent chaque année durant une vingtaine de jours entre novembre et janvier en Afrique du Sud et entre avril et mai en Namibie. Pendant cette période, les oiseaux restent bien sûr sur la terre ferme et ne peuvent pas chasser. Ils jeûnent donc durant toute la période de mue.
Localisation et habitat
Aire de répartition
Le manchot du Cap est un oiseau semi-aquatique endémique d’Afrique du Sud et de Namibie. Un peu moins d’une trentaine de colonies sont officiellement connues et presque toutes sont insulaires : seules quatre d’entre elles (deux en Afrique du Sud et deux en Namibie) sont continentales.
D’après un recensement remontant à 2015, entre 5 700 et 5 800 couples reproducteurs vivaient en Namibie (dont plus de 2 500 sur l’Ile de Mercury) et 19 300 nichaient en Afrique du Sud où 87 % de la population se répartit en huit colonies seulement. La population mondiale (couples reproducteurs, adultes célibataires et juvéniles) est estimée à environ 80 000 individus. Cela peut paraître important et pourtant ces chiffres sont en baisse : en Namibie, les manchots du Cap étaient deux fois plus nombreux il y a 40 ans et en Afrique du Sud le déclin est encore plus important puisque le nombre de manchots a été divisé par trois sur la même durée.
Habitat
Comme de nombreux oiseaux semi-aquatiques, les manchots du Cap vivent le long des côtes où ils peuvent à la fois se nourrir en mer et se reposer et nicher à terre. Leur habitat de prédilection est donc la plage sablonneuse. Pour autant, il n’est pas si rare de retrouver quelques Spheniscus demersus plus loin dans les terres, parfois jusqu’à un kilomètre de la côte !
Menaces
Au cours du dernier siècle, Spheniscus demersus a connu une chute dramatique de ses effectifs. Alors que sa population s’établissait à environ 2 millions d’individus à la fin du XIXème siècle, elle n’était plus que de 500 000 oiseaux 100 ans plus tard et, en 2010, a finalement atteint 55 000 spécimens. L’espèce a ainsi perdu environ 97 % de ses effectifs historiques.
Chasse et exploitation commerciale
Au cours des derniers siècles, le manchot africain a été chassé par l’Homme pour de multiples raisons. A partir du XVIème siècle, les navigateurs sur la route des Indes se nourrissaient de sa viande. Sa graisse a ensuite été utilisée pour la fabrication d’huile utilisée pour l’éclairage ou comme fioul.
La récolte du guano
Plus récemment, dès le milieu du XIXème siècle, les populations locales ont commencé à récolter le guano, engrais issu des excréments d’oiseaux, pour fertiliser des sols peu productifs. Cette pratique a provoqué un déclin très rapide de Spheniscus demersus : les adultes reproducteurs utilisent en effet cette substance pour protéger leurs nids du soleil, des tempêtes et des prédateurs. Or, en 150 ans, 200 000 tonnes de guano auraient été récoltées en Afrique du Sud, obligeant les oiseaux à abandonner leurs nids, devenus vulnérables. Par conséquent, le taux de succès de la reproduction du manchot du Cap a considérablement diminué.
Le prélèvement des oeufs
Le phénomène a été accentué par la consommation d’oeufs de manchots du Cap, considérés comme un mets de luxe jusqu’au début du XXème siècle à travers le monde. Servis sur le Titanic ou même au Parlement sud-africain chaque mercredi midi durant des décennies, ils ont été récoltés par millions jusqu’au milieu des années 1950.
Ainsi, 48 % des oeufs de manchots du Cap auraient été récoltés entre 1920 et le milieu des années 1950. Le prélèvement des oeufs est maintenant illégal, mais est toujours constaté sur certains sites de l’aire de répartition du manchot africain.
Les marées noires
Si les marées noires sont relativement rares, leurs conséquences sont systématiquement dramatiques pour de nombreuses espèces. En juin 1994 par exemple, une marée noire de grande ampleur est provoquée par le naufrage du navire MV Apollo Sea. Ce bateau chinois avait quitté le port 4 heures avant son naufrage et ses réservoirs étaient remplis de fuel : il en contenait près de 2 400 tonnes.
