Les rhinocéros d’Asie sont parmi les espèces les plus menacées de la planète. Trois sont recensées :
- le rhinocéros indien ;
- le rhinocéros de Java ;
- le rhinocéros de Sumatra.
Si la première espèce est seulement considérée comme vulnérable, les deux autres sont classées en danger critique d’extinction par l’IUCN.
Avec à peine une trentaine de spécimens dans le monde, le rhinocéros de Sumatra, parfois considéré comme un « fossile vivant », est sans conteste l’une des espèces les plus menacées de la planète et est devenu un symbole de la protection des animaux en Indonésie.
Présentation du rhinoceros de Sumatra
Le rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis) est la plus petite des cinq espèces de rhinocéros encore vivantes : sa hauteur au garrot est de 110 à 145 cm pour une longueur allant de 2,5 à 3 mètres. A l’état sauvage, son poids varie entre 600 et 900 kg. A titre de comparaison, le rhinocéros indien peut dépasser 180 cm au garrot pour une longueur de 3,7 mètres, et pèse jusqu’à 2,5 tonnes.
Dicerorhinus sumatrensis est le seul rhinocéros asiatique à posséder deux cornes, la première allant de 25 à 80 cm et la seconde dépassant rarement la dizaine de centimètres. Ces cornes, d’une couleur gris foncé à noir, sont par ailleurs plus grandes chez les mâles.
L’espèce de Sumatra est la descendante la plus proche du rhinocéros laineux, mammifère préhistorique dont l’apogée remonte à quelques 30 000 ans. C’est pourquoi les rhinocéros de Sumatra sont recouverts de poils bruns, presque rouges. Ils sont aujourd’hui les derniers à en arborer, ce qui vaut à l’espèce le surnom de « fossile vivant ». A l’état sauvage, cette protection se résume parfois à un simple duvet clairsemé alors que pour certains spécimens de parcs zoologiques, il s’agit presque d’une fourrure hirsute : cette différence est probablement liée à la faible abrasion de la végétation pour les rhinocéros vivants en captivité.
Localisation de Dicerorhinus sumatrensis
Il semble que l’aire de répartition du rhinocéros de Sumatra s’étendait autrefois sur toute l’Asie du sud-est : de l’est de l’Inde, au sud de la Chine, en Birmanie, au Cambodge ou au Vietnam. Au cours des dernières décennies, cette aire de répartition a été significativement réduite et les dernières populations recensées vivent seulement au cœur des archipels d’Indonésie, sur les îles de Bornéo et Sumatra. Un sanctuaire dédié à leur conservation, le Sumatra Rhino Sanctuary, a été fondé dans le parc national de Way Kambas, au sud de l’île de Sumatra.
Population
Jusqu’à il n’y a encore pas si longtemps, la disparition de l’espèce semblait inéluctable. En 2004, le Kerinci Seblat national park, le plus grand parc national de Sumatra, qui comptait encore 500 spécimens en 1990, a annoncé que 90 % de sa population avait été victime du braconnage : la réserve n’abritait plus que 50 rhinocéros de Sumatra. Après une telle annonce, les effectifs de l’espèce étaient officiellement tombés sous 300. En 2008, avec moins de 250 individus recensés, l’espèce est inscrite sur la liste rouge de l’UICN.
Aujourd’hui, on estime que l’espèce compte à peine une trentaine de spécimens, mais une bonne nouvelle cependant : le braconnage semble enrayé en Indonésie.
En 2013, une équipe du WWF a trouvé sur l’île de Bornéo des traces de rhinocéros de Sumatra. Un groupe d’une quinzaine d’individus vivrait sur l’île et ce alors que l’espèce y avait officiellement disparue depuis plusieurs décennies. Divers témoignages évoquent également la présence du rhinocéros de Sumatra au nord de la Birmanie, mais le contexte politique du pays rend impossible toute recherche.
