Eretmochelys imbricata est connu sous plusieurs noms en français, dont le plus connu est certainement tortue imbriquée. On la retrouve également sous l’appellation « tortue à bec faucon », « tortue à écailles » ou encore « tortue Caret » à la Réunion et dans les Antilles. Cette tortue marine est l’un des reptiles les plus menacés de la planète, avec la perte de plus de 80 % de sa population en un siècle.
Présentation
La tortue imbriquée est l’une des huit espèces de tortues marines qui nagent dans les océans de la planète. Classée « en danger critique d’extinction » dans la liste rouge de l’UICN depuis 1996, son nom revient régulièrement dans les actualités concernant des saisies de trafic ou des épisodes de mortalité massive.
Il existe deux sous-espèces d’Eretmochelys imbricata :
- Eretmochelys imbricata imbricata qui nage dans l’océan Atlantique
- Eretmochelys imbricata bissa qui parcoure les océans Pacifique et Indien
Apparence physique
Animal de taille moyenne avec une carapace comprise entre 60 cm et un peu plus d’un mètre de long pour 60 à 90 kg, Eretmochelys imbricata est une tortue marine facile à identifier. D’abord, sa carapace se compose de grosses écailles qui s’imbriquent les unes avec les autres comme des tuiles, ce qui lui vaut d’ailleurs son nom de « tortue imbriquée ». Les grosses écailles du dos sont toujours au nombre de 13 tandis que les membres présentent des petites écailles noires qui tranchent avec la carapace de couleur jaune, verdâtre ou brun foncé. Sur le devant de la tête, juste au niveau des yeux, quatre écailles dites « préfrontales » sont également distinguables. Enfin, sa carapace est dentelée sur la phase postérieure et forme comme des petites dents de scie.
L’une des particularités physiques les plus frappantes de ce reptile est son bec crochu qui lui a valu le surnom de tortue à bec faucon. Cette caractéristique lui permet de déchirer sa nourriture, en compensation de son absence de dents.
Il y a un léger dimorphisme sexuel entre mâle et femelle : comme pour toutes les tortues, le plastron (dessous de la carapace) du mâle est concave, c’est-à-dire creux, pour mieux épouser la forme de la carapace de la femelle lors de l’accouplement. Les mâles sont également dotés de griffes plus longues aux pattes arrières et d’écailles plus claires.
Régime alimentaire
La tortue imbriquée change de régime alimentaire au cours de sa vie. Dans les premiers temps, elle est omnivore avec une dominance de végétaux puis les délaisse pour jeter son dévolu sur les éponges et les méduses (qu’elle confond parfois avec des sacs plastiques) et plus rarement des mollusques et des crustacés. Son bec crochu lui permet de chercher ses proies dans les récifs coralliens et de fouiller dans les cavités pour y débusquer sa nourriture.
Localisation
Eretmochelys imbricata est une tortue côtière mais migratrice qui occupe une très large aire de répartition. Les tortues dites marines sont des tortues océaniques qui ne viennent à terre que pour pondre leurs œufs au contraire des tortues terrestres comme la tortue d’Egypte, également en danger critique d’extinction. La tortue imbriquée vit pour sa part dans les eaux tropicales et subtropicales de l’océan Atlantique, l’océan Indien et l’océan Pacifique. Un peu comme pour son régime alimentaire, elle change d’habitat au cours de sa vie. Juvénile, elle se laisse entraîner par les courants vers les zones peu profondes comme les zones de mangroves, d’algues ou d’herbiers où elle se procure facilement de la nourriture tout en se cachant des prédateurs. Les jeunes tortues y restent environ deux ans. En grandissant, elles délaisseront ces zones néritiques (peu profondes) pour s’éloigner vers les récifs de corail, à la fois lieu de repos et de nourrissage. Mais elles privilégieront toujours les rivages et les côtes, ne déambulant en haute mer que lors des migrations.
Les tortues imbriquées ne quittent leur site de nourrissage pour entreprendre une migration qu’à partir de leur maturité sexuelle très tardive située entre 20 et 40 ans. Les femelles retournent alors souvent vers leur plage natale pour y pondre à leur tour leurs œufs, et ceci que la plage soit située à quelque centaines de mètres ou à quelques milliers. Une fois la ponte terminée, les femelles retournent sur leur lieu de nourrissage réalisant ainsi un trajet retour périlleux, l’animal étant plus faible.