Malgré les tentatives de protection des autorités, les plages de la ville du Cap sont finalement recouvertes de pétrole. Sur l’île de Dassen, la colonie est frappée de plein fouet : sur les 10 000 manchots du Cap recueillis, la moitié seulement survit.
Une autre catastrophe écologique a eu lieu en 2000. Le 23 juin, le MV Treasure coule à une dizaine de kilomètres des côtes de l’Afrique du Sud et laisse s’échapper environ 400 tonnes d’hydrocarbures dans l’océan. La nappe d’huile menace alors de nombreux oiseaux côtiers et notamment le manchot du Cap dont plus de 38 000 animaux sont mazoutés. L’incident a lieu en pleine période de reproduction et les colonies des îles de Robben et de Dassen sont directement menacées. Un dixième des quelques 180 000 manchots du Cap vivent sur l’île de Robben. IFAW lance alors la plus importante opération de sauvetage pour oiseaux mazoutés jamais réalisée jusque-là.
Malgré ces efforts, au total durant ces deux marées noires, environ 30 000 manchots ont succombé.
La surpêche et le réchauffement climatique
Aujourd’hui, le manchot du Cap est menacé par de nouvelles activités anthropiques. La surpêche provoque une véritable diminution du nombre de proies dont se nourrissent les manchots à savoir principalement les sardines et anchois. En Namibie, où la surpêche a entraîné la disparition des proies préférées des manchots, les animaux jettent désormais leur dévolu sur un autre poisson, le gobie barbu, un poisson très résistant mais beaucoup moins nourrissant. Le manque de proies influe également sur la reproduction des oiseaux et sur la survie des juvéniles.
L’impact du changement climatique sur le déclin des manchots africains a été mis en lumière par une étude publiée en 2017. 54 jeunes manchots ont été surveillés à l’aide de balises satellites permettant ainsi aux chercheurs de suivre leurs déplacements en pleine mer. Les résultats sont très clairs : la raréfaction des stocks de poissons oblige Spheniscus demersus à nager de plus en plus loin des côtes pour se nourrir. En s’éloignant des côtes, les manchots risquent en plus de se retrouver piéger dans les filets de pêche.
Le réchauffement climatique a également un impact sur les proies des manchots. Ainsi, au début des années 2000, les colonies de sardines et d’anchois se sont massivement déplacés du Cap, situé au sud-ouest de l’Afrique du Sud, vers l’est provoquant un déclin des populations occidentales de manchots de 69 % entre 2001 et 2009.
Les prédateurs naturels
Enfin, c’est une menace mineure mais le manchot du Cap est loin d’être épargné par le reste de la faune africaine. Vulnérables sur terre où ils se déplacent lentement et ne disposent d’aucun moyen de défense ou de fuite, ces oiseaux sont les proies des chacals, des mangoustes et des genettes, petits carnivores du gabarit d’un chat. Des cas d’attaque par des léopards ont également été constatés sur certaines colonies mais demeurent rares.
Dans l’eau, le manchot du Cap est plus à son aise et capable de pointe de vitesse comme de changement de direction fulgurant, toutefois il n’est pas à l’abri de se faire attaquer par plus gros que lui ! Ainsi, l’otarie à fourrure du Cap (Arctocephalus pusillus) est connue pour être un prédateur naturel du manchot du Cap mais elle est loin d’être la seule. Les orques et même parfois le légendaire requin blanc peuvent mettre les adultes Spheniscus demersus à leur menu.
Les juvéniles sont eux aussi à la merci des prédateurs et notamment des autres oiseaux marins comme les goélands dominicains (Larus dominicanus), mais également des chiens et chats sauvages qui peuvent attaquer oeufs et poussins.
