Le pic à bec ivoire (Campephilus principalis) est un oiseau emblématique du continent nord-américain. Sa population a brutalement chuté au XIXème siècle, lorsque les exploitations forestières ont ravagé son habitat naturel. Espèce déclarée « éteinte » au milieu des années 1990, différents témoignages ont amené l’UICN à revoir son jugement : elle est aujourd’hui classée « en danger critique d’extinction ».
Description du pic à bec ivoire
Le pic à bec ivoire est l’un des plus grands oiseaux de la famille des picidés, seulement dominé par le pic impérial, lui aussi classé en danger critique d’extinction. Il mesure en moyenne 51 centimètres pour une envergure maximale d’un mètre. Les informations concernant son poids sont rares, mais on estime qu’il pèse entre 450 et 550 grammes. Son bec mesure quant à lui entre 6 et 7 centimètres et est d’un blanc ivoire : cette couleur est justement à l’origine du nom de l’espèce.
Les plumes de cet oiseau sont noires et brillantes. Deux bandes blanches très caractéristiques descendent le long de son cou jusqu’à la pointe de ses ailes, où elles s’élargissent pour former deux taches. L’espèce fait l’objet d’un dimorphisme sexuel : en effet, la crête qui orne la tête des mâles est d’un rouge vif, alors qu’elle est uniformément noire et forme une fine pointe chez les femelles.
Localisation et habitat de Campephilus principalis
Au milieu du XIXème siècle, les populations de pics à bec ivoire étaient principalement répertoriées dans le quart sud-est des Etats-Unis, délimité par la Floride et le Texas au sud, et l’Illinois et la Caroline du Nord au nord. Cependant, depuis cette époque, l’aire de répartition de Campephilus principalis s’est significativement réduite : les dernières observations avérées de spécimens aux Etats-Unis remontent à 1944, en Louisiane. Aujourd’hui, des témoignages crédibles suggèrent que quelques couples vivent dans l’Arkansas, en Louisiane ou en Floride, mais ils ne font pas l’unanimité.
Les recherches concernant cet oiseau sont en fait très complexes. Le pic à bec ivoire peut notamment être confondu avec le Grand pic, un oiseau plus commun, ou le pic chevelu. L’espèce évolue de plus au cœur d’épaisses forêts vierges, à proximité de marécages jonchés d’arbres morts ou en décomposition, et a besoin d’une très grande superficie pour trouver sa nourriture. Dans un environnement peu accueillant et avec une faible densité de population, il n’est pas étonnant que les recherches soient infructueuses.
Hormis les populations du sud-est des Etats-Unis, une sous-espèce, Campephilus principalis bairdii, évoluerait également sur l’île de Cuba. Le dernier témoignage avéré date de 1987. L’espèce pourrait persister dans les forêts vierges au sud-est de Cuba, mais nombreux sont ceux qui la pensent éteinte.
Menaces qui pèsent sur le pic à bec ivoire
Autrefois répandu dans tout le sud-est des Etats-Unis, le pic a bec ivoire a subi un important déclin tout au long du XIXème siècle, qui n’a ensuite jamais été endigué.
Déforestation
Jusqu’au milieu du XIXème siècle, le sud des Etats-Unis était recouvert de forêts marécageuses, constituant ainsi un habitat tout à fait adapté à l’espèce. Cependant, après la Guerre de Sécession (1861 – 1865), les paysages d’Amérique du Nord changent. L’industrie du bois nettoie d’immenses surfaces et, en 1872, la couverture forestière de l’est des Etats-Unis enregistre un record historiquement bas : 52 % des forêts présentes en 1600 ont disparu et les parcelles restantes sont très dégradées par le pâturage du bétail dans les bois. De nombreuses espèces d’oiseaux endémiques de la région disparaissent presque entièrement à cause de cette période de déforestation intensive, dont la tourte voyageuse (Ectopistes migratorius), la conure de Caroline (Conuropsis carolinensis), et bien sûr le pic à bec ivoire.
Le même phénomène de déforestation, et plus généralement de dégradation de l’habitat naturel de l’espèce, a eu lieu à Cuba au cours des dernières décennies. Depuis près de 30 ans, aucun pic à pec ivoire n’a été observé sur l’île malgré de nombreuses recherches.
La chasse
La chasse a également joué un rôle important dans la diminution des effectifs de l’espèce. Jusqu’au début du XXème siècle, cette activité était en effet autorisée par la loi, et le pic à bec ivoire n’était pas uniquement recherché pour la consommation de sa viande. Si plusieurs exemples existent, le plus marquant date sans doute de 1932 : un représentant de l’Etat de Louisiane mettant en doute l’extinction de l’espèce n’a pas hésité à abattre un spécimen pour, ensuite, en faire un ornement pour son service dédié à la vie sauvage.
Plus frappant encore, les ornithologues ont souhaité documenter l’espèce dès les années 1800, ce qui a conduit à la collecte d’un très grand nombre de pics à bec ivoire. En un siècle, on estime que plus de 400 spécimens ont été abattus uniquement dans un but scientifique. Les experts estiment que, dans certaines régions, la chasse est la première cause de la disparition de l’espèce.
Conservation de l’oiseau menacé
Si l’UICN a estimé au milieu des années 1990 que l’espèce était éteinte, elle a revu sa copie au début des années 2000 et l’a reclassée « en danger critique d’extinction ». Ce changement de statut est loin d’être anodin : une espèce disparue ne bénéficie plus de subventions ou de plans de conservation spécifiques. Campephilus principalis est également sur la State of the Birds Watch List (une liste d’oiseaux à surveiller attentivement), avec un score de préoccupation de 18 sur 20, et est considérée par le Centre de la vie sauvage et aquatique (FWS) des Etats-Unis comme « en danger ».
