A première vue, cette petite grenouille aux grands yeux ronds et noirs semble inoffensive. Pourtant, le kokoï de Colombie – ou phyllobate terrible – est l’un des animaux les plus venimeux au monde. Mais cela ne l’a pas protégée de l’extinction. Aujourd’hui, et seulement 40 ans après avoir été décrite par les scientifiques, Phyllobates terribilis est « en danger » d’extinction (EN) au sens de l’UICN.
Description de Phyllobates terribilis
Comme toutes les grenouilles, cette espèce appartient à l’ordre des anoures au sein de la classe des amphibiens. Se trouvent également dans cette catégorie les crapauds et les rainettes.
Caractéristiques physiques
Le kokoï de Colombie ressemble un peu à la mantelle dorée, une grenouille malgache entièrement jaune doré, mais aussi aux autres dendrobates (ou dendrobatidae), ces grenouilles toxiques d’Amérique du Sud. Logique, puisqu’elle en fait partie au même titre que la petite grenouille rouge du Yapacana, elle aussi menacée.
Bien que petite avec ses 47 mm de long en moyenne, Phyllobates terribilis fait partie des plus grandes dendrobates. Les femelles sont un peu plus imposantes que les mâles (50 mm et jusqu’à 55 mm), mais il s’agit là du seul dimorphisme sexuel notable. Le poids de cette grenouille est lui aussi tout petit : environ 30 grammes.
Tout son corps est uniformément jaune, orange et parfois vert pâle ou blanc. Les juvéniles, eux, sont noirs avec de légères rayures dorées. A cause de sa robe totalement jaune (couleur la plus commune chez cette espèce), on la confond souvent avec sa cousine Phyllobates bicolor. A la différence que cette dernière est plus petite et bien entendu bicolore. Elle n’est donc pas entièrement jaune (ou orange, selon les individus) : ses membres sont en effet sombres au bout, puis tachetés de bleu ou de doré ou parfois même teintés de vert à mesure que l’on remonte.
Seuls le bout de ses doigts, le contour de sa bouche et quelques autres petites parties de son corps sont noirs.
Comportement
La phyllobate terrible est un animal social. Loin d’être solitaire, elle vit en groupe jusqu’à 6 individus en moyenne et ne montre aucun comportement agressif envers ses congénères, ni même territorial.
Contrairement à d’autres animaux qui ont besoin de se faire discrets pour rester tranquilles, cette grenouille n’est que rarement embêtée. Elle peut donc aisément vivre le jour plutôt que la nuit.
De même lorsqu’elle est dérangée, elle ne cherche généralement pas à se cacher et préfèrera bondir quelques mètres plus loin.
Poison mortel
Une caractéristique très importante à propos de cette grenouille, c’est qu’elle est venimeuse. On la désigne même comme étant la grenouille la plus dangereuse au monde – au coude à coude avec Aparasphenodon brunoi, endémique du Brésil – en raison de la puissance de son poison.
Cette toxine s’appelle la batrachotoxine. D’autres animaux la fabrique, comme par exemple les autres dendrobates (grenouilles toxiques d’Amérique du Sud), mais aussi des insectes et certains oiseaux de Nouvelle-Guinée, à l’instar du pitohui bicolore et de l’ifrita de Kowald.
Le kokoï de Colombie la sécrète dans des glandes situées sous sa peau, de sorte que n’importe quel individu qui toucherait cet amphibien se retrouverait affecté. Un simple contact avec la peau suffit à déclencher d’intenses brûlures pouvant durer plusieurs heures.
Lorsqu’elle pénètre dans le sang, la batrachotoxine provoque un blocage des muscles avec des spasmes, des convulsions, une paralysie puis elle finit par entraîner la mort. Y compris chez l’homme. En effet, une seule de ces grenouilles est réputée pouvoir tuer une dizaine d’êtres humains.
Conscients de ce pouvoir extraordinaire, les amérindiens ont pendant longtemps utilisé ce poison pour leurs célèbres fléchettes empoisonnées. Ils leur suffisaient de frotter les pointes contre le dos du kokoï pour les imbiber.
Fait plutôt surprenant, si le kokoï de Colombie parvient à sécréter une telle substance c’est grâce à sa nourriture. Privée des bons aliments, comme c’est le cas en captivité par exemple, cette grenouille perd sa toxicité et devient parfaitement inoffensive !
Régime alimentaire
Justement, de quoi peut bien se nourrir cette grenouille pour être aussi toxique ? Tout simplement d’insectes et petits invertébrés divers comme des fourmis, des coléoptères ou encore des termites. C’est justement l’un des coléoptères qui figurent à son menu qui lui permettrait de sécréter la batrachotoxine.