Habitat du rhinocéros sauvage
L’habitat du rhinocéros de Sumatra est le plus souvent caractérisé par des forêts denses tropicales, sur des versants de montagne allant de 1 000 à 2 500 mètres d’altitude. Il établit son territoire à proximité de points d’eau. En effet, il a particulièrement besoin de bauges pour se rafraîchir ou se débarrasser d’insectes parasites, et elles constituent souvent le centre de leur territoire.
Autour de ces bains de boue desquels il ne s’éloigne pas, le rhinocéros de Sumatra trouve toute la nourriture dont il a besoin : exclusivement herbivore, il se nourrit essentiellement de jeunes plants d’arbres, mais aussi de feuilles, d’écorces, de brindilles, de bambous… Les jeunes plants d’arbres, dont le diamètre va de 1 à 6 cm, sont préparés avant d’être ingurgités : ils sont d’abord coupés puis piétinés. Dicerorhinus sumatrensis aime également les fruits et se régale de mangues ou de figues sauvages.
Au total, un adulte ingère environ 50 kg de nourriture par jour et consomme plus d’une centaine d’aliments différents, dont certaines plantes sont toxiques pour l’homme.
Les menaces qui pèsent sur ce rhinocéros asiatique
En 1800, on estime à un million la population mondiale de rhinocéros, toutes espèces confondues. Aujourd’hui, il en reste moins de 20 000, dont une trentaine seulement sont des rhinocéros de Sumatra. Pourtant, l’animal est au sommet de la chaîne alimentaire, même s’il arrive parfois que des tigres chassent un jeune rhinocéros. Derrière le déclin de cette espèce se cache donc, comme souvent, l’activité humaine.
La chasse et le braconnage
Le rhinocéros est depuis des millénaires l’objet de superstitions. Dès 2700 avant Jésus-Christ, des textes chinois expliquent que la corne de rhinocéros aurait des propriétés bénéfiques contre certains poisons. Ces croyances ayant perduré, le rhinocéros n’a jamais cessé d’être chassé : à Sumatra, la corne permettrait notamment de sculpter des talismans, soignerait des maladies, pourrait servir d’antidotes à certaines morsures de serpents ou de scorpions. Les médecines locales font également usage d’autres parties du corps comme le crâne, les dents, le sang ou les sabots. La science ne peut étayer ces superstitions, mais une médecine traditionnelle datant de plusieurs millénaires ne peut s’effacer en quelques années.
La corne du rhinocéros de Sumatra est, aujourd’hui, la principale motivation des chasseurs ; son prix se négocie autour de 30 000 dollars par kilogramme.
Réduction des habitats
La disparition de l’habitat du rhinocéros de Sumatra a longtemps été considérée comme une menace, mais le mammifère semble disposer de fortes capacités d’adaptation. La déforestation en Malaisie et Indonésie ne semble pas affecter prioritairement la survie de l’espèce.
Diversité génétique
La population de rhinocéros de Sumatra est fragmentée, ce qui engendre une très faible capacité de développement : les accouplements sont peu nombreux et les naissances de plus en plus rares. Une nouvelle étude parue dans la revue Nature Communications en avril 2021 révèle cependant que, contrairement à ce que le faible nombre d’individus pourrait laisser penser, les dernières populations de Dicerorhinus sumatrensis ne présentent qu’une faible pourcentage de consanguinité. Il s’agit d’une excellente nouvelle, porteuse d’espoir de voir un jour les effectifs se rétablir
Efforts de conservation
Rhino Protection Units (RPU) : les équipes de protection des rhinocéros
En 1975, le rhinocéros de Sumatra est inscrit à l’annexe I de la CITES, ce qui en interdit le commerce international. On ne peut désormais en trouver qu’au cœur de réserves naturelles ou de parcs nationaux, où ils sont protégés par des équipes spécialisées, les RPU (Rhino Protection Units). Ces groupes ont été spécialement entraînés pour assurer la sécurité des rhinocéros de Sumatra face aux braconniers : il s’agit de la clé de voûte de la stratégie de protection de l’espèce. Répartis en équipe de 4, ils patrouillent en permanence dans la forêt, détruisent les pièges qu’ils trouvent et appréhendent les braconniers.