Si son aire de répartition est très large et englobe les trois quarts des côtes de la planète, les zones de nidification sont plus sélectives et se situent dans les eaux exclusivement tropicales comme les Antilles ou la grande Barrière de Corail.
Reproduction
Comme bien souvent chez les tortues, ce n’est pas l’âge qui détermine la maturité sexuelle mais la taille de l’animal (environ 60 cm) et les scientifiques ont observé que l’âge mature était plus où moins élevé selon la région du monde. Ainsi, dans les Caraïbes et l’ouest de l’océan Atlantique, les tortues imbriquées sont sexuellement actives assez tôt, vers l’âge de 20 ans, tandis que dans les eaux Indo-Pacifique, elles doivent attendre 10 à 15 années de plus ! Les individus qui atteignent la maturité le plus tardivement se situent autour des côtes australiennes où les femelles peuvent se reproduire entre 30 et 35 ans et les mâles plus tard encore.
Quand les tortues quittent le stade juvénile, elles se reproduisent tous les deux ou trois ans environ. Ce laps de temps relativement important s’explique par les migrations parfois longues que doivent faire les femelles pour pondre leurs œufs. Il serait impossible pour elles de parcourir ce trajet entre lieu de nourrissage et lieu de ponte chaque année. Mâles et femelles se reproduisent en mer, le mâle grimpe sur la femelle et injecte son sperme dans la femelle qui a la possibilité de stocker la précieuse semence. Ainsi, un seul accouplement suffit à féconder les œufs de toute une saison de reproduction. Les tortues femelles entament alors leur migration vers le site où elles sont elles-mêmes nées. Ovipares, elles pondent généralement de nuit sur des rivages ou des plages de sable où elles creusent un nid profond de 50 à 60 cm à l’aide de leurs nageoires. Elles y déposeront alors de 50 à 200 œufs avant de les recouvrir et de regagner la mer, épuisées. Durant une même saison, la femelle reviendra entre deux et cinq fois pondre (environ tous les 15 jours) avant d’entamer sa migration retour et de recommencer ce rituel 2 à 3 ans plus tard, parfois jusqu’à 7 ans plus tard.
Au bout d’environ 70 jours, les petites tortues éclosent. Selon la température du sable dans lequel les œufs ont incubé, les individus naissent mâles ou femelles : ainsi en-dessous de 29° les juvéniles seront plutôt des mâles, tandis qu’au-dessus de ce seuil, il s’agira généralement de femelles.
Une fois hors du sable, une course effrénée débute alors pour la petite tortue qui doit gagner la mer au plus vite pour se protéger des prédateurs terrestres qui, en général, connaissent le rendez-vous. En mer, autant de prédateurs les attendent mais les petits reptiles sont plus rapides et plus agiles et peuvent plus facilement éviter de se faire avaler. Toutefois, la mortalité des juvéniles la première année est très importante.
Hybridation génétique
L’aire de répartition d’Eretmochelys imbricata se chevauchant avec celle d’autres tortues marines, des cas de reproductions inter-espèces ont déjà été observés. Au Brésil notamment, l’UICN note la présence d’hybrides entre tortues imbriquées et tortues caouannes (Caretta caretta). Au Suriname, c’est avec une femelle tortue verte (Chelonia Mydas) qu’un mâle tortue imbriquée s’est reproduit. Il ne s’agit à priori pas de cas isolés, bien que rarement observés.
Menaces
Les tortues imbriquées font face à diverses menaces qui ont engendré une baisse drastique de l’espèce au XXème siècle, entre 80 et 90 % de la population de ces reptiles a disparu sur les 100 dernières années.