Elle les chasse en pleine journée, sur la terre ferme et rarement en hauteur dans les végétaux. Pour les capturer, elle n’a qu’à lancer sa langue gluante et les ramener dans sa gueule d’un geste vif. Elle est si qu’il est quasiment impossible de l’observer à l’œil nu !
Habitat
Sans surprise puisque son nom l’indique, cette grenouille est originaire de Colombie, en Amérique du Sud. C’est donc une espèce endémique de ce pays. Mais elle ne vit pas partout en Colombie. Son territoire est aujourd’hui très restreint : il s’étend sur seulement 1 473 km², une petite bande de terre le long de la côte Pacifique, à l’Ouest.
Phyllobates terribilis vit dans les forêts humides. Dans la nature, on la trouve dans les forêts primaires de cette partie de la Colombie. Elle vit le plus souvent au sol, sur le tapis des feuilles tombées des végétaux qui peuplent la zone. Rarement, elle peut s’aventurer à quelques centimètres au-dessus du sol, sur des roches ou des racines d’arbres mais jamais au-delà.
Cette grenouille apprécie la chaleur – plus de 26°C en général –, raison pour laquelle sans doute elle ne s’aventure guère en altitude, et surtout une humidité très élevée (entre 80 % et 90 %). Les précipitations sont importantes dans les environs, et il tombe jusqu’à 5 m de pluie par an.
Comme tout amphibien, elle a besoin d’eau et s’établit donc près de cours d’eau, de marais ou de petits lacs. C’est un besoin vital étant donné qu’elle utilise l’eau pour pondre puis élever ses petits (voir plus loin « Reproduction du kokoï de Colombie »).
Menaces
Grâce à son pouvoir défensif, cette grenouille n’a aucun prédateur naturel. Une espèce de serpent arboricole – Leimadophis epinephelus – semble toutefois davantage immunisé contre son poison que les autres, ce qui lui permet de chasser occasionnellement des jeunes individus. Mais cela ne représente pas une menace majeure.
Pourtant, le kokoï de Colombie est classé « en danger » d’extinction par l’UICN depuis 2004, année de sa première classification. Aujourd’hui encore, sa population sauvage est considérée comme déclinante.
Déforestation, pollution et activités minières
Les bouleversements à l’œuvre dans son habitat naturel arrivent en tête des principales menaces qui pèsent aujourd’hui sur Phyllobates terribilis. L’espèce semble en effet très sensible aux mutations de son environnement, et doit migrer vers des zones plus reculées lorsque l’homme s’aventure trop près.
Ce qui arrive hélas de plus en plus fréquemment. A cause du développement de l’agriculture, tout d’abord, culture de la coca en tête. Des hectares entiers de forêts primaires sont rasés pour y faire pousser à la place des cultures. Pendant longtemps, la déforestation était légale dans cette zone et même aujourd’hui qu’elle ne l’est plus, les coupes se poursuivent.
Les activités minières et plus particulièrement l’orpaillage illégal – extraction d’or – ont aussi profondément altéré le milieu naturel du kokoï de Colombie. Désormais, les rivières de son aire de répartition sont polluées par le mercure toxique qui ruisselle dans les cours d’eau à cause de ces extractions. Or, comme évoqué plus haut, les milieux aquatiques sont essentiels à la survie de cette grenouille.
Captures et trafic
Ce dendrobate colombien a aussi été chassé pour diverses raisons. A commencer par son poison ultra puissant. Comme expliqué plus haut, des tribus amérindiennes le capturaient pour avoir sous la main le poison nécessaire à leur sarbacane. Il se pourrait que la recherche pharmaceutique s’intéresse également à cette substance pour développer des analgésiques puissants.
Ses couleurs vives et sa beauté en ont aussi fait la cible de braconniers susceptibles de revendre les spécimens capturés sur le marché noir des animaux de compagnie. Mais on manque de données pour savoir si cela constitue une menace forte ou non. D’après l’UICN, il semblerait que ce trafic ne pèse pas bien lourd.
Efforts de conservation
Pour sauver la phyllobate terrible de l’extinction, il a fallu lui donner un cadre légal. La loi colombienne interdit sa capture et la CITES, l’organisme qui régule le commerce international des espèces sauvages, l’a inscrite en annexe II. Cela signifie que son commerce n’est pas totalement interdit mais soumis à des quotas et certaines obligations, comme par exemple la détention de permis.