Nées de la collaboration entre locaux et autorités internationales et désormais dotés d’une forte expérience, les RPU sont en mesure d’anticiper les tentatives des braconniers. En travaillant avec la police, ils ont permis de mettre un coup d’arrêt au déclin des populations : au cours des sept dernières années, aucun rhinocéros de Sumatra n’a été abattu dans les parcs où les RPU opèrent. Ce programme est un véritable succès et a été reconnu comme tel par les organisations de défense des animaux et par le gouvernement de Malaisie, à tel point qu’il est désormais décliné pour plusieurs espèces locales menacées (orang-outans et tigres).
Si les efforts se poursuivent, il est possible que la population de rhinocéros de Sumatra atteigne, au cours du siècle à venir, 2 000 spécimens. Les biologistes estiment qu’il s’agit de l’effectif minimum pour assurer la survie de l’espèce sur le long terme.
Le programme de reproduction en captivité du rhinoceros de Sumatra
Un programme de reproduction en captivité a été créé dans les années 1980. Entre 1984 et 1996, 40 rhinocéros ont été capturés et transférés vers des réserves ou des parcs zoologiques dans le but de préserver l’espèce. Malheureusement, en 2000, aucune naissance n’avait encore été répertoriée. Pire encore, la moitié des spécimens capturés sont morts sur cette période. Ce programme est un échec.
Depuis 2001, quelques naissances ont tout de même donné un nouvel espoir à l’espèce. Le programme de reproduction reste cependant très controversé : avec le décès de douze rhinocéros supplémentaires en 2004, victimes d’une épidémie, plusieurs opposants au programme en ont dénoncé les pertes trop importantes et le coût trop élevé.
Reproduction
La parade nuptiale du rhinocéros de Sumatra est similaire à celle du rhinocéros noir : le mâle crie et recherche des contacts physiques parfois violents avec la femelle. Des observateurs ont rapporté qu’en captivité, il est possible que des mâles trop fougueux blessent ou tuent une femelle lors de cette parade. A l’état sauvage, on suppose que la femelle a la capacité de s’enfuir.
Des études, notamment menées au Centre de Conservation des rhinocéros de Sumatra, à Sungai Dusun, montrent que l’oestrus, période durant laquelle la femelle est réceptive aux avances du mâle, dure environ 24 heures et réapparaît après un cycle de 21 à 25 jours. Comme pour les autres rhinocéros, la copulation en elle-même dure entre 30 et 50 minutes.
La gestation du rhinocéros de Sumatra s’étale sur 14 à 16 mois. A la naissance, le nouveau-né pèse environ 25 kg et mesure 60 cm de haut pour 90 cm de large. Sa corne nasale mesure alors à peine 2 cm, et un simple bouton indique la position de la corne frontale. L’animal est déjà recouvert d’un fin duvet de poils qui deviendra, avec les années, le manteau si caractéristique de l’espèce. Le jeune rhinocéros reste en principe caché dans la végétation durant quelques mois, puis commence à se promener avec sa mère. Il est sevré autour de 15-17 mois, mais reste avec sa mère durant les deux à trois premières années de vie, délai qui semble correspondre à une nouvelle fécondation de la mère. Il a été rapporté que deux jeunes rhinocéros peuvent grandir ensemble, mais ils finissent toujours par se séparer : le rhinocéros est un animal solitaire.
A 7 ans, la femelle rhinocéros atteint sa maturité sexuelle mais n’a pas fini de se développer : même à 10 ans, âge auquel le mâle atteint à son tour la maturité sexuelle, il mesure environ 130 cm au garrot et 220 cm de long. Il faut encore attendre quelques années avant qu’il parvienne à sa taille définitive et soit considéré comme adulte : dès lors, il lui reste plus de trente ans de vie. A l’état sauvage, l’espérance de vie du rhinocéros de Sumatra est en effet de 45 ans.
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