Parfois appelé poisson-scie à petites dents, Pristis pectinata est l’une des quatre espèces de poissons-scie du genre Pristis qui existent dans le monde. Toutes sont menacées d’extinction :
- le poisson-scie à grandes dents (Pristis pristis) : en danger critique (CR) ;
- le poisson-scie vert (Pristis zijsron) : en danger critique (CR) ;
- le poisson-scie tident (Pristis pectinata) : en danger critique (CR) ;
- le poisson-scie nain (Pristis clavata) : en danger (EN).
Il existe une cinquième espèce de poisson-scie, la seule du genre Anoxypristis : il s’agit du poisson-scie étroit (Anoxypristis cuspidata), classé « en danger » (EN).
Les poissons-scie appartiennent au même groupe que les requins et les raies. Comme eux, ce sont des poissons cartilagineux, dont les squelettes sont faits de cartilage et non pas d’os. Bien qu’ils ressemblent à s’y méprendre à des requins avec leur silhouette si caractéristique, les poissons-scie sont en réalité des raies. En témoignent la présence de leurs bouches et branchies sur le dessous de leurs corps.
Description du poisson-scie tident
Comme son nom le laisse entendre, le poisson-scie tident se distingue de ses cousins poissons-scie par la taille des dents qui ornent son rostre. De taille plus petites que chez le poisson-scie à grandes dents avec qui on le confond facilement, elles sont au nombre de 20 à 30 de part et d’autre du museau.
Caractéristiques physiques
Le poisson-scie tident est un gros poisson qui doit son nom à l’imposant rostre – sorte de museau – en force de tronçonneuse qui prolonge sa tête. Il peut représenter à lui seul un quart, voire un tiers de la longueur totale de l’animal. Bordé de petites dents tranchantes, ce rostre long et de forme aplatie est recouvert de capteurs électromagnétiques qui permettent au poisson-scie de sonder les fonds marins à la recherche de proies enfouies dans le sable. Cet attribut l’aide donc à se nourrir, mais aussi à se défendre lorsque la situation l’exige.
Le corps du poisson-scie tident ressemble à celui d’un requin ou plutôt d’un poisson-guitare à qui on aurait ajouté un museau en forme de scie. Il est doté de deux nageoires dorsales, deux nageoires pectorales en forme d’ailes, deux nageoires pelviennes et une puissante nageoire caudale qui l’aide à se propulser dans l’eau.
Le dessus du poisson-scie est de couleur brun-gris tandis que le dessous est plus clair et tire sur le blanc. Les yeux se situent sur le dessus de la tête tandis que la bouche – agrémentée de petites dents à la forme arrondie – et les branchies se situent en-dessous.
Adulte, ce poisson mesure entre 6 et 7 mètres de long. Les femelles se distinguent des mâles par un rostre généralement plus petit.
Régime alimentaire
Comme évoqué plus haut, le poisson-scie tident utilise les capteurs de son rostre pour dénicher les proies qui se cachent dans les fonds marins. Toutes sortes de poissons et d’invertébrés conviennent au régime alimentaire de Pristis pectinata, et notamment les crevettes et les crabes.
Son rostre lui sert aussi d’arme pour chasser des poissons organisés en bancs, mais aussi pour empaler ou assommer certaines de ses proies parfois plus volumineuses.
Habitat de Pristis pectinata
Pristis pectinata nage dans les eaux de l’océan Atlantique et de la mer des Caraïbes. Si autrefois ses populations s’étendaient davantage, aujourd’hui elles sont très fragmentées et comptent peu d’individus.
Ce poisson-scie se trouve désormais principalement dans le golfe du Mexique, notamment en Floride et en Louisiane (Etats-Unis) ainsi qu’aux Bahamas. Il est en revanche plus rare près des côtes d’Amérique du Sud (Honduras, Belize, Cuba) et pourrait encore existe en Afrique de l’Ouest (Sierre Leone, Mauritanie, Guinée-Bissau), mais les données sont insuffisantes pour être avancées avant certitude.
L’espèce vit généralement non loin des côtes, dans les estuaires et les zones peu profondes (moins de 10 mètres). On la trouve ainsi dans les forêts de mangroves – où les juvéniles se réfugient généralement en attendant d’achever leur croissance – et les herbiers marins par exemple. Elle s’aventure même parfois à l’intérieur des terres, dans les cours d’eau douce.