Désormais, il faut aussi agir sur la préservation de son habitat naturel, fortement impacté par les activités anthropiques. Deux initiatives de taille allant dans ce sens ont récemment vu le jour.
La réserve « Rana Terribilis »
A commencer par la création de la toute première aire protégée dans laquelle elle vit. Baptisée « réserve naturelle Rana Terribilis » du nom espagnol de ce dendrobate, cette réserve a été inauguré en 2012 par la fondation ProAves.
Sur ces 47 hectares, les phyllobates terribles sont complètement protégées de toute intrusion humaine et de toute destruction de leur habitat. Avant la création de cette réserve, il n’existait aucune zone protégée pour cette espèce. Il s’agit donc d’un immense pas en avant.
D’autant que par la même occasion, d’autres espèces vivant au même endroit bénéficient eux aussi d’une protection. C’est le cas par exemple de la pénélope d’Orton (un oiseau classé « en danger » par l’UICN), de l’oiseau des bois bruns et du grand Hocco, tous deux classés « vulnérables ».
ProAves multiplie également les opérations de sensibilisation du public et des locaux à l’importance de protéger ce dendrobate, pourtant extrêmement venimeux. Et en 2017, l’ONG a lancé la campagne « Des grenouilles qui sauvent des grenouilles » pour protéger le kokoï de Colombie.
L’Alliance pour Zéro Extinction (AZE)
Pour aider à sa conservation, il faut donc aussi faire comprendre aux plus grand nombre l’importance de sa préservation, malgré sa dangerosité potentielle pour l’homme. L’Alliance pour Zéro Extinction (AZE) a contribué à cela en mettant un important coup de projecteur sur l’espèce.
En 2013, ce collectif de plusieurs dizaines d’organismes engagés dans la préservation de la biodiversité a élu la phyllobate terrible parmi les « 7 merveilles menacées d’extinction » sur Terre. Plus de 100 000 internautes ont voté sur les réseaux sociaux pour ce batracien pourtant peu connu et dont on entend rarement parler.
« Nous espérons que sa nomination en tant que l’une des 7 merveilles de la nature attirera l’attention sur le risque imminent auquel elle est confrontée et que nous pourrons agir plus efficacement pour protéger cette grenouille », avait alors déclaré le directeur exécutif de ProAves.
Reproduction du kokoï de Colombie
Dans la nature, on ignore tout ou presque de la reproduction de la phyllobate terrible. Pour tenter d’en savoir plus, il faut se baser sur ce que l’on sait des individus observés en captivité.
D’abord, mâles et femelles ne sont pas monogames et ont plusieurs partenaires. Pour se reproduire, le mâle entonne un chant à l’aide de la poche vocale qui se situe au niveau de sa gorge. L’objectif est simple : attirer et séduire les femelles. Ces vocalises sont plutôt aiguës. Si elles font mouche et qu’une femelle s’approche, l’accouplement peut démarrer.
La femelle pond ses œufs dans une petite flaque d’eau. Puis, le mâle les féconde et les porte sur son dos le temps de leur trouver une flaque plus grande dans laquelle où ils resteront entre 11 et 12 jours avant d’éclore. En captivité, les pontes ne dépassent pas les 20 œufs, ce qui est assez peu pour un dendrobate.
Comme la plupart des amphibiens, ce dendrobate colombien opère une véritable métamorphose tout au long de sa croissance. Après l’éclosion de son œuf, il se transforme en têtard, puis poursuit sa transformation jusqu’à devenir une petite grenouille. Les mâles atteignent leur maturité sexuelle lorsqu’ils mesurent 37 mm, et les femelles vers 41 mm. Une dernière transformation se produit quand ils deviennent adultes et abandonnent leurs couleurs noir et or pour une teinte uniforme.
L’espérance de vie de cette espèce n’est pas connue avec certitude. Néanmoins, il semblerait qu’elle soit supérieure à 5 ans en captivité.
En savoir plus
Souvent, les grenouilles venimeuses arborent différents couleurs très vives. Un moyen d’avertir leurs éventuels prédateurs du danger qu’ils encourent s’ils décident de s’en prendre à elles. Cette technique défensive s’appelle l’aposématisme et est utilisée avec beaucoup d’efficacité par le kokoï de Colombie.
Malgré la forte toxicité de sa peau, Phyllobates terribilis ne s’empoisonne jamais elle-même. Comment fait-elle ? La science a apporté une réponse à cette question en 2017. Cette grenouille est protégée de son propre poison grâce à une simple mutation génétique.
par Jennifer Matas
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