Le commerce d’écailles de tortues
Au niveau historique, la première de ces menaces est le commerce d’écailles de tortues qui touche presque uniquement les tortues à bec faucon. Considérée comme une matière noble, l’écaille de tortue imbriquée a été très utilisée dans la confection de bijoux, de lunettes et de meubles d’art et ceci à travers l’histoire. Des fragments d’écailles appartenant à cette espèce ont été retrouvés dans des tombes égyptiennes ou dans les ruines de la Dynastie Han qui gouvernait la Chine il y a près de 2000 ans. Mais c’est au Japon que s’est développé à partir de 1700 l’art du bekko, le travail de l’écaille de tortue. D’après les statistiques des douanes japonaises reprises dans le rapport SWOT (the State of the World’s sea Turtles) volume III, « le Japon a importé des carapaces de près de 2 millions de tortues imbriquées de 1950 à 1992 ». Au XXème siècle, le Japon était alors le plus grand importateur d’écaille de tortues imbriquées au monde. Aujourd’hui interdit, ce commerce devenu trafic fait encore parler de lui. En juillet 2017, la plus grande saisie d’écailles de tortues jamais effectuée en France a eu lieu à l’aéroport de Roissy. Près d’une demi-tonne d’écailles de Eretmochelys imbricata – soit l’équivalent d’environ 380 tortues – ont été découvertes dans de gros cartons déclarées sous l’appellation « moules pour casque et rondelles ». « La marchandise illicite d’une valeur de 300 000 euros était destinée au marché vietnamien », précise le journal Le Parisien à l’époque.
Le commerce de tortues empaillées semble être par ailleurs une nouvelle tendance depuis le début des années 2000. Les animaux sont capturés en mer, tués puis conservés entières dans de grands bacs de formol afin d’être vernie puis vendue comme objet décoratif. Cette pratique s’est notamment répandue en Asie du sud-est.
La destruction des œufs
L’une des menaces les plus importantes au cours du dernier siècle a été le prélèvement d’œufs de tortue pondus dans le sable. Que ce soit par les hommes qui les consomment (à risque, la chair des tortues imbriquées étant réputée toxique) ou les revendent ou bien par les chiens errants, cochons sauvages, ratons laveurs, renards, oiseaux et autres prédateurs qui s’en nourrissent, de nombreux nids de tortue sont ainsi dépouillés. Et pas seulement ceux de tortues imbriquées. Une légende au Nicaragua raconte même qu’un rocher magique indiquait aux hommes dans quelle direction les tortues vertes pondaient. « C’était le signal pour les villageois qui savaient que les tortues arrivaient et qu’ils pouvaient commencer à collecter les œufs et la viande de tortue. Une fois les derniers bébés de la saison sortis du nid et repartis à l’eau, le rocher tortue se retournait vers la mer », peut-on lire sur SeaTurtleStatus.org. Dans certaines communautés comme en Indonésie, la consommation d’œufs et viande de tortue marine est même traditionnelle lors des fêtes religieuses. Ainsi, la tortue verte est leur plat traditionnel de Noël comme la dinde dans les pays occidentaux. Mais il ne s’agit pas seulement pour les ONG d’interdire à ces peuples la consommation des œufs et des tortues adultes. Il faut leur proposer une source alternative de protéines.
Le tourisme peut également être une cause de tourment pour les tortues en période de nidification. Les plages paradisiaques attirent aussi bien les amoureux de la nature que les fêtards et de nombreux débordements ont mis à mal la cohabitation entre tortues marines et touristes, au Costa Rica notamment. Aujourd’hui, la plupart des sites sont protégés et il existe des règles strictes pendant la période de ponte des reptiles : les plages sont fermées au public à la tombée de la nuit et il n’est possible d’assister à l’événement qu’accompagné d’un guide et avec le matériel adéquat, notamment une lumière rouge qui ne gênera pas les animaux.
L’exploitation des œufs et la saccage des nids de tortues a eu pour conséquence que les femelles ont commencé à changer leurs habitudes : changement de site de nidification, ralentissement du cycle de reproduction… La baisse du nombre de naissances couplé à la mortalité importante des adultes est pour beaucoup dans l’incroyable déclin de l’espèce Eretmochelys imbricata.
La disparition des récifs coralliens et le réchauffement climatique
Les tortues marines subissent de plein fouet les affres de la pollution plastique dans les océans – qui n’a pas vu ces images de tortues l’estomac rempli de sacs plastiques ou avec une paille dans le nez – mais également des bouleversements des océans tout court. Le réchauffement climatique notamment les impacte de deux manières :
- L’acidification des océans entraîne le blanchissement des récifs de coraux. Les hausses de température causeraient l’expulsion des algues responsables de la coloration du corail et la mort des récifs. L’acidité aurait également pour effet de rogner le carbonate de calcium dont se compose le squelette du corail, qui n’est pas végétal mais animal.