Pallier le manque de données
Aujourd’hui, l’objectif principal des organismes de protection est de mener des recherches de terrain et de retrouver des populations de pics à bec ivoire. Malgré l’abondance de témoignages favorables, trop d’inconnues subsistent : taille des populations, distribution de l’espèce, qualité de l’habitat, reproduction et durée de vie, relations avec les espèces concurrentes… Il est indispensable d’obtenir ces informations avant d’établir une quelconque stratégie de conservation.
Depuis une trentaine d’années, de très nombreuses recherches ont été effectuées. En 2004, une bande sonore et une vidéo de 4 secondes enregistrées dans l’Arkansas ont été largement sujettes à débat, mais leur qualité médiocre n’a pas permis de valider la présence formelle de l’espèce. Cependant, ces nouvelles données ont contribué à relancer l’intérêt des ornithologues pour cet oiseau. Les années suivantes, d’autres témoignages sont rapportés, cette fois en provenance de Floride ou de Louisiane, mais leur fiabilité est là encore contestée. Des récompenses de plusieurs dizaines de milliers de dollars sont promises à ceux qui trouveront un pic à bec ivoire en vie. Une fondation d’ornithologues, le Cornell Lab, a également pris part au projet et a conduit 5 ans de recherches dans le sud-est des Etats-Unis, sans résultat. Aucune photographie, vidéo ou échantillon d’ADN n’a pu être qualifié d’irréfutable.
Acquisition de terres et sensibilisation
Au total, les différents organismes de protection de la vie sauvage et de l’environnement ont dépensé près de 30 millions de dollars, dont l’immense majorité a été allouée à l’acquisition de terres susceptibles d’abriter l’espèce. Certains n’hésitent pas à déclarer que les fonds engagés dans ce programme sont démesurés, surtout compte tenu de l’absence de preuve tangible de survie de l’espèce.
Outre l’acquisition de terres, les défenseurs des animaux sensibilisent les habitants des régions concernées. Un site internet et une ligne téléphonique ont été créés afin d’enregistrer les témoignages d’anonymes. Les accès aux sites sensibles sont protégés et de nombreuses opérations de restauration des forêts sont en cours. Malgré tous ces outils, les résultats ne sont pas probants : aucune preuve irréfutable n’a encore été produite. Le constat est par ailleurs identique à Cuba, où toutes les recherches sont restées vaines.
Il apparaît très difficile de se prononcer quant à la survie de l’espèce. Quoi qu’il en soit, il est clair qu’il reste très peu d’individus, dans des zones vierges ou très peu accessibles à l’Homme. Plusieurs décennies seront nécessaires pour reconstituer une population importante. Les recherches continuent. Un exemple récent au Brésil montre qu’il faut garder espoir : la colombe aux yeux bleus, une espèce considérée comme éteinte, a été dernièrement retrouvée.
Reproduction du picidé
La reproduction de cet oiseau, à l’image de nombreuses autres caractéristiques de l’espèce, est assez peu documentée. Les éléments connus ont essentiellement été extrapolés de l’étude d’autres picidés de même envergure.
Il semble que le pic à bec ivoire soit un oiseau fidèle : il garderait le même partenaire toute sa vie. La période de reproduction s’étale de février à mai pour l’espèce située aux Etats-Unis et de mars à juin pour la sous-espèce cubaine. Les futurs parents creusent une cavité dans la partie morte d’un arbre, généralement au-dessus de dix mètres de haut. Dans ce trou d’une cinquantaine de centimètres de profondeur, les parents déposent entre 1 et 5 oeufs. La période d’incubation n’a jamais été estimée. A la naissance, les jeunes sont très dépendants de leurs parents : ils ne pourront pas voler avant huit semaines de vie, et ne pourront se nourrir seuls qu’après deux mois supplémentaires.
La famille évolue ensuite sur un vaste territoire de 15 à 25 km² où se trouve suffisamment de nourriture pour subvenir aux besoins de tous. Campephilus principalis utilise son bec comme un marteau-piqueur pour percer l’écorce des arbres à la recherche de son mets favori, les larves de coléoptères. Il peut également se nourrir de divers insectes, de fruits ou de graines. Ces données alimentaires sont là aussi peu documentées : elles ont été déduites de l’analyse des estomacs de spécimens au début du XXème siècle, il faut donc les considérer avec prudence.
On estime que la durée de vie d’un pic à bec ivoire oscille entre 20 et 30 ans.
En savoir plus
Durant plusieurs siècles, le pic à bec ivoire a été victime d’une chasse régulière. Pour les indiens d’Amérique, il était une proie de choix : des témoignages rapportent que de nombreux chefs ornaient leurs ceintures et autres parures de guerre de becs et de crêtes rouges de Campephilus principalis. Des sites archéologiques ont également mis au jour des crânes de pic à bec ivoire parfois très loin de leur aire de répartition, ce qui indique que le commerce de l’espèce était à une époque florissant.
2 Réponses to “Le pic à bec ivoire”
20.05.2022
Alain BellavanceVu le pic à bec ivoire au Skidaway Island State Park à Savannah, Géorgie, le 18 mai 2022
11.03.2020
LORETCe sont des informations très intéressantes et instructives ! Je souhaite de tout cœur que l’on retrouve ces oiseaux et que l’on les protège efficacement ! Bonne continuation dans les recherches !