Le poisson-scie tident affectionne les eaux tropicales et subtropicales où les températures sont douces voire chaudes, comprises entre 22°C et 28°C en moyenne.
Menaces
Il n’y a encore pas si longtemps, le poisson-scie tident était plutôt commun dans l’océan Atlantique. A la fin du XIXème siècle, il était même très répandu dans les eaux de l’Atlantique Nord-Ouest ainsi que près des côtes d’Afrique de l’Ouest. Mais toutes les populations se sont effondrées en l’espace de quelques décennies. Il faut dire que son aire de répartition, proche des côtes, est largement exploitée par les activités humaines. Aujourd’hui l’espèce est dans une situation si difficile qu’elle est classée « en danger critique » d’extinction par l’UICN. Il s’agit du dernier stade avant la disparition dans la nature.
Captures accidentelles
Aujourd’hui l’une des principales menaces qui pèsent sur le poisson-scie tident, c’est la pêche. Et ce, même si ce n’est pas lui qui est directement visé. En effet, l’espèce se retrouve malheureusement parmi les prises accessoires des pêcheurs qui utilisent des techniques de pêche non distinctives. Parce qu’il vit non loin des côtes, le poisson-scie à petites dents peut se retrouver capturé accidentellement dans les filets maillants côtiers, les chaluts à crevettes ou encore les palangres de fond.
Lorsque cela se produit, les pêcheurs ont plutôt tendance à tuer les individus enchevêtrés dans leurs matériels de pêche plutôt qu’à tenter de les libérer. La raison est simple : le museau denté de ces animaux les dissuade. Au contraire, les pêcheurs les considèrent comme une menace pouvant endommager leurs filets ou, carrément, les blesser.
Pêche ciblée
Le poisson-scie tident est également une cible directe pour les pêcheurs. Son rostre est en effet très recherché par la médecine traditionnelle ou comme objet décoratif et sa peau par l’industrie du cuir de luxe, qui la considère comme un cuir de haute qualité. Les dents de son rostre sont également convoitées, en particulier au Pérou, au Brésil, en Equateur, au Panama et dans les Caraïbes.
Ce poisson – proche parent du requin – est également pêché pour ses ailerons cuisinés en soupe. Ce « shark finning » dont il est victime est un véritable fléau pour nombre d’espèces de requins et poissons-scie et est responsable d’importants déclins de populations. C’est le cas par exemple du grand requin-marteau, classé « en danger » d’extinction par l’UICN, mais aussi de toutes les espèces de poissons-scie du genre Pristis.
De façon moins généralisée et à l’échelle plus locale, le poisson-scie tident a aussi été pêché pour sa chair. Aux Etats-Unis dans les années 1930, l’espèce était l’une des plus pêchées par les pêcheurs de requins de Floride, rapporte l’UICN. D’autres parties de ce poisson sont aussi consommées comme son foie et sa vésicule biliaire, utilisés par la médecine traditionnelle chinoise.
Disparition de son habitat
Le poisson-scie tident est aussi très affecté par la disparition et la dégradation de son milieu naturel. Habitué des zones marines peu profondes et proches des côtes, il est en toute logique touché par les pressions anthropiques. L’urbanisation des littoraux et la détérioration des milieux comme les mangroves ont lourdement impacté la capacité de l’espèce à renouveler les générations. La plupart de ces zones côtières constituaient en effet des zones d’alevinage parfaites pour ce poisson-scie qui, sans elles, n’a plus beaucoup d’options possibles pour permettre à ses juvéniles de grandir et atteindre la maturité sexuelle.
Efforts de conservation
Face à toutes ces menaces, de mesures urgentes ont dû et doivent encore être prises pour tenter d’enrayer le déclin du poisson-scie tident.
Protections réglementaires
Pour lutter contre la pêche ciblée dont ils sont victimes, les poissons-scie ont été inscrits à l’annexe I de la CITES. Désormais, le commerce international de tout ou parties de ces poissons est interdit. Il s’agit là de réglementations internationales qui doivent aussi être complétées par des mesures nationales.