- Le changement climatique a également des répercutions sur le sexe des tortues juvéniles. Pour que l’espèce se reproduise correctement, il faut un certain équilibre entre mâles et femelles. Un équilibre qui se trouve ébranlé par des naissances de plus en plus importantes de femelles ! Comme nous l’avons vu dans le paragraphe « reproduction », pour que des mâles tortues voient le jour, la température doit être inférieure à 29 °C lors de l’incubation.
Efforts de conservation
Législation
La surexploitation à l’origine du déclin des tortues imbriquées a aujourd’hui été en partie enrayée. La Convention de Washington, plus couramment appelée CITES, a inscrit la population de l’Atlantique en annexe I en 1975, puis se fut au tour de la population du Pacifique d’être entièrement protégée à partir de 1977. L’inscription en annexe I signifie l’interdiction totale et internationale du commerce de l’espèce. C’est à partir de cette date que le prélèvement des animaux en milieu naturel devient du braconnage. Mais il faudra du temps avant que la mesure ne soit mise en place. D’après l’UICN, « à la fin des années 1970, plus de 45 pays exportaient et importaient des carapaces brutes » de tortues imbriquées. Ces nations sont d’abord plus que réticentes à cesser ce commerce et il faudra attendre 1992 pour que le Japon, le principal importateur, cesse son commerce. Seuls les matériaux datés d’avant 1975 ou 1977 peuvent encore circuler et ils doivent être accompagnés d’un certificat.
Toutefois, le cas de la tortue imbriquée est remis en cause presque systématiquement aux conventions de la CITES. De nombreux pays, le Japon en tête, souhaiteraient revenir sur cette interdiction commerciale et obtenir des dérogations.
Plan de conservation
Des plans d’actions et de conservation ont été mis en place concernant les tortues marines et parfois de manière plus spécifique pour les tortues imbriquées. Toutefois, il n’existe pas de plan mondial et chaque pays tente à sa manière de protéger l’espèce sur ses côtes. Les principales mesures consistent à protéger les sites de nidification et à enrayer le braconnage des tortues. De nombreux pays engagent des patrouilles pour sécuriser les plages durant la saison des pontes. Mais leur travail et leur sérieux est parfois décrié comme à Mayotte où la branche française de l’ONG Sea Shepherd organise l’opération Nyamba pour protéger les tortues marines. Ainsi de juin à septembre 2017, les volontaires de Sea Shepherd ont mené plus de 200 patrouilles sur les plages de l’île. L’opération a été réitérée en 2018. Toutes ces mesures de protection des sites de nidification commencent à porter ses fruits. Par exemple en 2004, et pour la première fois depuis 60 ans, une centaine de tortues imbriquées sont nées sur les plages réunionnaises.
Aux Etats-Unis, le NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) met en place un plan d’actions renouvelé tous les 5 ans. Les résultats sont plutôt également positifs : la fréquentation de deux sites de ponte étant en augmentation à Porto Rico et sur les Iles Vierges.
La sensibilisation du public
Depuis quelques années, le problème de la pollution plastique des mers et océans commence à se répandre. Nous sommes de plus en plus sensibilisés à l’impact de notre consommation sur la faune animale et notamment l’emploi des objets à usage unique. L’impact des réseaux sociaux y est pour beaucoup avec des vidéos devenues virales comme celle d’une tortue à qui on retire une paille coincée dans la narine. Avec la sensibilisation grandissante du public, l’intérêt et la sympathie pour les tortues marines est également en augmentation. Ainsi, les voyages d’éco-volontariat pour protéger ces espèces se multiplient, amenant ainsi non seulement de la main d’œuvre mais également des fonds pour la protection de ces reptiles.
Les touristes sont par ailleurs plus sensibilisés aux conséquences négatives que peuvent représenter leur présence lors de la période de nidification. C’est pourquoi des excursions d’observation responsable de ponte de tortues marines sont à présent organisées.
ONG et Associations
Il existe à travers le monde de nombreux organismes spécialisés dans la protection des tortues marines mais le travail est si vaste qu’il leur est impossible d’être présents sur l’ensemble de l’aire de répartition de la tortue imbriquée. Des associations comme Sea Turtle Conservancy (TSA), Sea Shepherd ou encore le WWF sont notamment très impliquées dans la protection de l’espèce.
par Cécile Arnoud
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