Mesures de conservation
Protection juridique et législation
Le manchot du Cap est listé sur l’annexe II de la CITES, l’annexe II de la Convention des espèces migratrices ainsi que sur l’Endangered Species Act. Ces mesures encadrent strictement toute forme de commerce de l’espèce, encouragent la création d’accords internationaux visant à la conserver et interdisent la dégradation de son habitat. Toutes les colonies de manchots du Cap sont aujourd’hui situées à l’intérieur de réserves ou de parcs nationaux, mais approcher ces oiseaux reste possible : une forme d’écotourisme a vu le jour et permet de lever des fonds en faveur de l’espèce. Sur la plage de Boulders, chaque année, 60 000 visiteurs peuvent profiter d’infrastructures adaptées pour approcher – en gardant en tête certaines règles tout de même – ces oiseaux marins.
La fin du prélèvement des oeufs et du guano
De nombreuses mesures ont permis de freiner le déclin du manchot du Cap. En Afrique du Sud, la collecte d’oeufs et de guano a cessé durant la seconde moitié du XXème siècle. Sur Bird Island, aujourd’hui considérée comme la plus importante colonie de l’oiseau, ses effectifs ont augmenté grâce à l’automatisation du phare, permettant à l’île de se passer de toute présence humaine et ainsi de lui rendre son caractère entièrement sauvage. En 1991, les lapins ont également été éradiqués de l’île, favorisant le retour de la végétation et fournissant ainsi une protection aux oeufs.
SANCCOB : la Fondation d’Afrique australe pour la conservation des oiseaux côtiers
Des associations et ONG luttent également pour la sauvegarde de l’espèce. La plus connue est la Fondation sud-africaine pour la conservation des oiseaux côtiers (SANCCOB). Créée en 1968, elle a joué un rôle important lors de la marée noire provoquée par le Treasure, en 2000. Grâce à elle, des milliers d’oiseaux ont pu être recueillis, nettoyés, soignés puis relâchés.
D’autres structures sont également investies de telles missions, comme le Sanctuaire des manchots du Cap et des oiseaux de mer, créé par la Conservation Trust de l’île de Dyer. Situé à Gansbaai (Afrique du Sud), ce centre permet d’étudier l’espèce et ainsi de préparer au mieux les actions futures. Ces deux ONG et bien d’autres mènent également des actions de prévention et de sensibilisation et, depuis quelques années, s’attachent à créer des nids artificiels afin de compenser la dégradation de l’habitat de Spheniscus demersus.
Ces centres de soins prennent également en charge les orphelins et les réintroduisent en milieu naturel quand ils sont assez âgés pour s’alimenter tout seul. Une technique qui participe ainsi à relever le taux de succès de reproduction des manchots du Cap.
Reproduction
Comme de nombreuses espèces d’oiseaux, le manchot du Cap est monogame et se reproduit toute l’année. Vers l’âge de 4 ans, les oiseaux atteignent leur maturité sexuelle et cherchent un partenaire avec qui former un couple et, généralement, n’en changent pas jusqu’à la fin de leur vie.
Après la fécondation, la femelle pond deux oeufs dans son nid. Celui-ci était autrefois creusé dans le guano mais, aujourd’hui, ils peuvent être cachés dans une cavité rocheuse ou dans un buisson. Le mâle comme la femelle participent à l’incubation, qui dure une quarantaine de jours ; à la base du ventre, une petite surface dépourvue de plumes leur permet d’optimiser le transfert de chaleur entre leur corps et les oeufs.
A l’issue de cette période, un unique nouveau-né finit par éclore. Il pèse environ 70 grammes et son plumage n’est pas encore celui d’un adulte mais gris bleu. Il vivra sa première mue à l’âge d’environ trois mois et c’est seulement à ce moment que le plumage deviendra imperméable. Vers l’âge de 3 ans, les plumes brunissent avant de devenir entièrement noires durant les mois suivants.
Durant le premier mois de vie, ses parents le nourrissent et s’en occupent avec attention, mais cela évolue rapidement ; les petits sont ensuite regroupés au sein de « crèches ». Un comportement que partagent de nombreuses espèces évoluant en colonies comme par exemple l’albatros des Galapagos. A l’âge de 3 à 5 mois, les petits sont autonomes et peuvent quitter la colonie. Ils n’y reviendront que quelques années plus tard pour se reproduire à leur tour.
La longévité d’un manchot du Cap est estimée entre 25 et 28 ans.
par Cécile Arnoud et Benoit Goniak
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