C’est pourquoi en 2017, les pays des Caraïbes se sont engagés à renforcer la protection de ce poisson-scie en l’ajoutant à l’annexe II du Protocole sur les zones et la vie sauvage spécialement protégées (SPAW). Il est donc désormais interdit de capturer, tuer ou vendre un individu de cette espèce et des mesures doivent être prises pour limiter toute perturbation à son encontre.
Aux Etats-Unis, le poisson-scie tident est également protégé. Il figure sur l’Endangered Species Act en tant qu’espèce en voie de disparition et bénéficie depuis 2003 d’une protection fédérale. Là aussi, il est interdit de le capturer, de le blesser, de le tuer et même de le déranger.
Si ces protections réglementaires sont un signal positif, elles n’en restent pas moins insuffisantes. Car c’est sur le terrain que la lutte pour la conservation d’une espèce se déroule. Or, nombre d’experts insistent sur un point : des mesures supplémentaires doivent être prises pour le poisson-scie à petites dents. D’autant que l’espèce reste très prisée sur les marchés illégaux.
Actions sur le terrain
Heureusement, même si les populations sauvages sont très fragmentées, elles sont diversifiées génétiquement. Un point positif pour espérer un rétablissement de l’espèce. Mais pour cela, il faut mettre en place des mesures lui permettant de se reproduire en toute tranquillité. Et cela passe par des actions concrètes sur le terrain pour préserver les derniers groupes sauvages ainsi que leur habitat.
Pour lutter contre la mortalité liée aux prises accessoires, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a par exemple publié un guide destiné aux pêcheurs pour les aider à manipuler en toute sécurité les poissons-scie capturés et les relâcher, indemnes, dans la nature.
La NOAA planche également sur un plan de rétablissement des populations aux Etats-Unis et mènent différentes études de terrain pour mieux connaître l’espèce et sensibiliser le grand public à sa conservation.
Reproduction du poisson-scie tident
Cette espèce de poisson est vivipare à sac vitellin. Cela signifie qu’après l’accouplement, les petits se développent à l’intérieur du ventre de la femelle. Au début de leur développement, ils se nourrissent du jaune emmagasiné dans l’ovule, et quand il n’y en a plus, le sac vitellin devient un « pont » avec la paroi utérine de la femelle afin que des échanges de nutriments puissent avoir lieu entre la mère et l’embryon. Un peu comme le ferait un placenta.
De cette façon, les petits naissent pleinement développés. Ils ont même déjà leur museau en forme de scie ! Heureusement, celle-ci est recouverte d’une protection gélatineuse qui se dissout rapidement et évite de blesser la mère.
La gestation dure environ 12 mois. Les femelles donnent naissance à des portées comprises entre 7 et 14 petits, et peuvent se reproduire tous les deux ans en moyenne. D’après les observations menées sur les populations de Floride, les naissances ont lieu entre novembre et juillet, avec un pic en avril et mai.
Les juvéniles ont une croissance très rapide dans les deux années qui suivent leur naissance. En revanche, ils n’atteignent pas tout de suite la maturité sexuelle. Pour cela, il faut généralement attendre l’âge de 7 à 10 ans, ou que les femelles mesurent environ 4 mètres et les mâles 3,70 mètres.
Fait exceptionnel pour un animal vertébré, le poisson-scie tident peut se reproduire sans partenaire lorsque la situation l’exige. En l’absence de mâles alentours, une femelle peut en effet se reproduire sans s’accoupler. On parle alors de « reproduction asexuée » ou de « parthénogénèse facultative ».
Cette étonnante faculté n’a été découverte que récemment par les scientifiques et reste de l’ordre de l’extraordinaire. Les sept juvéniles nés sans père et découverts dans un estuaire de Floride sont en effet les premiers cas jamais observés de façon aussi significative chez des vertébrés à reproduction sexuée en milieu sauvage. D’après les auteurs de l’étude, de nombreux autres vertébrés qui se reproduisent habituellement de façon sexuée pourraient être capables de parthénogénèse en cas de force majeure. Une prouesse qui sonne en tout cas comme une excellente nouvelle pour cette espèce en danger critique, et qui serait donc une forme d’adaptation pour éviter l’extinction.
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